Corruption : Malgré le cadre juridique, peu d’impact

Renforcement de cadre juridique, saisine de la justice par la haute autorité pour la bonne gouvernance, enquête de l’inspection générale de l’Etat [SJD1] ciblant des mairies et des structures étatiques etc.  Autant d’actions qui montrent une volonté de lutter contre la corruption. Mais la bataille reste  grande. La corruption touche presque toutes les couches ivoiriennes et cela rend complexe les actions de luttes.[SJD2] Entre la volonté affichée des gouvernants, les dénonciations et plaintes quotidiennes des populations, la situation ne change presque pas, clouée presque par des enjeux politiques.

On serait tenté de dire que plus la Côte d’Ivoire « bétonne » son cadre juridique contre la corruption et le blanchiment de capitaux, plus elle ouvre la porte à cette activité illégale. Un vrai paradoxe. De façon simple, l’on présente le blanchiment de capitaux par le fait de  dissimuler l’origine, la propriété ou la destination de fonds acquis illégalement afin de les introduire dans le circuit légal. L’activité est le plus souvent d’ailleurs alimentée par la corruption comme l’indique la convention de l’union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption en ses articles 6 et 7 parlant de Blanchiment des produits de la corruption et de lutte contre la corruption et infractions assimilées.  Avec 53 dossiers portant sur plus de 10 milliards de francs CFA portés à la connaissance du parquet, la Côte d’Ivoire demeure un pays en proie à ce phénomène « Pour l’année 2018, nous sommes à 53 dossiers qui ont déjà été transmis au parquet et qui vont passer en jugement. En terme d’argent, nous sommes à 10 576 000 000 de francs CFA  pour les soupçons de blanchiment d’argent »  révèle  Noël Adou, de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) en se basant sur la saisine du parquet par la cellule après des enquêtes faites sur la base des Déclarations d’opérations suspectes (DOS) qu’elle reçoit.  Malheureusement, à date, une seule  véritable condamnation a été prononcée, le grand public ignore pour l’heure les informations essentielles de ladite affaire notamment son déroulement, les mis en cause, etc.[AK(C3]   Début octobre, le procureur Richard Adou révélait sur saisine de la Haute autorité pour la bonne gouvernance (HABG) quinze dossiers impliquant des ex directeurs généraux, des élus et des directeurs financiers.

Des secteurs sous surveillance ?  Pour l’ONG Social justice, engagée dans la lutte contre ce fléau, les secteurs de l’immobilier et de l’agriculture sont les plus touchés. Selon une étude menée récemment par elle sur le blanchiment de capitaux et la corruption, ces deux secteurs sont les secteurs où où l’argent liquide, difficilement traçable circule beaucoup. « Deux secteurs ont été clairement identifiés comme étant les plus utilisés pour blanchir les capitaux, à savoir l’agriculture et l’immobilier. Ces secteurs qui connaissent une forte expansion ces dernières années, sont favorables à l’intégration des produits de la corruption dans le circuit économique légal » explique Julien Tingain président de Socil Justice. Dans la pratique, il est fait état de ce que d’énormes sommes d’argent sont impliquées dans plusieurs transactions dans ces deux secteurs et ce, parfois au détriment des règles établies. Par exemple, il est arrivé que plusieurs personnes fassent des achats en mode cash de terrain ou de bien immobilier explique-t-il. Une telle pratique sans laisser de traces bancaires laisse peser de lourds soupçons sur ce genre de transactions qui impliquent des millions de francs CFA. Au niveau de l’agriculture, depuis belle lurettes, des acheteurs des produits de rentes tels que le cacao, le café et  la noix de cajou utilisent le cash. Brouillant ainsi toute trace des sommes d’argent qui circulent dans ce secteur. À ces deux secteurs, il faut ajouter également, mais à un degré moindre, le secteur des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication. Ce secteur est aussi « à risque »  car malgré la prise d’une loi relative à l’identification des cybercafés et la lutte contre la cybercriminalité, «  ce secteur reste pour le moment insuffisamment encadré et avec la prolifération des cybercafés, laisse prospérer certains actes d’escroqueries dont le plus connu des citoyens reste le phénomène dit de « broutage ». Le secteur des TIC  qui connait une croissance fulgurante  risque d’être à l’avenir en proie au blanchiment de capitaux si des mesures idoines ne sont pas urgemment mises en œuvre » Poursuit  M. Tingain. De façon naturelle, les présidents d’institutions, les ministres et les hauts fonctionnaires sont considérés comme des personnes politiquement exposées  et dont les risques de corruption sont élevés.

