Premier producteur mondial de cacao, avec près du quart de la production mondiale et loin devant son voisin et rival le Ghana, la Côte d’Ivoire pourrait ne pas atteindre, cette année la production de 1 800 000 tonnes obtenue lors de la campagne 2014-2015. La baisse, estimée à près de 100 000 tonnes pour le premier trimestre, annoncée depuis le début de l’année par des experts, a finalement été confirmée en Conseil des ministres le 29 juin 2016. Cette baisse conséquente mais prévisible fait planer des craintes sur le prix mondial de l’or brun et les recettes attendues de l’État de Côte d’Ivoire.
De janvier à mars 2016, le cumul de la production parvenue au Port d’Abidjan et sur laquelle on se base pour évaluer la production globale, est établi à 362 000 tonnes contre 414 000 tonnes en 2015 sur la même période, marquant une baisse de 12%, estimée à environ 100 000 tonnes pour l’ensemble de la campagne. Cette chute, expliquent le gouvernement et des experts, est liée à deux facteurs, l’un naturel et l’autre humain. Le premier est la persistance du phénomène climatique El Niño. Il se caractérise par la durée plus longue de l’Harmattan qui assèche le sol et limite fortement la pluviométrie. Ce phénomène impacte la qualité des fèves qui deviennent plus petites et plus acides. La seconde explication de cette baisse annoncée est liée au découragement des producteurs confrontés à une main d’œuvre de moins en moins importante, du fait du désintéressement des jeunes pour le travail de la terre, qui préfèrent se tourner vers les villes. En outre, certains producteurs estimant ne plus avoir une rétribution conséquente pour leurs efforts, abandonnent le cacao au profit d’autres cultures, dont celle de l’hévéa. Cette baisse de production, note-t-on, pourrait impacter également la petite campagne, qui s’étend d’avril à août. Toutefois, producteurs, exportateurs et gouvernement restent confiants et unanimes sur le fait que cette situation ne peut, en aucun cas, remettre en cause le premier rang mondial que détient la Côte d’Ivoire, qui n’est d’ailleurs pas déconnecté d’un déficit de la production globale que les experts évaluent à un million de tonnes de fèves sur le marché mondial. Comme sur le continent africain, les producteurs asiatiques et sud-amé- ricains sont principalement impactés par des facteurs climatiques responsables de cette baisse de rendement, plus que significative.
Producteurs à l’abri de la spéculation
Sur la base du calcul de l’augmentation de la production qu’a connu la Côte d’Ivoire de 2011 à 2015 et de l’augmentation des prix au 31 mars, le gouvernement fait observer un montant de revenu supplémentaire de plus de 700 milliards de francs CFA payé directement aux paysans. Cette hausse, toujours selon le gouvernement, s’explique par le maintien du prix bords champs fixé à 1 000 francs CFA/kg, tant pour la grande campagne que pour la petite. De ce fait, fait remarquer un initié du marché mondial de l’or brun, la variation du coût du cacao à Londres n’influe pas sur le revenu du producteur, mais plutôt sur celui du gouvernement, le cacao représentant 20% du produit intérieur brut (PIB) et 40 % des exportations de la Côte d’Ivoire. Pour certains experts, l’État ivoirien devra néanmoins prendre des dispositions pour créer les conditions pour que les producteurs puissent affronter les exportateurs. « Cela doit passer par un renforcement des capacités, pour que les producteurs puissent avoir accès aux informations boursières de Londres et de New York, afin de vendre leurs productions quand les prix grimpent, et de faire de la rétention en cas de chute des prix », explique Christophe Douka, un gros producteur pour qui le cacao- culteur ne doit plus rester au stade de « simple planteur ». D’ailleurs, poursuitil, même, quand le prix est garanti, le planteur ressent les effets de la chute à cause de sa faible production. Mais pour l’heure, « il est plus judicieux que l’État prenne des dispositions pour mettre les producteurs à l’abri du marché interna- tional afin de ne pas les exposer « aux rapaces, aux acheteurs véreux et aux clandestins », rétorque un expert sous le couvert de l’anonymat.
Politique volontariste
Côté gouvernement, on affirme que le fonds de réserve technique, qui était au départ approvisionné en vue de garantir la viabilité du système des ventes anticipées à la moyenne (initialement de 40 milliards) a été porté à 70 milliards de francs CFA en juin 2015, puis à 120 milliards en juin 2016. Ce qui permet de protéger entièrement les producteurs ivoiriens, de les mettre à l’abri de toute chute, tant au niveau de la vente qu’au niveau du prix CAF (Prix d’un bien à la frontière du pays importateur). Malheureusement, fait ob- server un initié du marché mondial, ni l’État, ni les autres pays producteurs, encore moins les planteurs, n’ont leur destin en main. Tous subissent la fixation du prix qui est arrêté par les grandes firmes du cacao, lesquels se frottent les mains en cas de surproduction, mais sont peu inquiétés lorsqu’il y a chute de production, sachant compter sur leurs réserves. À ce stade, les chiffres de la production ivoirienne, qui sont ceux du premier trimestre, ne devraient pas, pour autant, entraîner une hausse des prix, la production excédentaire de ces cinq dernières années ayant permis aux négociants de se constituer d’importants stocks. Le prix du kilo de cacao sur le marché mondial se fixe à Londres. Et, selon le site du Conseil Café Cacao, il est de 1865 francs CFA.
Face à cette baisse de production annoncée, le gouvernement ivoirien n’envisage pas de baisser les bras. Mieux, le ministère de l’Agriculture et l’ensemble des structures concernées ont été exhortés « à poursuivre la réforme afin de stabiliser les revenus payés aux paysans avec l’objectif de poursuivre l’amélioration des conditions de vie et de travail des paysans », a indiqué le Porte-parole du gouvernement, Bruno Koné. Cette réforme tient en quatre points principaux que sont le renforcement de la bonne gouvernance et de la transparence dans la gestion des ressources, le développement d’une économie cacaoyère et caféière durable, à travers la réorganisation de la production et l’amélioration de la productivité, la sécurisation du revenu des producteurs par la mise en place d’un prix garanti, ainsi que l’amélioration de la commercialisation intérieure et extérieure, et enfin, la mise en place d’une interprofession forte. Objectif : faire en sorte que pour la campagne 2015-2016, il n’y ait finalement plus de peur que de mal.
Ouakaltio OUATTARA