Travailleurs : L’entente tacite

Pris en sandwich entre la crise sanitaire à coronavirus et l’élection présidentielle, les travailleurs de Côte d’Ivoire ont de plus en plus l’aspect de pions sur un échiquier. Après une année chaude en 2017, l’accalmie laissait présager d’un calme avant la tempête. Si leur rôle dans le dénouement de la crise politique actuelle n’est pas déterminant, ils pourraient toutefois influencer le front social et, pourquoi pas, faire pencher la balance dans le choix du futur Président de la République. Zoom sur un secteur tumultueux, pour le moment en arrière garde.

Les journaliers du ministère de la Santé et de l’hygiène publique ont débrayé pour réclamer leurs primes. Mais rien de très contraignant. Le mouvement est circonscrit à l’administration. La Coordination des syndicats de la santé (COORDISANTE) est en pourparlers avec le gouvernement pour proroger le payement des primes Covid-19. « Nous n’avons rien à voir avec ce qui s’est passé avec les journaliers du ministère de la Santé », s’empresse toutefois de rectifier Boko Kouao, porte-parole de la COORDISANTE. Au Centre national de recherche agronomique (CNRA), les travailleurs ont fait parler d’eux pendant quelques jours, toujours pour des impayés de salaires et de primes. Des négociations ont vite été engagées. Les inspecteurs du travail ont également tenté de paralyser leurs départements. Mais le mouvement a fait long feu. L’université de Korhogo est aussi en ce moment paralysée par les enseignants qui réclament des arriérés de primes. Le préfet de la cité du Poro s’est aussitôt impliqué. Et les mécontents pourraient être amenés à reprendre le travail dès la semaine prochaine. Les grands mouvements de grève sont pour la plupart en stand-by. Les grèves engagées sont, quant à elles, très vite solutionnées ou étouffées dans l’œuf.

Accord ? Au niveau de l’Intersyndicale de l'enseignement préscolaire et primaire de Côte d'Ivoire (ISEPPCI), l’un des membres du directoire estime que la structure a décidé de geler ses activités pendant cette année électorale. « C’est une sorte d’accord tacite que nous avons pris avec le gouvernement, pour ne pas troubler cette année sensible », indique Abba Eban. Après avoir annoncé récemment des activités, la Coalition des syndicats du secteur éducation - formation de Côte d’Ivoire (COSEFCI), dirigée par Bertoni Kouamé, avait promis remettre sur la table ses revendications, parmi lesquelles la revalorisation de l’indemnité de logement. Avant de mettre balle à terre. Le front social, dans son ensemble, a pris du recul devant la virulence du front politique, amenant certains syndicalistes à évoquer le terme de « trêve non écrite », décidée pour laisser libre cours à la tenue de l’élection présidentielle. Pour autant, les travailleurs accompagnent-ils volontairement ou involontairement les autorités dans cette année électorale, histoire de préserver un climat de paix ? « C’est une simple question de bon sens. Cela n’a rien à voir avec un quelconque accord signé avec le gouvernement. Personne n’a envie de confondre ses activités avec tout ce qui se passe sur le front politique en ce moment », indique Assiéné Koffi, Secrétaire général adjoint de l’Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire (UGTCI). Une réflexion partagée par l’ISEPPCI. « Il faut accompagner le gouvernement dans ce genre de circonstances. Nous sommes des syndicalistes mais aussi des citoyens. En retour, les autorités se penchent mieux sur certains de nos points de revendication », fait savoir Abba Eban. À l’entendre, il ne serait pas bon que des activités syndicales soient confondues aux activités politiques qui ont cours en ce moment. « Nous sommes des travailleurs, pas des politiciens. Lorsque vous engagez des mouvements de grève durant cette période, le plus souvent les gens disent que vous êtes manipulés par l’opposition. On essaye de politiser la lutte. C’est le moyen le plus sûr de vous fragiliser. Ce n’est pas bien », relate-t-il. Mais cette posture n’a rien de syndicale, selon Théodore Zadi Gnagna, Président de la Plateforme nationale des organisations professionnelles de Côte d’Ivoire.

