Financement de l’UA : la Côte d’Ivoire montre le chemin

Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, pourront-ils, faire appliquer cette taxe dans chaque pays ?

Après une longue période de tergiversations, les 54 pays membres de l’Union africaine (UA) ont fini par faire un pas vers l’autofinancement de l’organisation continentale, en fixant une taxe de 0,2% sur les produits importés hors de l’Afrique. La décision a été entérinée lors du récent sommet qui s’est tenu à Kigali du 4 au 5 juillet. Jugée historique, elle a été qualifiée « de bond en avant sans précédent pour l’autonomie et la dignité africaine. » Comme pour mettre la pression sur les autres pays et apparaître comme le bon élève de la classe, la Côte d’Ivoire n’a pas attendu la rencontre de Kigali pour s’engager. C’est lors du Conseil des ministres du 28 juin qu’a été annoncée l’entrée en vigueur de cette taxe à partir du 1er juillet 2017. Une décision prise alors que certains pays hésitent encore. Quels en sont les mécanismes, quelles en seront les conséquences pour les consommateurs ? JDA a mené l’enquête.

Sous l’impulsion du Tchadien Idriss Déby Itno, qui il y a un an proposait aux États de l’Union africaine (UA) une taxe de 0,2 % sur les produits d’importation hors Afrique, l’UA a finalement adopté cette proposition au cours de son dernier sommet, à Kigali les 4 et 5 juillet 2017. Avant de s’y rendre, le Président ivoirien Alassane Ouattara a fait adopter en Conseil des ministres, le 28 juin, une communication visant la mise à exécution de cette taxe à partir du 1er juillet. « Cette taxe a pour objectif, notamment, de fournir à l’UA des ressources stables, suffisantes et prévisibles, pour la mise en œuvre de ses programmes de développement et d’intégration, ainsi que pour le financement de ses opérations de maintien de la paix et de la sécurité », avait alors expliqué le porte-parole du gouvernement, le ministre Bruno Koné Nabagné, expliquant le bien-fondé de la « taxe à l’importation de l’UA ». Selon lui, la transposition dans l’ordre juridique national de cette disposition traduit l’engagement du pays à promouvoir les instruments et mécanismes en faveur de l’intégration africaine. D’ailleurs, lors de ce 29è sommet, on se souvient que le Président ivoirien se plaignait de la lenteur dans la prise de décisions et dans leur exécution au sein de l’Union. « Nous ne pouvons pas dire aux bailleurs non africains que nous sommes autonomes et leur dire dans le même temps donnez-nous votre argent ! ».

 

Modèle ivoirien Pendant que des États tergiversent encore, la Côte d’Ivoire a décidé de donner l’exemple et de montrer la voie à suivre. Si l’UA n’a pas encore spécifié les produits auxquels cette taxe doit s’appliquer, se contentant de mentionner qu’elle ne porterait pas sur certains produits de première nécessité, le gouvernement ivoirien a choisi de l’appliquer à certains produits de consommation courante. Selon le directeur de cabinet du ministre du Budget, Karim Traoré, pour éviter que cette nouvelle taxe n’entraîne une hausse des prix des produits de grande consommation, « la Côte d’Ivoire a choisi de prélever les 0,2% destinés à l’UA sur une taxe existante au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). » Cette taxe, qui s’élève à 1%, permet à la Côte d’Ivoire de récolter, selon les chiffres officiels, une manne financière oscillant annuellement entre 5 et 9 milliards de francs CFA au profit de l’UEMOA. Désormais, officiellement depuis le 1er juillet, un cinquième de ce montant ira dans les caisses de l’UA.

Les choses ne devraient pas pour autant se faire de façon automatique. À en croire une source douanière, sans être précis sur un délai, il faudra du temps aux services des Douanes ivoiriennes pour s’adapter à cette nouvelle mesure et pour que la part destinée à l’UA soit effectivement collectée. Ce montant, explique notre source, devrait se situer entre 1 et 2 milliards de francs CFA, sans que cela ne constitue  une perte pour l’UEMOA, car il était prévu que cette taxe sous-régionale passe de 1% à 0,8 %. L’exemple fera-t-il école au sein de UEMOA et ailleurs sur le continent ? Difficile à dire, dans un contexte où certains émettent déjà des réserves et où tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne.

