La panne sèche des robinets de Bouaké survenue fin mars est venue rappeler l’urgence de nouveaux investissements dans le secteur de l’eau. Bien avant, depuis le mois de décembre 2017, les difficultés d’accès à l’eau potable dans plusieurs régions du pays avaient empiré. Une situation prévisible après une longue période de saison sèche mais face à laquelle les autorités en charge de l’eau n’avaient pas pris de mesures d’anticipation. Les ballets incessants des Abidjanais, portant des bidons de 20 litres, en quête d’eau n’avaient hélas pas été suffisants pour sonner l’alerte. L’inauguration en grande pompe des châteaux d’eau de Bonoua et de Yopougon, de même que la construction de châteaux d’eau à l’intérieur du pays n’ont pas résolu le problème, dû à la vétusté des installations existantes et à une population sans cesse croissante.
Cuvettes ou bidons d’eau en main dans de longues files d’attente, en quête d’eau. Le spectacle fait penser à des contrées reculées de l’intérieur du pays. Détrompez-vous! Les grandes villes de Côte d’Ivoire, qu’elles s’appellent Abidjan, Bouaké, Daloa, San Pédro ou encore Korhogo, et même Yamoussoukro, nous proposent quotidiennement ce spectacle. Les plus chanceux sont obligés de veiller une partie de la nuit afin de bénéficier de quelques litres hypothétiques d’eau. Retour donc aux puits et marigots dans les villes secondaires et les villages. Là aussi il faut se lever de bonne heure pour espérer faire partie des heureux élus qui pourront bénéficier d’un seau d’eau plein avant le réveil des autres habitants. Ce triste tableau démontre que les problématiques liées à l’accès à l’eau potable en Côte d’Ivoire sont criardes, car les infrastructures existantes ne supportent plus une pression démographie de plus en plus importante et un exode du monde rural vers les villes. L’eau est donc devenue une denrée rare pour une partie de la population. Abidjan reste de loin la zone la plus fournie, avec 400 000 m3 par jour pour des besoins estimés à 600 000 m3. Les investissements dans la nappe phréatique de la région de Bonoua pour produire 80 000 m3 d’eau quotidiennement et les travaux entrepris au niveau de la station d’approvisionnement de Yopougon (45 000 m3 par jour) n’arrivent pas à combler le déficit.
À sec À Bouaké, d’où est venue l’alerte nationale, les robinets sont à sec. À l’origine, c’est une combinaison de facteurs humains et naturels qui a privé d’eau le plus de 1,5 millions d'habitants que compte cette ville. Le lac de la Loka, auquel Bouaké est raccordée, subit un phénomène d'évaporation des eaux lié au réchauffement climatique. À cela s'ajoute une baisse de la pluviométrie dans la région du centre. Le facteur humain n'est pas non plus à négliger, avec une forte activité de dragage de sable et de gravier sur les rives du lac. Une situation pourtant prévue par le ministre en charges des infrastructures, Amédé Kouakou, qui, en janvier dernier, affirmait « nous pensons que l’ensemble des préoccupations vont être adressées de sorte que des solutions définitives soient trouvées. Il faut que les populations sachent que nous sommes en janvier et février, que c’est la saison sèche. Dans beaucoup de villes, les problèmes d’eau vont commencer et la desserte va être difficile. Le gouvernement a conscience de tout cela ». Une situation intenable qui a surpris les autorités, contraintes d’agir dans l’urgence en déployant 9 citernes de ravitaillement dans la ville sans que cela ne couvre les besoins en eau de la population. Dans l'immédiat, un projet de 10 forages connectés au réseau d'adduction d'eau a été lancé le mardi 17 avril. La situation n’est pas inédite dans pour cette ville et elle a contribué à relancer le débat sur la modernisation des infrastructures visant à ravitailler Bouaké en eau potable, avec comme unique option proposée par les spécialistes le raccordement du réseau au fleuve Bandama, situé à 70 kilomètres de la ville. Autre ville, autres réalités, mais mêmes souffrances. Les travaux de voirie dans la ville de San Pédro ont causé l’interruption de la livraison de l’eau dans la cité. Depuis mars, le spectacle est inquiétant. Entre fermeture temporelle des quelques rares puits afin de permettre à l’eau de remonter, et la longue attente de l’unique camion-citerne de l’Office national de l’eau potable (ONEP), les moins vigilants se font « voler » leurs cuvettes ou bidons d’eau. Fait banal, mais qui entraine des querelles et bousculades interminables devant les points de ravitaillement. Dans le quartier populaire de Yopougon, il n’est pas non plus rare d’enregistrer les plaintes de populations qui passent souvent de deux à trois jours sans eau dans leurs robinets.
