Né le 8 mars 1965, à Abidjan, Hamed Bakayoko a tiré sa révérence le 10 mars dernier en Allemagne, des suites d’un cancer. Depuis, le Premier ministre a droit aux hommages les plus grandioses jamais observés dans le pays. Le maire d’Abobo, affectionnément appelé « Abobolais » ou Hambak a passé ses années d’étudiant à Ouagadougou, au Burkina Faso. L’ancien journaliste et homme d’affaires a su devenir un acteur politique incontournable, grâce à son entregent, son savoir-faire et son extrême humanité. Prédestiné à une carrière politique fulgurante, Hamed Bakayoko laisse derrière lui les grands chantiers qu’il a initiés. Son empreinte indélébile sur les dossiers cruciaux du pays, tels que ceux sur la réconciliation nationale ou la réforme de l’armée, ont permis à la Côte d’Ivoire de faire un bond considérable vers la paix.
Au lendemain de la crise postélectorale de 2010, qui a fait 3 000 victimes, c’est un pays presque en lambeaux au niveau de l’armée qu’Hamed Bakayoko, alors ministre de l’Intérieur, entreprend de redresser. À tel point que certains observateurs appellent cette période « l’ère zéro » de la Côte d’Ivoire. La tâche est herculéenne et pour le chef de l’État Alassane Ouattara il faut un homme de confiance. Placé au centre des rouages, Hamed Bakayoko entreprend non seulement le dialogue avec l’opposition, mais est aussi au cœur de la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) et du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion des ex-combattants. Il doit réformer la police, gérer la fronde des militaires. Celui qui est alors le premier flic de Côte d’Ivoire va contribuer à faire passer l’indice d’insécurité de 3,8 en 2012 à 1,3 fin 2014. Le phénomène des enfants en conflit avec la loi ? « Les microbes sont avant tout des enfants traumatisés par la guerre », dira-t-il, avant de s’atteler à la création de centres de resocialisation. La question de ces enfants délinquants était une teigne incurable lorsqu’il débutait au ministère de l’Intérieur, en 2011. Mais, quand il le quitte le 19 juillet 2017 pour celui de la Défense, c’est n’est plus qu’une maladie en rémission.
De 2011 à 2017, Hambak a fait de la police ivoirienne une force de régulation sûre. Les bavures policières ne sont que de vieux souvenirs. Les opérations de sécurisation des élections, des fêtes de fin d’année, des vacances scolaires, des rentrées, sont bien huilées. Et ses Ninjas, grâce à un travail d’infiltration soyeux, ont fait du renseignement une force non négligeable.
Refonte de l’armée C’est donc fort de cette aura que le Golden Boy prend les rênes du ministère de la Défense. Son cheval de bataille sera de veiller à la saine application de la Loi de programmation militaire. Comme tous les Ivoiriens, Hambak a assisté à la déconfiture de l’armée ivoirienne, depuis la crise politico-militaire de 2002. La réunification des ex-rebelles et des forces loyalistes, en 2011, a débouché sur un grand dilemme moral et administratif. Comment récompenser « justement » les Forces armées des forces nouvelles (FAFN), qui ont mené la rébellion, sans risquer de dénaturer la Grande muette ? La Loi de programmation militaire, votée le 4 janvier 2016 par l’Assemblée nationale, devait faire de ce mixage explosif un cocktail doux, une armée professionnelle. Une fois de plus, l’homme de la situation, c’est Hamed Bakayoko. Il voulait un outil de défense capable de faire face aux menaces internes et externes. Il l’a eu. M. Bakayoko voulait une armée qui puisse participer aux opérations de maintien de la paix dans le monde. C’est désormais chose faite. Son travail pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des soldats, la réorganisation du commandement, la consolidation du cadre institutionnel, la professionnalisation et la maîtrise des effectifs, a fini par payer.
