Elles sont appelées opérations villes propres ou grand ménage et se succèdent chaque année, avec la même ferveur des initiateurs face à la même tiédeur des populations, pourtant premières bénéficiaires de ces initiatives. C’est que, depuis longtemps, la question de l’insalubrité à Abidjan et dans les grandes villes du pays s’est invitée dans le décor quotidien des Ivoiriens au point que certains ont fini par s’en accommoder. La ministre Anne Désirée Ouloto qui occupe pour la seconde fois le portefeuille de la Salubrité, ne se décourage pas pour autant. Multipliant les actions et les campagnes, elle espère gagner son combat. Après l’opération « grand ménage » lancée en février dernier, suivie de celle de ravalement des façades de bâtiment, elle s’est engagée du 1er au 6 août dans la « Semaine nationale de la propreté. » Un défi qui ressemble à un travail de Sisyphe.
Elle tient à réussir son pari, contre vents et marées. La ministre Anne Désiré Ouloto n’est visiblement pas de la race des personnes qui abandonnent les challenges face aux milieux hostiles. À l’occasion de la Semaine nationale de la propreté, la ministre en charge de la Salubrité, de l’environnement et du développement durable n’a pas hésité à le rappeler. « La propreté n’est pas un luxe » et n’est pas non plus « l’apanage des classes aisées » a-t-elle ajouté. Une invite, mais aussi une alerte à l’endroit des populations moins aisées qui s’accommodent d’un univers insalubre et qui font la sourde oreille face aux multiples campagnes et actions menées. Pour cette seconde édition de la « Semaine nationale de la propreté » instituée en 2016 et célébrée chaque année du 1erau 06 août, le thème retenu est « La propreté de mon cadre de vie n’est pas un luxe ; c’est pour ma santé ». Un thème qui, selon les autorités en charge de la question, devrait pourvoir en inciter plus d’un à un changement de comportement. Même si elle retient que « les règles élémentaires de propreté et d’hygiène sont constamment foulées au pied, au point que la malpropreté est aujourd’hui la chose la mieux partagée dans les ménages, les écoles, les lieux de travail, les lieux de restauration collective, les établissements sanitaires, les gares et même les administrations publiques et privées », elle garde l’espoir de voir les choses évoluer positivement.
Détermination « Maman Buldozzer » n’a nullement usurpé le titre que, de façon unanime, les Abidjanais lui ont attribué. Déjà en 2011, elle lance, avec succès, une première opération de libération des espaces publics, alors sous l’emprise des commerces anarchiques et de certaines constructions n’ayant pas respecté les normes d’urbanisation. Applaudie par les riverains, qui y voient un début de solution à l’insalubrité, elle se verra mettre des bâtons dans les roues. Bénéficiant de la confiance du Président de la République, elle est galvanisée et la mythique « Rue princesse » de Yopougon n’échappera pas à sa fureur. Intransigeante, elle ne se limite pas aux menaces et à la sensibilisation et préfère l’action aux longs discours. Mais, après une période de crise qui n’a pas fait de cadeaux aux commerçants, elle est de plus en plus contestée et la pression exercée sur le gouvernement par certains opérateurs économiques oblige le Chef de l’Etat à lui arracher le portefeuille de la salubrité au profit d’une personnalité, plus souple, Rémi Allah Kouadio, en 2013. Les vieilles habitudes reviennent à grands pas, Abidjan, la capitale économique, ploie sous le poids des ordures et perd de son éclat, quelque peu redoré entre 2011 et 2013. Quand en 2016 elle retrouve le portefeuille de la Salubrité, Anne Désirée Ouloto veut rattraper le temps perdu. Une vaste opération est à nouveau lancée. Cette fois sans véritable succès. À peine déguerpis, les commerçants reviennent de plus belle, annihilant les actions menées. Elle lance une activité mensuelle baptisée « grand ménage » en février dernier.Si elle tient encore, elle ne mobilise toutefois pas grand monde, en dehors de quelques actions d’éclat de certaines municipalités. Pourtant, l’opération devait être menée par des militaires, des policiers, des bénévoles, qui s’emploieront à débarrasser Abidjan de ses nombreux déchets. Une situation qui conduit la ministre à être très critique sur le rapport entre ses compatriotes et la salubrité. « L’Ivoirien considère aujourd’hui son cadre de vie comme une poubelle et attend que l’État passe après lui pour l’assainir », a-t-elle déploré.
