Emploi des jeunes : Une épine dans le pied des gouvernants

Les secteurs de l’informel et de l’agriculture absorbent le plus grand nombre de demandeurs d’emploi.

Quel est l’effectif réel des chômeurs dans notre pays ? Sans entrer dans une guerre des chiffres, nous pouvons simplement noter qu’ils sont encore nombreux, ces jeunes ivoiriens en quête d’un premier emploi qui frappent à toutes les portes. Pourtant, nombre de « politiques » ont été mises en œuvre pour résorber le chômage, mais elles restent insuffisantes face à une forte demande, tant en intelligence et en compétences qu’en main d’œuvre. Une équation difficile à résoudre pour les gouvernants et les structures en charge de l’emploi. Alors que s’ouvre bientôt la Semaine de l’emploi, on peut s’interroger sur l’efficacité de ce type d’événements, organisés régulièrement depuis 2012 mais qui, dans le fond, n’apportent pas de solutions concrètes aux demandes des nombreux jeunes, qui assistent pourtant nombreux à chaque rendez-vous.

Les Assises de la jeunesse sont aujourd’hui devenues la Semaine de l’emploi. Celle-ci se tiendra du 10 au 13 avril prochain. Si la forme et la dénomination changent, il y a de quoi être sceptique quant aux retombées de ces assemblées, qui se succèdent et se ressemblent toutes. Avec un maître-mot :« mettre les demandeurs d’emploi en contact direct avec les recruteurs ». Après deux éditions, précédées elles-mêmes des Assises de l’emploi, le bilan est bien maigre. Parallèlement, les nombreuses initiatives menées par le gouvernement et ses partenaires techniques et financiers ne donnent pas non plus de grands résultats. Des initiatives qui sont souvent inconnues ou méconnues par leurs cibles. S’appuyant sur la dernière enquête de l’emploi, nommée Enquête nationale sur la situation de l’emploi et du secteur informel (ENSEI), le ministre de la Jeunesse et de l’Emploi jeune, Sidi Tiémoko Touré, indiquait en janvier dernier que le taux de chômage en Côte d’Ivoire était de 2,8%. Une déclaration qui n’a pas échappé à la polémique. En prenant en compte la définition du chômage telle que donnée par le Bureau international du travail (BIT) qui définit une personne au chômage à partir de trois critères fondamentaux : une personne sans travail, disponible pour travailler et qui recherche effectivement du travail, l’on pourrait dédouaner le ministre. Mais il faut tenir compte des réalités ivoiriennes, et donc admettre le fait que des personnes en situation de sous-emploi estiment être au chômage. Et c’est pour cela que le ministre Bruno Koné avait relativisé le chiffre en indiquant : « quand vous avez un Bac +4 et que vous vous retrouvez à vendre des noix de coco au bord de la route, vous êtes en sous-emploi par rapport à vos capacités. Et quand nous tenons compte de ce type de population, nous arrivons à un taux de chômage aux environs de 23 ou 26%, sans aller contre ce que mon collègue a dit et qui est parfaitement juste ». Mais pour la Banque africaine de développement (BAD), ces derniers chiffres doivent être revus à la hausse pour atteindre au moins 70%.

 

