La marche vers la présidentielle de 2020 nous réserve encore d’énormes surprises. S’il avait annoncé ne pas être intéressé à rempiler, le Président de la République, Alassane Ouattara, est désormais bien décidé à rebattre les cartes. Assujettissant sa candidature à celle d’un membre de sa génération (Henri Konan Bédié ou Laurent Gbagbo), Alassane Ouattara est bien décidé à jouer les prolongations jusqu’à la dernière minute. La nouvelle Constitution les ayant remis dans le jeu politique, alors que l’on s’attendait à une retraite de ces trois dinosaures, l’on devra encore compter avec eux. En attendant qu’Henri Konan Bédié, poussé par certains de ses cadres, ne décide de sa candidature ou non et que l’agenda judiciaire de Laurent Gbagbo donne une nouvelle orientation à son avenir, l’on peut s’attendre à des duels au sommet.
D’adversaires à partenaires et de partenaires à adversaires, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié pourraient enfin vivre un face à face avorté à plusieurs reprises depuis 1993, après le décès de Félix Houphouët Boigny, dont tous les deux réclament encore l’héritage. Leur réconciliation n’aura duré qu’une quinzaine d’années avant que les vieux démons, endormis grâce à la lutte commune contre Laurent Gbagbo, ne se réveillent et remettent au goût du jour leurs dissensions, vielles de trente ans. Laurent Gbagbo mis à l’écart, les houphouëtistes se préparent au duel dans dix mois. Les choses étaient pourtant bien parties afin que ces deux têtes fortes de la politique ivoirienne prennent leur retraite, selon bon nombre d’observateurs. Mais c’était sans compter avec l’appétit politique des uns et des autres. Dans le flou qu’il orchestre depuis près d’un an autour de sa candidature, Alassane Ouattara vient de rebattre les cartes. Sa candidature est désormais liée à celle de « sa génération ». Celle d’Henri Konan Bédié et, à un degré moindre, de Laurent Gbagbo, encore contraint de rester hors des frontières ivoiriennes. La Côte d’Ivoire s’apprête-t-elle à un remake de 2010 ? L’atmosphère, déjà crispée depuis l’implosion de la majorité au pouvoir, le sera davantage dans un tel schéma et l’on est encore bien parti non pas forcément pour une crise postélectorale, mais pour des échauffourées entre partisans des différents camps. Les trois grandes figures de la politique ivoirienne soulevant des passions, l’on peut s’attendre à un retour en arrière.
Duel de titans Après avoir gardé pendant longtemps le flou autour de leurs candidatures respectives, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié ont de moins en moins le choix de faire connaitre leurs ambitions. Le temps joue contre eux et ils devraient se décider avant la fin du premier trimestre 2020. Au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) la candidature d’Henri Konan Bédié « est presque actée », confient certains de ces proches. « Alassane Ouattara peut se décider. Notre champion est prêt à le battre dans les urnes, pour enterrer définitivement la guéguerre qu’ils se mènent depuis une trentaine d’années », lance un élu du PDCI. Pour Gnamien Yao, farouche défenseur d’une candidature d’Henri Konan Bédié, l’heure n’est plus aux hésitations. « Il n’appartient pas à un candidat de choisir ses adversaires. Et le candidat Alassane Ouattara ne peut pas nous imposer quoi que ce soit. Le PDCI choisira librement son candidat le moment venu ». Henri Konan Bédié devrait donner de nouvelles orientations pour le PDCI le 19 décembre. En attendant, il multiplie les réunions avec son cabinet, afin de préparer la convention devant désigner le candidat du parti. « La désignation du candidat devrait se faire très bientôt et à l’applaudimètre », confie une source proche du PDCI, qui n’a aucun doute sur un plébiscite d’Henri Konan Bédié. Au sein du RHDP, sans dévoiler toute la stratégie élaborée, on explique avoir plusieurs cartes à jouer. La première est cependant la candidature d’Alassane Ouattara. Pour certains cadres de ce parti, « peu importe une candidature de Bédié ou non, Alassane