L’un des secteurs les plus touchés par la pandémie à coronavirus est le monde du show-business. En Côte d’Ivoire, artistes, tenanciers de bars, boîtes de nuit, cinémas, etc., cherchent un second souffle. Si la levée des récentes mesures sanitaires redonne un peu d’espoir aux acteurs de ce monde, naguère gai et vibrant, les jours semblent hélas comptés pour de nombreuses structures. Entre transgression des règles et appels à l’aide, on espère voir le bout du tunnel très prochainement. Immersion dans un milieu au présent sombre.
Prenez 43 000 maquis dans le district d’Abidjan. Multipliez ce chiffre par 5 millions de francs CFA. Ensuite, triplez le tout. Pour Josué Gnahoua, Président de l’Association des tenanciers de maquis et restaurants, ce bref calcul montre l’ampleur des dégâts de la pandémie à coronavirus à leur niveau. Fermés en mars et rouverts en mai, pour les tenanciers, ce sont trois mois de perdus et plusieurs dizaines de milliards de manque à gagner à déplorer sur l’ensemble du territoire national. Malgré la réouverture, les maquis, regrette-t-il, ne peuvent toujours pas offrir de spectacles, l’une des attractions de ces lieux de réjouissances. Les prestations d’artistes n’étant toujours pas autorisées, c’est un pan entier du monde du spectacle qui est sinistré. Au milieu de ce sombre tableau, un point plus noir : les bars et boîtes de nuits. Le territoire ivoirien en compte environ 2 000. Si les maquis ont eu un second souffle, ces endroits restent clos. Pour Magloire Afoutchi, propriétaire et Président de l’Union nationale des propriétaires (UNP), c’est l’asphyxie. « Nous sommes dans un secteur qui emploie une masse de personnes et la situation est catastrophique», déplore cet homme du show-business. Alexandre Béranger, propriétaire du Code Bar, estime qu’à cette allure certains tenanciers auront des difficultés à rouvrir, faute de moyens financiers. Bien malin qui saura déterminer la date de réouverture de ces lieux, fermés depuis mars. « Plus la situation dure, plus les choses se compliquent pour nous, propriétaires de bars et boîtes de nuit. Nous sommes aussi des hommes d'affaires, des opérateurs économiques », déplore-t-il.
De plein fouet Ce sont là aussi plusieurs milliards de francs CFA que l’UNP chiffre comme manque à gagner. Après plus de 4 mois de galère, les acteurs étaient suspendus à la dernière décision du Conseil national de sécurité (CNS). Mais ils ont essuyé un énième refus des autorités de leur accorder le sésame. Le report de trop ? C’est ce que semble croire Josué Gnahoua. « C’est tout un secteur qui est menacé si rien n’est fait », prévient-il. Un secteur qui pourrait mettre à la rue des dizaines de milliers de travailleurs. Les artistes sont eux aussi frappés de plein fouet par la Covid-19. Faute de prestations, il leur faut trouver de nouvelles méthodes pour se faire de l’argent. Participer à une campagne de sensibilisation contre la pandémie n’est pas donné à tous. Et ceux qui sont en studio appréhendent la sortie de leur album dans un contexte aussi inédit et incertain. Yodé et Siro, par exemple, vivent leur première expérience du genre. La vente ? Pas mal. « Nous avons un bon retour de notre album depuis qu’il est sorti», sourit Yodé, lead vocal du groupe. Mais, pour tout le reste, c’est la grande inconnue. « On attend que les choses reprennent au niveau du showbiz, des maquis, des bars et autres. Les profits que nous pouvons tirer immédiatement, ce sont les concerts, les prestations çà et là. Tout cela s’est arrêté. Mais ce n’est pas à cause de cette pandémie que nous n’allons plus travailler. Je pense personnellement que nous allons vivre longtemps avec cette maladie. Chacun doit vaquer à ses occupations, parce qu’il faut bien manger. C’est pourquoi je lance un appel à la vigilance et au respect des mesures barrières », affirme un Yodé confiant. Ibrahima Koné Kalilou dit Fadal Dey abonde dans le même sens. « Les prestations et les concerts sont importants pour un artiste. Mais nous comprenons la situation sanitaire. Il faut accompagner l’État », explique-t-il. Au total, 650 000 artistes sont frappés de plein fouet par la crise, avec une perte de plus de 25 milliards de francs CFA.
