Enclenchée depuis plusieurs années, la lutte contre la vie chère en Côte d’Ivoire connaît des hauts et des bas. Du coronavirus à la guerre en Ukraine, les autorités ivoiriennes ont su tirer leur épingle du jeu, là où certains pays croulent sous le poids de l’inflation. Hélas, les subventions faramineuses et épuisantes de l’État, qui atténuent la situation, manquent de véritable soutien. Les défenseurs des droits des consommateurs sont en retrait. Les Ivoiriens subissent à longueur de journée sans savoir à quel saint se vouer.
Les Ivoiriens vont-ils assister à une hausse du prix de la baguette de pain ? Les autorités sont en discussion avec les boulangers pour tenter d’éviter cette fâcheuse situation. En cause : la suspension de la subvention du 6 milliards de francs CFA accordée aux meuniers. La conséquence a été l’augmentation du prix du sac de farine, passé de 21 000 à 25 000 francs CFA. Une hausse que Marius Abbey, Président de la Fédération interprofessionnelle des patrons boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire, déplore. Après avoir suspendu leur mot d’ordre de grève pour aller au dialogue, les boulangers baignent dans une incertitude qui ne dit pas son nom. « À part les subventions, nous ignorons encore quelle solution l’État prendra pour éviter que le prix de la baguette du pain ne grimpe », souligne Marius Abbey. Que sont devenus les produits de substitution au blé ? Les farines de manioc, de banane ou d’igname ont été jusque-là un flop. « Nous avons essayé d’introduire ces produits dans la fabrication du pain, mais il y a deux problèmes. D’abord, ils ne sont pas disponibles, ensuite, le manque de vulgarisation fait que c’est difficile de commercialiser du pain fait à base de manioc ou de banane », informe M. Abbey. Pour le moment, les populations croisent les doigts pour que ni le prix de la baguette de pain ni sa qualité ne changent. En attendant, difficile d’avoir un réel contrôle sur la vague de hausses qui touche les autres produits sur le marché. Le bidon d’huile de 45cl se vend 800 francs CFA, la boîte de tomate concentrée de 600 à 700 francs, le kilo de sucre blanc 1 000 francs CFA, etc. Les prix ont connu des augmentations dans une proportion de 10 à 30%. Et ce n’est pas près de s’arrêter.
Plafonnement Environ un an après les mesures de plafonnement, suivies de subventions colossales pour maitriser le coût du carburant à la pompe, la Côte d’Ivoire est en proie à une énième flambée généralisée des produits de grande consommation. Que faire pour atténuer la situation ? « Nous comprenons tous que l’inflation touche tous les pays du monde, à cause de la guerre en Ukraine. Mais, pour ce qui est de certaines hausses que nous constatons dans nos petites surfaces, elles sont du fait de la mauvaise foi et du manque de contrôle », explique Moussa Bamba, agent de mairie à Abobo. Quand, pour Anicet Dion, informaticien au Plateau-Dokui, ce sont plutôt les structures de défense des droits des consommateurs qui ont démissionné. Le droit du consommateur est-il en train de pâtir, noyé dans la vague inflationniste ? Même les associations de consommateurs sont divisées sur la question. Ben N’Faly Soumahoro, Président de la Fédération ivoirienne des consommateurs le Réveil (FICR), également Vice-président du Conseil national de la consommation, repositionne les organisations aux côtés de l’État. Ce qui n’était pas le cas avant. « Aujourd’hui, les associations de consommateurs sont associées aux prises de décisions en amont. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous nous étendons de moins en moins dans la presse, parce que nous savons ce qui se passe», informe M. Soumahoro. Ce que ces associations gagnent en termes d’informations auprès de l’État, elles le perdent en énergie et en confiance aux yeux des populations, qui les considèrent de plus en plus comme des structures contrôlées par les autorités et incapables de les dénoncer.