Ouattara devra être candidat ». Selon eux, seule cette candidature fera l’unanimité au sein du rassemblement et garantira à coup sûr une victoire dès le premier tour. Mais, tout en jouant à cache à cache, dans les deux camps nul n’occulte la possibilité de la candidature de Laurent Gbagbo. « C’est vrai qu’il attend toujours la justice. Mais, pour une élection, il faut jouer avec toutes les hypothèses. Une décision des juges avant juin 2020 pourrait faire bouger les lignes. Nous travaillons sur plusieurs scénarios pour ne pas nous faire surprendre », confie un élu du RHDP qui ajoute que cette candidature est pourtant très peu probable. Dans une telle hypothèse, Alassane Ouattara, qui a un bilan à défendre, partira favori vis-à-vis d’un Henri Konan Bédié qui aura du mal à contenir en interne les velléités de candidature et à maintenir la cohésion au sein de son parti. Une donne sur laquelle compte surfer le RHDP, qui ne souhaite pas une élection présidentielle à deux tours. « Le RHDP joue une seule carte. Aller au second tour serait ouvrir la porte à une défaite certaine », commente un fin observateur de la vie politique. Mais les deux ténors (Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié) pourraient aussi déjouer les pronostics et décider de passer la main.
Course contre la montre En cas de désistement, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié pourront-ils donner le temps à leurs candidats de convaincre les électeurs ? Plus le temps passe, plus ils mettent ces derniers dans une posture difficile. « Au RHDP, vous avez Amadou Gon, qui a été mis sous les projecteurs. Mais, voyez-vous, il ne peut pas s’affirmer à 100% tant que qu’il n’est pas sûr d’avoir le OK d’Alassane Ouattara. Au PDCI, les choses s’annoncent un peu plus difficiles. Toutes les volontés sont soumises au regard d’Henri Konan Bédié. Jean-Louis Billon n’a pas renoncé, mais est peu présent sur le terrain, pour ne pas frustrer sa direction, et les autres sont obligés d’en faire autant », explique Firmin Kouakou, politologue. Selon ce dernier, dans un tel schéma, ce ne sont pas les programmes qui seront mis en avant, mais la volonté de voir un parti ou un autre au pouvoir qui guidera le choix des électeurss. « En cas de retrait de ces deux personnalités, ce sera plus le vote d’un parti contre un autre que le vote d’un programme. On n’aura pas avancé au niveau du jeu démocratique », déplore-t-il. En attendant, les candidats putatifs dans les deux camps avancent masqués. Menant un lobbying en interne, ils tâtent également discrètement le terrain. C’est le cas par exemple de Thierry Tanoh. Resté discret pendant longtemps, il multiplie depuis peu les rencontres avec des leaders d’opinion et des décideurs afin de sonder l’opinion. Selon certains de ses proches, il devrait dans les mois à venir commander des sondages pour avoir une idée de ses chances. Il n’est pas le seul. Autour d’Amadou Gon Coulibaly, plusieurs mouvements de soutien naissent et se font l’écho de sa candidature. Quelque peu mis en minorité, Albert Mabri Toikeusse n’a pas non plus renoncé au sein du RHDP. Mais il devra bien compter avec des personnes comme Jeannot Ahoussou Kouadio, Daniel Kablan Duncan, Patrick Achi, etc., qui se rasent tous en pensant également à la possibilité d’être le candidat du RHDP en 2020. Même si elles sont connues des Ivoiriens, le choix de l’une de ces personnalités sera difficile. En dix mois, il sera difficile à chacun de ces candidats de « dernière minute » de mobiliser autour de lui, d’abord en interne, et ensuite de parcourir le pays pour présenter un programme et espérer convaincre un grand nombre d’électeurs. Toute la différence pourrait se faire à ce niveau. Tout en espérant que des dispositions soient prises pour qu’il y ait le moins de candidatures possible, les candidats de chaque camp pourraient se frotter les mains et éviter des surprises désagréables au soir du 30 octobre. En attendant, chacun peaufine discrètement sa stratégie afin de ne pas être surpris.
Yvann AFDAL