Un nouveau business En attendant les solutions durables pouvant atténuer ses souffrances, l’on s’organise comme on peut, par exemple en faisant recours au service de tricycles pour convoyer des bidons de 20 litres d’eau potable. Les coûts variant en fonction des villes et des efforts fournis pour rallier points d’eau et domicile des clients. Un business florissant pour les vendeurs de bidons, les gérants de points d’eau et les conducteurs de tricycles. Gain moyen par jour pour un triporteur : de 5 000 francs CFA à Abidjan à 10 000 francs CFA dans les grandes villes de l’intérieur. De quoi attirer de plus en plus de personnes vers ce commerce, ponctuel et circonstanciel. Visibles dès le lever du soleil, ils parcourent de longues distances afin de desservir les zones les plus reculées. La clientèle n’est pas statique et les adeptes du « premier arrivé, premier servi » peuvent bien rêver. Prime alors la loi du plus offrant. « Les commandes se font généralement par téléphone. Certains clients disposent de bidons, mais la plupart n’en ont pas. Cela est pris en compte dans la fixation du prix et dans la célérité du service », explique l’un de ses derniers. Coût du bidon de 20 litres? 100 ou 200 francs CFA
La riposte s’organise Les causes sont connues et face à la nécessité de résorber les déficits d’eau potable et de corriger les dysfonctionnements des réseaux de distribution, le gouvernement a identifié des projets structurants, inscrits au Plan d’actions prioritaires 2017 - 2020, d’un coût de 1 320 milliards de francs CFA, qui vont permettre de porter le taux d’accès à l’eau potable à 95% de la population en 2020. Dans ce vaste projet, un investissement de 270 milliards de francs CFA est prévu pour les grandes villes du pays, en vue de régler les problèmes en déficit d’eau dans l’immédiat. « C’est au niveau de la distribution et du stockage qu’il y a problème. Il y a la vétusté des canalisations, dont certaines ont plus de 50 ans, qu’il va falloir réparer. On a beaucoup de fuites sur le réseau. Il ne faut pas oublier les fraudes dans les quartiers. Nous sommes en train de voir comment faire pour que les Ivoiriens aient de l’eau sécurisée », promet le ministre Amédé Kouakou. Tout en plafonnant les frais d’abonnement à la fourniture d’eau courante à 1 000 francs CFA depuis février, le gouvernement espère accroitre le nombre d’abonnés et, par ricochet, réduire les fuites. Pour ses autorités, la Côte d’Ivoire, contrairement à certains pays, ne connaît pas de stress hydrique. Elle dispose de suffisamment de ressources en eau, mais celles-ci sont inégalement réparties dans le pays. Par endroits, dans la même commune, à Yopougon ou à Cocody par exemple, il y a des problèmes de pression et le débit n’est pas le même d’un point à un autre, explique Baoua Zoko, chef du service de la réglementation à la direction des ressources en eau de la Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire (SODECI). Selon lui, les ressources en eau, estimées à 3 milliards de m3, pourraient bien connaître dans les prochaines années une surexploitation. Ce qui posera d’ailleurs le problème de la planification des ressources disponibles.
Ouakaltio OUATTARA