 

Réticences Plusieurs pays africains ce sont certes montrés favorables à cette décision, mais des grincements de dents se font entendre, notamment du côté de l’Afrique du Sud, du Nigéria, de la Tunisie, de l’Angola et de l’Egypte. Ces poids lourds africains, qui ne voudraient pas brusquer leurs partenaires commerciaux non africains, ont émis des réserves. Ils estiment que cette taxe entre en conflit avec certaines dispositions de leurs Constitutions ou encore qu’elle pourrait être qualifiée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de concurrence déloyale, contraire aux règles du commerce international.

Sur ce second point, certains partenaires hors du continent pourraient effectivement saisir l’OMC. Le risque, explique Isidore Yao, juriste, est que si une décision est prise en la matière, elle pourrait faire jurisprudence. La mise en place par l’UA d’un comité de dix ministres africains en charge des questions financières devrait permettre de trouver des  arrangements jusqu’à janvier 2018. Cette réticence a d’ailleurs soulevé le courroux du chef de la diplomatie togolaise, Robert Dussey pour qui l’Afrique ne peut prétendre avoir son propre destin en main et refuser de changer la donne. « Il n'est pas normal, quand on veut prendre en main son propre destin, de se faire financer par les autres », avait-il lancé à la fin du sommet, ajoutant qu’il fallait impérativement trouver une issue au plus vite, car « le besoin de fournir à l'UA les ressources nécessaires, venant de ses pays membres, pour la mise en œuvre de ses programmes est aujourd'hui une urgence. » 

La lenteur dans l’application des décisions et les réserves pourraient avoir pour conséquences de faire traîner les choses. « On pourrait arriver à une situation où certains pays appliqueraient la décision et d’autres non. Ça va prendre du temps et, connaissant les lourdeurs administratives de l’UA, nous sommes bien partis pour attendre encore au moins une décennie pour que cela soit effectif sur tout le continent », murmure un fonctionnaire ivoirien du ministère des Affaires étrangères. Un peu sévère, il estime que moins de 5% des décisions de l’union sont à ce jour mises en pratique. Un laxisme qu’il impute à l’absence de mesures coercitives, à un véritable manque de volonté politique, ou encore aux pesanteurs propres à chaque pays.

 

Optimisme Pour le Capverdien Carlos Lopez, qui se prononçait sur la question chez nos confrères de Radio France Internationale (RFI), après avoir passé en revue l’ensemble de ces difficultés, « tout est gérable. Mais bien sûr, cela va prendre du temps, jusqu’à ce que tout le monde soit confortable. » Se disant rassuré par le fait que « dix pays sont déjà complètement prêts et une douzaine de pays additionnels sont en route », il espère que la majorité des pays africains rejoindront le mouvement d’ici la fin de l’année 2017.

Un optimisme très peu partagé par certains observateurs, qui font remarquer qu’en 2014 une taxe sur les billets d’avion, les nuits d’hôtel et les SMS téléphoniques avait été adoptée mais n’était jamais entrée en vigueur. Ils notent par ailleurs que les retards et les défauts de paiement ont toujours entravé le bon fonctionnement de l’organisation africaine. Cette taxe, si elle est appliquée dans l’ensemble des pays, devra permettre de récolter une enveloppe de plus de 650 milliards de francs CFA par an au profit de l’union. De quoi financer régulièrement et sûrement l’UA, dont le budget 2017 est estimé à moins de 500 milliards.

La volonté du Président Alpha Condé, président en exercice de l’UA, de son prédécesseur Idris Déby Itno et de son futur successeur Paul Kagamé, devrait également donner un coup de fouet à la mise en œuvre de cette décision. C’est pour cela que les trois Présidents ont fait part à leurs pairs de leur détermination à faire en sorte que l’Union africaine dépende financièrement de moins en moins, ou ne dépende plus du tout, de ses partenaires européens et chinois.

 

Ouakaltio OUATTARA

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