État civil : le casse-tête des en fants fantômes

L’extrait de naissance est devenu un précieux sésame pour les enfants ivoiriens.

Les enfants sans extrait d’acte de naissance ont aujourd’hui franchi la barre des trois millions en Côte d’Ivoire, et constituent ainsi un véritable casse-tête pour l’administration. L’absence de preuve juridique de l’existence des enfants constitue un frein à l’inscription de dizaines de milliers d’entre eux à l’école primaire. Privés d’éducation, droit fondamental désormais obligatoire jusqu’à 16 ans, ils encourent le risque d’être livrés à eux-mêmes. À en croire les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, près de 120 000 enfants en âge d’aller à l’école n’ont pu être retenus entre 2013 et 2016, faute d’extrait d’acte de naissance. Pourtant, les campagnes de sensibilisation, les audiences foraines et autres mesures incitatives ne manquent pas.

Ils sont exactement 3 111 706 enfants à n’être pas enregistrés à l’état civil, dont 1 072 463 élèves du primaire, se- lon les chiffres officiels du ministère de l’Éducation nationale et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). Pourtant, plusieurs mesures ont été prises en vue de réduire ce nombre qui, avec la décennie de crise, a connu un pic, notamment dans les régions du nord et de l’ouest du pays. Selon un rapport publié par l’UNICEF en août dernier, les enfants en zone rurale ont deux fois moins de chances d’être enregistrés. Seulement 47% d’entre eux sont inscrits à l’état civil en zone rurale, tandis qu’en zone urbaine, ils sont 84%. Un fossé qui pourrait être réduit avec la conjugaison des efforts des différentes parties prenantes.

Frein à l’école

Ce problème chronique s’est davantage aggravé pendant les 10 années de crise, à cause de l’effondrement de l’administration dans la moitié du pays, de 2002 à 2010. Même les parents qui en avaient la volonté, n’ont pu à l’époque déclarer les naissances. Pour atténuer les difficultés de ces enfants, le gouvernement ivoirien avait décidé, dès 2012, d’assouplir temporairement les conditions d’enregistrement des naissances survenues pendant les périodes de crises de 2002 à 2010, en autorisant les parents à directement déclarer leurs enfants dans les centres d’état-civil. En plus de cette mesure, le gouvernement avait autorisé toutes les écoles du pays à accepter l’inscription des enfants n’ayant pas de certificat de naissance. Une politique qui a permis à près de 750 000 d’entre eux d’être admis à l’école primaire, selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale. Cependant, ces écoliers sans acte de naissance auront des difficultés à s’inscrire en classe de sixième, prévient Jeanne Kopieu, sous-directrice du programme« l’Éducation pour tous » au ministère. « L’absence d’extrait d’acte de naissance ne permettra pas à l’enfant d’obtenir le dossier administratif de candidature pour passer l’examen du Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) et le concours d’entrée en sixième », explique-t-elle. Une situation qui mettrait fin de façon prématurée aux études, alors que l’école est désormais obligatoire jusqu’en classe de 3è. Le problème à ce niveau n’est donc pas résolu, mais déplacé. Et le système se voit contraint de confisquer le droit à l’éducation de certains enfants. Tou- jours selon les données du ministère, 28% des élèves inscrits pendant l’année scolaire 2013-2014, soit 892 038, n’ont pas été déclarés à l’état civil et plus de 729.000 d’entre eux ont été enregistrés en zone rurale. La situation ne s’est pas améliorée en 2014-2015 avec 1 043 450 inscrits, soit 31% des effectifs dans le même cas sur tout le territoire national, dont 849 992 en milieu rural. La ministre Kandia Camara a annoncé qu’en 2016, encore « deux millions d’enfants âgés de 6 à 16 ans qui ne vont pas à l’école» on été comptabilisés, malgré la politique de scolarisation obligatoire pour cette tranche d’âge, entrée en vigueur depuis la rentrée de septembre 2015.

Situation alarmante

Pour le spécialiste en état civil et président de l’ONG SOS état civil, Remi Gnakpa, un seul enfant sur trois est enregistré à l’état civil. Conséquence, la Côte d’Ivoire enregistre 500 000 enfants non déclarés chaque année. Malheureusement, soutient-il, l’ensemble des tribunaux de sections ne pouvant pas produire plus de 10 000 jugements supplétifs par an, il faudra plus de 50 ans à tous les tribunaux pour délivrer les jugements aux enfants non déclarés. Les vastes campagnes d’audiences foraines ne donnent ainsi que peu de chances pour atteindre une grande masse de personnes sans le fameux sésame. M. Gnapka regrette que l’État n’ait pas encore pris de décision forte allant dans le sens de rendre obligatoire la déclaration de naissance. Pour lui, il faut « former les agents et les officiers d’état civil et leur faire prêter serment, en nommant des officiers d’état civil en collaboration avec le ministère de l’Intérieur, créant ainsi une structure nationale de gestion profession- nelle de l’état civil en les modernisant, en ÉTAT CIVIL : LE CASSE-TÊTE DES EN FANTS FANTÔMES les sécurisant et en établissant les actes d’état civil de toutes les personnes nées en Côte d’Ivoire et qui en sont dépourvues, dans le strict respect des règles ».

Assouplissement et innovation

Pour les organisations humanitaires qui travaillent avec l’État sur la question, l’espoir est permis car la volonté réside à différents niveaux. Le directeur général de l’UNICEF France, Sébastien Lyon, après une visite en Côte d’Ivoire en août dernier, avait donné des assurances : « il y a une volonté, il y a des acteurs et il y a du financement qui arrive ». Il avait, dans le même élan, souhaité que l’enregistrement des naissances pour les enfants ivoiriens puisse atteindre un taux le plus proche possible de 100% dans les 3 ou 4 années à venir. Le projet pilote de la clinique juridique installée par l’UNICEF dans six villes est déjà une réponse, même si pour l’heure, les résultats sont jugés faibles. En attendant que ce projet puisse gagner l’ensemble du territoire national, les six centres pilotes reçoivent 50 millions de francs CFA chaque trimestre pour la promotion de l’enregistrement des naissances. Au niveau étatique, on envisage d’assouplir les conditions de déclaration de naissance avec la possibilité d’installer des agents dans les maternités en charge de cette tâche. L’autre innovation serait de faire des déclarations par SMS, ou encore la possibilité d’élargir le droit à la déclaration de naissance par d’autres personnes avant que les parents de l’enfant ne prennent la relève.

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