Trêve tacite « Il n’y a eu aucun accord signé avec le gouvernement dans ce sens. Si vous évoquez la trêve sociale signée en 2017, sachez que les termes de cette trêve sociale n’incluaient que les problèmes posés pendant cette période. La preuve, il y a eu des grèves après 2017. Si les fonctionnaires ont mis de côté leurs revendications pour le moment, c’est simplement parce qu’ils ne veulent pas que leurs problèmes soient noyés dans le flot des problèmes politiques. Les gens sont occupés à faire de la politique en ce moment. Ceux qui doivent régler nos problèmes sont les mêmes qui sont sur le terrain politique. Si vous faites sortir vos problèmes maintenant, est-ce qu’il y a plus de chances qu’ils soient réglés ? Ce n’est même pas dans notre intérêt », fait savoir Gnagna Zadi. La preuve, selon lui il n’y avait pas de grèves tous azimuts en 2015 et en 2010, qui étaient des années électorales. Pourtant, dit-il, il n’y avait aucun accord tacite entre les travailleurs et le gouvernement.

Tapé Djedjé Apollinaire, Président de la Confédération des syndicats des fonctionnaires de Côte d'Ivoire (COSYFOCI) ajoute : « attendez qu’il y ait de véritables problèmes, vous verrez si oui ou non il y a une trêve tacite. Vous verrez que les travailleurs vont débrayer. Nous n’avons pas les mêmes calendriers que les hommes politiques. Aucune structure syndicale ne peut prendre un engagement selon lequel elle ne revendiquera pas pendant les années électorales ». Traoré Dohia, Président de la Fédération des syndicats autonomes de Côte d'Ivoire (FESACI), parle de pure coïncidence. « Nous avons toujours eu le même état d’esprit. Je ne vois pas ce que l’année électorale a à voir avec ça. Les travailleurs ont leurs problèmes, les politiciens ont les leurs. L’un ne peut pas empêcher l’autre. Il est vrai que nous sommes aussi des citoyens et que nous aspirons à un climat de paix, mais si nous devons revendiquer pendant cette période, nous le ferons », fait-il savoir. D’après le leader de la FESACI, les travailleurs iront au charbon s’ils le jugent nécessaire, élection présidentielle ou pas. La peur d’être pris pour des manipulés ou des menaces pour la sécurité nationale ?

Accompagnement « Nous avons été mandatés par nos membres pour accomplir certaines tâches. Rien ne peut nous empêcher d’accomplir notre mission. Notre abstention actuelle n’est nullement le signe que nous observons l’évolution de l’actualité politique », précise Jean-Yves Abongo, Président de l’Intersyndicale des fonctionnaires de Côte d’Ivoire (IFCI). Les récents appels à la paix lancés par l’IFCI, aux dires de Jean-Yves Abonga, doivent être séparés de la liberté d’action des faîtières. « Personne ne gagne à ce que le pays soit à feu et à sang. Les organisations des travailleurs ne sont pas là pour cela. Mais nous ne sommes pas là non plus pour accompagner qui que ce soit pendant des élections », tranche Asiéné Koffi au nom de l’UGTCI. Toutefois, Jean-Yves Abonga souligne que sa faîtière veut se saisir de cette occasion pour approcher tous les candidats à la présidentielle d’octobre prochain. « Nous voulons le faire avec l’accord des autres organisations de travailleurs. Si elles sont d’accord, nous le ferons ensemble. Dans le cas contraire, l’IFCI ira seule dans cette démarche. Nous sommes prêts à voter pour le candidat qui s’engagera à satisfaire nos différents points de revendication. Il s’agira pour nous d’aller exposer ce point de vue aux différents intéressés », explique Jean-Yves Abonga. Les travailleurs de Côte d’Ivoire, dit-il, sont nombreux. Et leurs voix comptent.

Raphaël TANOH

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