En coupe réglée Marius Comoé, Président du Conseil national des organisations de consommateurs de Côte d'Ivoire (CNOC-CI) va plus loin. D’après lui, de nombreuses associations ne remplissent plus leur rôle aujourd’hui. La faute à l’État lui-même, qui est parvenu à les mettre en coupe réglée. Mais, souligne le Président du CNOC-CI, dans la lutte contre la cherté de la vie, le rôle des associations de consommateurs n’est pas de prendre des mesures. Elles dénoncent et rien d’autre. « Tout ce que nous constatons comme dérives, comme dysfonctionnements, doit être pris à bras-le-corps. Mais la seule entité habilitée à agir c’est l’État. C’est à lui de prendre des mesures et de les faire appliquer », détaille Marius Comoé. Le Conseil national de lutte contre la vie chère, le Conseil national de lutte contre la concurrence, le Conseil national de la consommation, les Directions générales du Commerce intérieur et extérieur sont pour M. Comoé autant de structures mises en place par l’État pour soulager les populations en cas de crise comme celle que le monde entier vit en ce moment. « Il faut savoir aujourd’hui ce que font exactement ces structures budgétivores pour lutter contre la vie chère », relève-t-il. Mais que peuvent valablement faire ces organismes sur le terrain pour changer les choses ? Selon un proche collaborateur du ministre du Commerce, de l’industrie et de la promotion des PME, Souleymane Diarrassouba, les actions de terrain ont été intensifiées pendant cette période, plus qu’à aucun autre moment, dans la lutte contre la cherté de la vie. « Nous avons effectué plus de 50 000 contrôles, grâce au Conseil national de lutte contre la vie chère. Et ça continue. De nombreuses marchandises ont été saisies », explique notre interlocuteur. La lutte pour le respect des prix plafonnés par le gouvernement ne s’est jamais relâchée, à l’entendre. Le problème, selon lui, c’est la non coopération et des populations et des acteurs du commerce. Rien qu’au mois de mai 2022 le gouvernement en était à environ 2 000 cas de non-respect de prix, des fraudes qui ont été sanctionnés par des amendes de l’ordre de 87 millions de francs CFA. Ce qui n’a pas édulcoré l’ardeur de certains commerçants à poursuivre la hausse des prix. « Un numéro vert a été mis à la disposition de la population pour dénoncer les cas de non-respect des prix plafonnés. Mais nous recevons très peu de dénonciations », déplore notre source. L’autre problème de taille rencontré par le ministère du Commerce, à travers ses structures affiliées, dans la lutte contre la vie chère, c’est le très faible effectif des agents de contrôle des prix, qui n’atteignent pas le millier pour des dizaines de milliers de commerces à suivre rien que dans la ville d’Abidjan. Lorsque, bien sûr, ce n’est pas leur intégrité qui est remise en cause. Le 9 septembre 2022, la Fédération nationale des commerçants et acteurs du commerce de Côte d’Ivoire (FENACACI) remettait un livre blanc accablant aux autorités ivoiriennes sur les pratiques peu catholiques de certains contrôleurs du ministère du Commerce. Y sont mentionnés des rackets de ces agents qui varient entre 10 000 et 300 000 francs CFA. Détenteur également d’un des exemplaires du document, Marius Comoé se montre catégorique : « le système de contrôle des prix des produits a montré ses limites ». Tout comme les acteurs du secteur le préconisent, pour Lamine Ouattara, Président du Conseil fédéral des commerçants de Côte d’Ivoire (CFC-CI), la lutte contre la vie chère doit être avant tout l’affaire de l’État. Outre l’autosuffisance alimentaire que la Côte d’Ivoire poursuit, il y aussi la construction de marchés, aux dires du commerçant. « L’État gagnerait plutôt à offrir aux populations le maximum de marchés de proximité. C’est plus pratique dans la lutte contre la vie chère. Nous avons aujourd’hui un ratio très faible d’un marché aux normes pour 100 000 habitants. C’est très insuffisant ». La Côte d’Ivoire envisage déjà la construction de plusieurs marchés. Mais, pour que toutes ces actions prennent, il faudra des années. D’ici là, les Ivoiriens devront serrer très fort leurs ceintures.
Raphaël TANOH