Au lendemain de la présidentielle d’octobre 2020, le chef de l’État se dira satisfait de l’attitude de son armée, avant, pendant et après le processus. Non seulement l’armée ne tire plus sur la population, même en cas de provocation, mais elle participe en plus à l’effort de cohésion sociale en sensibilisant.
Avant son décès, le Golden Boy avait à cœur de peaufiner son œuvre, avec notamment le respect des pyramides des grades, de l’âge des effectifs, la poursuite de l’équipement et de la formation des militaires. C’est dans quelques années, avait-il annoncé, que les gens s’apercevront du travail abattu au sein de la Grande muette.
Fibre humaniste Au-delà de son pragmatisme, Hambak, c’était surtout l’homme qui savait faire jouer la fibre humaine, qui la maniait avec dextérité. « Il était très proche de ses collaborateurs. J’ai travaillé avec lui pendant plusieurs années. Il avait un grand respect pour tous ceux qui travaillaient avec lui. Son humanité et sa spiritualité étaient très fortes », note Satigui Koné, Président de la Fédération des ONG de développement, qui a dirigé un quotidien de la capitale sous la houlette d’Hamed Bakayoko. À l’entendre, beaucoup de personnes ne comprenaient pas cette aptitude qu’il avait à tout pardonner. « Les gens avec lesquels il avait eu des problèmes sont revenus vers lui et il leur a ouvert les bras », ajoute-t-il. Cette qualité, le Président le République Alassane Ouattara ne l’a que trop bien remarquée. Lors de son investiture, le 14 décembre, Alassane Ouattara avait appelé à relancer le dialogue politique pour sortir de la crise en Côte d’Ivoire. L’homme à qui le chef de l’État avait confié cette mission, c’était le Golden Boy, alors fraîchement nommé Premier ministre.
Rassembleur Il faut dire que les 87 morts et près de 500 blessés engendrés par la dernière élection présidentielle n’étaient pas fait pour décrisper l’atmosphère. Le dialogue politique lancé le 21 décembre dernier, sous sa houlette, pour trouver un « consensus » en vue d’une « décrispation du climat politique », selon les propres termes de Hambak, n’aura pas été vain. Il donnera lieu à l’une des élections les plus abouties de ces dernières décennies en Côte d’Ivoire : les scrutins législatifs du 6 mars 2021. Ce combat aura été son dernier et sûrement le plus abouti. Enthousiaste, rassembleur, loyal, légitime, etc. Les qualificatifs envers ce vote, depuis le début de la campagne jusqu’au verdict final, sont plutôt flatteurs dans leur ensemble.
C’est de son lit d’hôpital que Hamed Bakayoko suivra ce scrutin. Il est lui-même élu député de Séguéla, avec 92,66% des voix. Parti avec la gloire d’un soldat héroïque tombé au champ de bataille, Hambak portait en lui tous les attributs d’un meneur d’homme. Il était le dénominateur commun, l’architecte, le catalyseur. « C’était écrit que tu devais être un héros et que tu resterais dans la légende », note le journaliste et patron de presse Alex Bamba.
Mais il avait des hauts et des bas, comme tout homme. Son penchant pour le monde de la culture avait fait de lui un homme du show biz. « Il aimait la culture. Lorsque les artistes africains passaient en Côte d’Ivoire, il tenait à ce qu’ils soient bien traités », se souvient Yves-Zogbo Junior, qui a longtemps bossé à ses côtés.
Une casquette dont ses détracteurs se servaient pour le rabaisser. Parfois cité dans des histoires de trafic de drogue, le Premier ministre avait décidé de porter plainte contre les personnes qui tenaient à nuire à sa réputation. Une affaire qui entachait quelque peu son image. Cité comme Franc maçon, Hamed Bakayoko s’était réorganisé avec le temps et se construisait une stature de présidentiable. Aurait-il fini par y arriver ? Personne ne le saura jamais.
Homme de foi, le destin d’Abobolais fut celui d’un héraut qui s’en vient livrer son message et repart dans le soleil couchant.
Raphaël TANOH