Le discours a duré un peu plus de 17 minutes, mais il aura tenu en haleine tous les Ivoiriens et tous ceux qui ont des intérêts en Côte d’Ivoire. Le Président de la République avait lors du Conseil des ministres du 11 juillet annoncé une « importante annonce » à l’occasion du 58ème anniversaire de l’indépendance. Son discours du 6 août, à la veille de la célébration, a occasionné la joie dans les familles biologiques et politiques de 800 personnalités, en prison depuis 2011. Les plus célèbres sont Simone Gbagbo, Assoa Adou, Moïse Lida Kouassi et Souleymane Kamaraté dit Soul to soul. Un grand pas vers la réconciliation, qui ouvre politiquement de nouveaux enjeux et met en scène de nouveaux acteurs, qui pourraient bouleverser un climat tendu, rythmé par les jeux d’alliance à deux ans de 2020.
L’information sur une probable mesure de clémence était sur toutes les lèvres des observateurs de la vie politique ivoirienne depuis le début de l’année. Sauf qu’ils étaient très peu à parier sur une remise de peine intégrale et une libération totale de Simone Gbagbo, ex Première Dame et figure de proue du Front populaire ivoirien (FPI). Cette amnistie, assure le Président de la République Alassane Ouattara, « bénéficiera à environ huit cents de nos concitoyens, poursuivis ou condamnés pour des infractions en lien avec la crise postélectorale de 2010 ou des infractions contre la sûreté de l’État commises après le 21 mai 2011, date de ma prestation de serment en qualité de Président de la République ». Un peu plus tard, il précise que sur les 800 personnes concernées par cette amnistie, environ 500 sont déjà en liberté provisoire ou en exil et verront leurs condamnations pénales effacées. De ce fait, il sera mis fin aux poursuites à leur encontre. Il en sera de même pour les trois cents autres personnes détenues, libérées depuis le 8 août. Au nombre de celles-ci figurent notamment Madame Simone Ehivet Gbagbo et Messieurs Lida Kouassi, Assoa Adou et Souleymane Kamaraté dit Soul to soul. Résultat d’une pression de la communauté internationale pour les uns, suite logique de la mobilisation de l’opposition pour d’autres. Le Président Alassane Ouattara dit avoir décidé de cette amnistie après avoir « pris le temps de la réflexion », mais aussi « pris bonne note des suggestions et des attentes des Ivoiriens » dans le processus de réconciliation nationale. Mais cet acte n’est pas anodin. Il intervient dans un contexte particulier de crispation entre lui et Henri Konan Bédié, son principal allié depuis 2011, dont certains proches reprennent comme un refrain les revendications de l’opposition qui, depuis sept ans, tournent autour de la libération de prisonniers. La justice ivoirienne aurait-elle pu, en outre, prendre le risque d’ouvrir le procès de Souleymane Kamaraté dit Soul to Soul quand on sait que plusieurs « secrets d’État » auraient pu être dévoilés au cours des audiences? Ouattara fait ainsi d’une pierre deux coups, en évitant un procès dans son propre camp mais aussi en libérant tous les hommes politiques en prison, dont la cause avait fini par toucher certains de ses partisans et la communauté internationale. Le Président, en montrant une nouvelle dimension de sa personnalité, tente de reprendre toutes les cartes en main, mettant dos à dos des membres de l’opposition et tentant de mettre la pression sur son propre camp.