À la traine : Pour le juge Laurent  Ehounou Kan Malan, Magistrat, inspecteur des services judiciaires et pénitentiaires et président de l’ONG Transparency Justice, le gouvernement ivoirien a fait des efforts pour la mise en place en 2013 de Haute autorité pour la bonne gouvernance (HABG) et a pris un certain nombre de textes renforçant cette lutte. Sauf que « la Côte d’Ivoire  n’a pas encore finalisé la mise en place de son mécanisme de suivi et de contrôle de la lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption comme l’exige la convention de l’Union africaine (UA)  en son article 2, aliéna 1 « Promouvoir et renforcer la mise en place en Afrique, par chacun des Etats parties, des mécanismes nécessaires pour prévenir, détecter, réprimer et éradiquer la corruption et les infractions assimilées dans les secteurs public et privé » .  Ce dernier explique par ailleurs qu’il y’a aussi le fait que  la Côte d’Ivoire n’a pas encore fait le rapport annuel comme l’exige la convention avant d’apprécier le niveau de lutte contre la corruption. Autre difficulté, la loi sur le gel des avoirs, adoptée en commission au parlement en mai dernier n’a pas encore été adoptée en plénière par le parlement.  « Au niveau des peines de privation de liberté, les textes sont insuffisants. Il faut faire en sorte que celui qui a subtilisé l’argent du contribuable et des ivoiriens puisse le restituer. Il n’y a que la loi sur le  recouvrement des avoirs illicites qui peut être de nature à faire freiner des personnes » ajoute le magistrat Malan, engagé auprès de la société civile et luttant pour que les structures étatiques impliquées dans cette lutte soient indépendantes dans leurs organisation et fonctionnement.  Autre difficulté, la justice. Elle reste lente car les mécanismes judicaires sont fastidieux et le pays ne dispose pas d’assez de magistrats encore moins de magistrats spécialisés. Là où l’UA exige la création des cours spéciales de justice, la Côte d’Ivoire a opté pour la nomination des juges qui adressent ces questions. Sauf que ces derniers au quotidien ne font pas que ça car ils traitent d’autres dossiers. Il faut donc assez de magistrats spécialisés sur la corruption et les infractions assimilées consacrés à la matière et que les procédures s’accélèrent car lorsqu’un gouvernement est mal noté sur les questions de gouvernance, cela à une influence sur le marché.

Transparence oblige  La convention de l’UA exige que le contrôle de la  déclaration du patrimoine des assujettis se fasse  au début, en cours et en fin de mandat conformément à son article 7 qui stipule que: « Les Etats parties s’engagent à….. Exiger que tous les agents publics ou ceux qui sont désignés déclarent leurs biens lors de leur prise de fonctions, ainsi que pendant et à la fin de leur mandat ». Ce mécanisme permet de vérifier les fluctuations du patrimoine. Or en l’état actuel, la Côte d’Ivoire a adopté la forme confidentielle et des ONG  comme Transparency Justice et SOCIAL JUSTICE travaillent à faire en sorte que la Côte d’Ivoire qui a ratifié ces textes, puisse au fur et à mesure mettre en œuvres les dispositions de cette convention. [SJD4] Les banques ne sont pas en marge et ont leur dispositif anti-blanchiment qui s’appuie sur l’origine légale des opérations de leurs clients. Quand ce n’est pas le cas, l’assujetti par la loi fait état « d’une déclaration de soupçons à la CENTIF », rassure Alain Badjé, de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI). Autre institution  qui joue sa partition, la HABG. Pour 2018, celle-ci note que pour les dossiers qu’elle a reçus, seulement 17% concernent effectivement des faits de corruption contre 83% qui n’en sont pas. Cela met en exergue l’insuffisance d’informations des populations sur le phénomène de corruption ainsi que les procédures de saisine.

Ouakaltio OUATTARA

 

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