Mélodrame Dans ce mélodrame, chacun choisit sa posture. Souffrir en silence, demander de l’aide ou se réinventer. Au niveau des organisateurs de spectacles, on n’est pas en reste. Michel Adiko, patron d’une start-up spécialisée dans l’événementiel, parle d’une perte mensuelle de plusieurs centaines de millions. « C’est un contexte qui va entraîner la faillite de nombreuses structures. Depuis le mois de mars, beaucoup d’entre nous sont sans ressources. Et la situation ne fait qu’empirer », signale-t-il. Le bout du tunnel ? Pas pour bientôt, reconnaît Michel Adiko. Avant de souffler : « tout porte à croire que nous allons vivre longtemps avec ce virus ». D’un autre côté, les cas de contamination journaliers sont toujours inquiétants. Avec une moyenne de 200 malades recensés chaque jour, près de 15 000 malades et 9 000 guérisons, pour un nombre de décès qui avoisine la centaine, la Côte d’Ivoire est l’un des pays africains les plus touchés par le virus. Seule satisfaction : le taux de mortalité de 0,6%. L’un des meilleurs de la planète. Mais, d’après Bleu Charlemagne, porte-parole de la police et Dr Edith Kouassy, conseillère technique au ministère de la Santé et de l'hygiène publique, la situation n’est pas encore sous contrôle. La levée de certaines mesures ne signifie pas que la pandémie est finie ou même vaincue, mettent-ils en garde. Les cas recensés et les actes d’incivisme notés ici et là amènent même les autorités à envisager un retour au durcissement des mesures sanitaires. « On ne peut pas dire que nous avons atteint le pic de l’épidémie, parce que les contaminations continuent d’augmenter. Au contraire, on a déconfiné trop tôt, peut-être pour des raisons économiques. Mais ce n’était pas le moment », souligne certains observateurs, comme Marius Comoé, Président du Conseil national des organisations de consommateurs de Côte d'Ivoire (CNOC). Alors, pour le monde du divertissement, les rideaux resteront encore baissés. Une situation qui commence à faire des révoltés.
Isolement « Il y a deux poids deux mesures. Tu passes ici, les espaces sont bondés de monde, tu vas là-bas, les supermarchés, les pharmacies, sont pleins. Pourquoi, pour les bars et discothèques, on maintient la fermeture ? », déplore Magloire Afoutchi, dépité. Du point de vue de l’Union nationale des propriétaires (UNP), le fait de lever l’isolement du grand Abidjan contraste avec le maintien de la fermeture des lieux de spectacles. « Si on accepte que le virus puisse circuler dans les villes de l’intérieur, pourquoi les bars et boîtes de nuits font-ils si peur ? », questionne-t-il.
Et c’est bien parce qu’ils ont l’impression de subir une certaine injustice, affirme Josué Gnahoua, que certains transgressent les mesures sanitaires. Plusieurs violations ont été enregistrées ces derniers mois. Récemment encore à Abobo (Abobo-Baoulé, Abobo-Te, Kennedy et Belle-Ville), la police du 34ème arrondissement a procédé à l’interpellation et au déferement de plusieurs individus, dont des propriétaires de bars, des serveuses, des disc-jockeys (DJ) et certains clients, pour violation des mesures de fermeture. Mais c’est cela ou mourir de faim, selon Magloire Afoutchi. L’aide promise par le gouvernement pour soutenir le secteur est soit insuffisante soit pas encore disponible, note-t-il. Au niveau de l’État, on estime que ces mesures ont été prises pour sauver le secteur du show-business. « Il y a peu, des chèques ont été remis aux artistes dans le cadre de la phase transitoire du Fonds d’appui aux acteurs du secteur informel (FASI) », explique un membre du cabinet de la ministre la Culture et de la francophonie, Raymonde Goudou. D’après notre source, sur les 6 900 bénéficiaires du FASI, les acteurs culturels sont au nombre de 1 022, dont 700 sont concernés par la première phase. Alors, que les autres patientent !
Raphaël TANOH