Double jeu Dans ce qui semble être un éternel combat contre l’insalubrité, les efforts du gouvernement sont loin d’apporter une réponse durable. La signature en avril 2016 d’une convention avec l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire (UVICOCI) n’a pas pour autant fait bouger les lignes. Cette convention vise à renforcer le cadre institutionnel de travail et la collaboration entre le Gouvernement et les Collectivités, qui devraient prendre le relais de la surveillance des espaces publics après les passages des bulldozers du ministère. Malheureusement, l’on observe une recolonisation des trottoirs par les commerçants, « et cela ne relève nullement du ministère mais de la compétence des autorités municipales, qui rechignent pour des raisons inavouées à prendre le relais et à faire prévaloir l’ordre et la légalité », assure-t-on dans les couloirs du ministère en charge de la salubrité. Déguerpis, les commerçants sont aussitôt réinstallés, grâce parfois à la complicité ou à l’incapacité de certains agents des mairies. « Les mairies tirent leurs budgets principalement de la vente des billets des marchés et faire déguerpir les commerçants, fussent-ils sur un espace public, est un véritable manque à gagner » nous a confié un employé de la mairie d’Adjamé, sous couvert d’anonymat. La même source, se disant consciente que cette situation maintient cette commune insalubre, explique que la solution serait plutôt de mieux organiser les services de nettoyage afin que ceux-ci puissent « travailler de nuit et assainir les environs des commerces avant le lever du jour. » John Anderson Kouakou Langui, chef du service de l’hygiène générale à l’Institut national de l’hygiène publique (INHP) partage cet avis. Pour lui, la question de l’assainissement de nos villes se trouve ailleurs. « Elle doit se faire de façon intégrée, avec l’avènement de politiques nouvelles et innovantes, axées plus sur les petits commerces. » Il propose un assainissement simplifié des petits commerces avec des concepts comme la « responsabilisation des acteurs ou des riverains », ce qui permettra d’apporter des solutions pratiques et de les impliquer. Une synergie d’actions qui manque aujourd’hui et est souvent à la base de conflits entre riverains, commerçants et agents de mairie, avec le sentiment que l’une de ses entités ne jouerait pas franc jeu dans la politique de salubrité.
Rouleaux d’engorgement D’énormes efforts sont certes déployés, mais ils restent insuffisants. Une insuffisance qui conduit souvent à la formation de tas d’ordures sauvages. Selon Jean Roger Boto M’Bouké, 4è adjoint au maire de Treichville en charge de la salubrité et responsable du Comité local de salubrité (CLS), « il faut prendre les choses en amont et en aval. Quand les prestataires ne sont pas payés dans les délais requis, cela pose un certain nombre de problèmes (carburant, réparation des véhicules…). Les travaux de ramassage et de transport connaissent des difficultés pour des raisons de coordination ». Une situation très fréquente à la base d’un engorgement des ordures et à la création de nouveaux dépôts en divers endroits de la ville. L’adjoint au maire estime que « tout est lié aux finances. Tout est soumis à l’approbation de la tutelle. » Pointés du doigt pour l’apparition de dépôts d’ordures sauvages, les pré-collecteurs se défendent. Yves Doukouré, un des pré-collecteurs de la commune d’Abobo estime que les populations, n’ayant pas été suffisamment sensibilisées sur les heures de passage des véhicules, n’arrivent pas quand il le faut. En attendant, la ministre Anne Désirée Ouloto souhaite plutôt compter sur l’esprit de « patriotisme » de ses concitoyens, qu’elle invite à « marquer une pause et à accorder un regard attentif aux conséquences négatives de nos incivilités sur la propreté de notre cadre de vie, afin de jouer un rôle pour inverser la tendance. » Difficile d’entendre un tel message dans un environnement où les différentes entités impliquées dans le processus de salubrité se rejettent mutuellement la responsabilité, chacune affirmant jouer déjà sa partition.
Ouakaltio OUATTARA