Inadéquation Les principales causes du chômage des jeunes sont attribuées à plusieurs facteurs, dont la demande globale, l’instabilité et la complexité du marché du travail, l'inadéquation entre les formations initiales et les besoins du marché de l'emploi, le volume de la main-d’œuvre jeune et l'employabilité des jeunes. La situation que vivent les jeunes est avant tout un problème structurel, tant sur le plan du système de production et du marché du travail, qu'au niveau du système scolaire et universitaire. Pour y remédier, certains, comme Victor Adjengbé Koffi, Président des associations pour l’émergence de la Côte d’Ivoire (FAECI), estiment que « les formations délivrées à notre jeunesse doivent évoluer avec les besoins des populations et s’adapter aux réalités du marché de l’emploi ». Un vœu sans cesse renouvelé depuis plus d’une décennie, sans que l’on assiste à des assises entre le monde éducatif et les entreprises, dans un contexte où la crise de l'emploi consécutive aux effets directs et indirects de la guerre a engendré une montée du chômage, une précarité de l'emploi et une forte croissance du sous-emploi. Les politiques et programmes d'emploi entrepris jusqu'ici n'ont pas freiné la tendance, ni fait reculer l'ampleur de l'exclusion du monde du travail dont les jeunes, hommes comme femmes, font l'objet. Pourtant, ce ne sont pas les projets qui ont manqué, notamment depuis la mise en place de l’Agence emploi jeunes (AGEPE). Ils ont été appelés tour à tour Politique nationale de l’emploi (PNE), Projet emploi jeune et développement des compétences (PEJEDEC), « Agir pour les jeunes », ou encore Fonds d'appui aux femmes de Côte d'Ivoire (FAFCI). Malgré ces initiatives, facturées à coups de milliards de nos francs, la demande reste forte et le désespoir habite encore certains jeunes. C’est dans ce sens que Gaoussou Koné, Président  du Conseil national de la jeunesse de Côte d’Ivoire du département de Niakara, (CNJCI), interpelle sur le fait que « la création d’une agence de l’emploi est une bonne chose. Mais on ne va pas toujours rester dans la théorie, il faut du concret, car le chômage est une réalité ».

 

Structures budgétivores ? Au-delà des propositions que fait le gouvernement, des observateurs soutiennent que les structures mises en place pour la lutte contre le chômage sont très budgétivores, pour des résultats assez maigres. Certains, comme Jean Moutti, consultant international, estiment qu’il faut fusionner tous ces programmes en un guichet unique. Il s’agit entre autres du PEJEDEC, de la Plateforme des Services (PFS), de l’Agence nationale de la formation professionnelle (AGEFOP), de l’Agence d’études et de promotion de l’emploi (AGEPE) et du Programme national d’investissement agricole (PNIA). Ironisant, certains estiment que ces structures, pour leur fonctionnement, engloutissent « des milliers d’emplois ». Mais les gouvernants ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, chaque structure répond à des besoins précis et chacune d’elle est dirigée vers une cible, « l’objectif commun est de mener à bien la lutte contre le chômage », soutient un fonctionnaire du ministère de la Jeunesse. Selon ce dernier, sans avancer de chiffres, ces différentes structures ont un budget d’investissement largement supérieur à celui de leur fonctionnement. « Ceux qui y travaillent sont pour la plupart des fonctionnaires de l’État. On pourrait même rétorquer que ceux qui sont sous contrat contribuent largement à la lutte contre le chômage ».

 

Retour à la terre et aux technologies Le gouvernement en fait un cheval de bataille, convaincu que le secteur de l’agriculture est pourvoyeur d’emplois. « L’agriculture est un vivier d’emplois, un bassin fort d’emplois. L’agribusiness est un pan de la politique de la BAD », soutient Holland Nelly, Commissaire générale de la Semaine nationale de l’emploi. S’appuyant sur les expériences des pays de l’Afrique de l’Est, qui ont su développer un véritable business autour de l’agriculture, elle pense que les jeunes Ivoiriens peuvent s’en inspirer. « Le domaine agricole, ce n’est pas seulement défricher la terre. C’est aussi pouvoir créer une plateforme pour maitriser, transporter et commercialiser les produits agricoles », préconise la commissaire, qui estime qu’il y a au moins quatorze métiers différents dans l’agribusiness. C’est dans cette logique que le gouvernement ivoirien avait lancé le Programme national d’investissement (PNIA), sur la période 2012 – 2015, avec pour objectif de créer plus de deux millions d’emplois. « L’émergence de la Côte d’Ivoire passe également par une agriculture performante et moderne, susceptible de combler les besoins nationaux pour ce qui est des produits vivriers, et de favoriser un accroissement substantiel des recettes d’exportation », soutient le gouvernement. Le thème de la Semaine nationale « Agriculture, secteur d’avenir pour l’emploi et l’entreprenariat des jeunes », trouve d’ailleurs tout son sens dans cette politique du gouvernement.

 

Ouakaltio OUATTARA

 

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