Scenarii Dans son adresse, et comme c’est d’ailleurs souvent le cas ces derniers temps, Ouattara insiste sur la « passation de pouvoir à une autre génération », avec l’aide d’Henri Konan Bédié. « Quand on sait que Bédié a du mal à cacher ses ambitions pour 2020, on se dit que Ouattara tente de lui forcer la main pour prendre sa retraite avec lui », note un observateur politique. Réagissant à la décision du chef de l’État, Henri Konan Bédié a préféré noter que « le PDCI remercie la communauté internationale et tous les acteurs qui ont œuvré dans le secret pour faciliter la prise de cette décision ». Dans le communiqué, aucune allusion n’est faite au Président de la République, signe que les choses restent tendues entre les deux hommes « et que Bédié digère mal un discours si important mais dont il n’a pas eu la primeur », poursuit l’observateur cité plus haut. La libération de Simone Gbagbo (69 ans), saluéà travers plusieurs communiqués, ne fait pas pour autant le bonheur de toute la classe politique. « C’est d’abord et avant tout une femme politique. Elle va continuer à faire de la politique, c’est une évidence», dit le politologue Julien Geoffroy Kouao. « Ceux qui espéraient une alliance avec n’importe quelle tendance du FP vont freiner des quatre fers, car si Simone Gbagbo revient dans le jeu politique, ce ne sera pas pour jouer les seconds rôles », prévient le politologue Sylvain N’Guessan. « Affi N’Guessan le sait et, au-delà de sa joie apparente, il craint qu’elle ne lui reprenne le FPI. Il n’a pas le coffre pour s’opposer à elle. Un tel scénario remet en cause toute la stratégie de Pascal Affi N’Guessan, qui n’a pas vu cela venir, et pourrait dérouter certains cadres du PDCI, qui surfent sur le froid entre les deux leaders du RHDP », poursuit-il. Dès sa sortie Simone a annoncé les couleurs «L’ancienne page est tournée. Levez-vous pour la nouvelle page. Nous sommes partis pour le nouveau combat » a-t-elle lancé aussitôt sortie de prison et accueillie par sespartisans face auxquels elle a salué « la loyauté d’Aboudrahamane Sangaré ». Grand absent à cette fête de retrouvailles, Affi N’Guessan qui animait une conférence de presse au même moment s’est adressé à elle en quelques mots à peine voilé « le congrès a consacré ma légitimité et ma légalité. » Une situation face à laquelle, Sylvains N’Guessan pense que « Ouattara aura réussi ainsi à maintenir la division au sein de l’opposition et à éloigner celle-ci du PDCI ». En tout cas, en face d’Affi, les choses bougent déjà. Aboudrahamane Sangaré a annoncé les couleurs. « Il y a du lourd qui attend le FPI, car la lutte se poursuit », lance-t-il, convaincu que cette libération va donner un nouveau souffle à sa tendance, qui commençait à s’essouffler. D’autre part, en libérant Souleymane Kamaraté, chef de protocole de Guillaume Soro, le Président Ouattara joue l’accalmie dans sa propre famille. « À défaut de compter sur un allié, mieux vaut resserrer les rangs chez soi », ajoute Sylvain N’Guessan. Cette nouvelle donne va-t-elle ramener pleinement Soro et ses hommes au sein de la coalition favorable à Ouattara ? Rien n’est moins sûr, car ces derniers ne pourraient plus compter sur l’opposition ou sur un PDCI qui cherche lui aussi ses marques et devra compter sur ses propres forces. Le FPI n'est plus l'orphelin du village cherchant de l'affection de part et d'autre. Il a bel et bien un leader qui compte sur le champ politique ivoirien
Élections ouvertes Même si elle a appelé à boycotter le recensement électoral de juin dernier, en prélude aux élections municipales à venir, la partie de l’opposition incarnée par Sangaré dit vouloir regarder de plus près la question, avec la probable révision de la Commission électorale indépendante (CEI). Cette réforme intervient alors qu’on s’achemine vers les élections municipales et régionales, très disputées, le 13 octobre prochain, et la présidentielle de 2020. Reste à savoir si la révision se fera avant ou après le 13 octobre et si la nouvelle composition sera acceptée par tous les leaders politiques. Elle s’annonce tout de même ouverte, avec la participation de plus en plus probable de tous les acteurs. Après qu’ils aient boycotté les scrutins précédents, une participation de proches de Sangaré aux municipales prochaines pourrait bien mettre à mal les calculs de certains élus locaux et contraindre la coalition au pouvoir depuis 2011 à revoir sa stratégie. Ces élections locales s’annoncent comme un test pré 2020 et permettront à chaque camp d’envisager ou non de nouvelles alliances.
Ouakaltio Aboubacar OUATTARA