Émergence 2020 : Une ambition à l’épreuve des urgences sociales

Les présidents africains à la recherche d’un modèle pour atteindre l’émergence

Deux ans après la première édition de la Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique (CIEA), le continent s’est donné rendez-vous à Abidjan depuis le 28 mars et ce jusqu’au 31 mars, pour sa seconde rencontre. S’ils n’ont pas le même agenda dans la marche vers l’émergence, les participants demeurent tous convaincus que leur destin reste lié et que chacun devra, à son rythme, en tenant compte des réalités politiques, économiques et sociales, tracer sa voie. Apparemment plus pressée, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui à quelque trois années de l’échéance qu’elle s’est elle-même fixée. Pourtant, le chemin reste encore long et les défis énormes à réaliser. Si les autorités ivoiriennes en sont conscientes, les actions peinent parfois à rassurer les Ivoiriens qui, après les programmes avortés de l’Éléphant d’Afrique (1993-1999) et de la Refondation (2000-2010), restent partagés face à l’optimisme du gouvernement.

À la question de savoir ce qu’était l’émergence, l’un de nos concitoyens, sur les antennes de la chaîne nationale, a répondu que l’émergence c’est quand on a la tête dans l’eau, on arrive à s’en sortir, on nage et ensuite on peut s’envoler », ironisait le Président Alassane Ouattara, lundi 28 mars, à l’ouverture de la seconde édition de la Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique (CIEA). Si la boutade a soulevé des rires dans la salle, cette définition de l’émergence est, selon le chef de l’État ivoirien, une parfaite illustration de ce concept. C’est pourquoi, il s’accorde avec le président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, pour dire qu’il est important de montrer aux populations que l’émergence n’est pas « un slogan », ni l’affaire d’un gouvernement, encore moins d’un parti politique, mais qu’elle exprime plutôt « la volonté collective d’un peuple de sortir d’une situation de vulnérabilité et de prendre son destin en main. »                      

Volonté affichée Depuis 2012, presque tous les discours des politiques et même des économistes ne se terminent sans le bout de phrase « en vue de l’émergence 2020. » Une manière simple de dire que chacun doit s’approprier cette ambition. Pour le gouvernement, tout reste encore possible avec le Plan national de développement (PND 2016-2020), qui selon la ministre en charge, Nialé Kaba, permettra de relever d’énormes défis et d’investir d’importantes sommes d’argent dans différents secteurs majeurs, tels que l’éducation, la santé, ou encore les infrastructures, clés de voûte de l’émergence. Sur la base des résultats du PND 2012-2016, le gouvernement se félicite d’avoir mis en œuvre une politique visant à améliorer les conditions de vie des Ivoiriens, comme en témoignent la revalorisation des salaires des fonctionnaires, l’augmentation de 50% du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), les réformes pour garantir les prix d’achat des produits agricoles, même si le cacao connait une mévente depuis quatre mois. Mais beaucoup reste à faire. Des réformes auxquelles il faut ajouter la construction de nouvelles routes depuis 2012, qui se poursuit avec pour priorité de relier les grandes régions. Conscient que ces efforts ne sauraient porter sans un changement des mentalités, le Président Ouattara a lancé la notion de « l’Ivoirien nouveau », afin que ses compatriotes, en adoptant les valeurs et les bonnes pratiques, soient les acteurs principaux de cette marche vers l’émergence. Pour l’heure, la révolution des mentalités ne semble pas encore en marche, dans un pays où tout est « politisé et politique », selon le professeur Sery Bailly, qui s’exprimait il y a peu sur la réconciliation.                          

Obstacles Cette marche reste pourtant entravée et l’échéance pourrait être reportée. C’est ce que croit Martial Atsé, étudiant en thèse d’histoire et participant à la CIEA. Pour lui, il va falloir attendre 2040 car « la transformation locale de nos produits et la transparence dans la gestion des affaires de l’État ne sont pas pour demain. » Dans un contexte gangréné par le mécontentement d’ex-combattants et de soldats réclamant des primes qui mettent à rude épreuve les finances de l’État, il y a de quoi donner des arguments aux plus pessimistes. Une réalité qui, selon l’analyste politique Faustin Toha, montre que la question de l’émergence doit aller au-delà de la croissance économique annoncée par la classe dirigeante. « Que valent ces chiffres, si en quelques heures les institutions de la République sont obligées de se plier aux exigences de certains groupements d’intérêts ? », s’interroge-t-il. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la moitié de la population ivoirienne continue de vivre en dessous du seuil de pauvreté. Selon l’enquête sur le niveau de vie (ENV) 2015 de l’Institut national de la statistique, le taux de pauvreté est de 46,3 %, avec des populations vivant avec moins de 737 francs CFA par jour. C’est pourquoi M. Toha pense que « l’émergence se fera avec des personnes capables de redoubler d’efforts dans le travail dans un environnement débarrassé de la corruption, du clientélisme, en un mot, de la mal gouvernance ». Il est clair que pour ce dernier, tout porte à croire que la Côte d’Ivoire a encore du chemin à parcourir. Il faudra, plutôt que de célébrer son auto-émergence, doubler d’ardeur pour que les projets ne connaissent pas le même sort que ceux de « l’Éléphant d’Afrique » arrivé, selon un humoriste, « avec un pied cassé. »                                 

Multiples priorités Déjà en mai 2011 à la sortie de l’hôtel du Golf où l’avait confiné la crise post-électorale, le Président Ouattara indiquait que « tout était prioritaire. » Six ans après, mêmes si des profondes réformes ont suivi et des centaines de milliards ont été investis, tout reste encore priorité. De la santé à l’éducation, en passant par l’accès à l’eau potable et à l’électricité, de même que l’état des routes, d’énormes défis sont à relever. Un autre facteur non moins important, qui retarde la marche vers l’émergence, réside selon le président de la BAD, dans « le fait que la croissance ne soit pas pour l’heure bien partagée. » D’autant moins qu’elle ne s’accompagne pas toujours d’une dynamique de transformation structurelle et d’un accroissement significatif de la productivité. Une situation qui déteint sur les conditions de vie des populations, a-t-il fait remarquer. Dans la même veine, Hiroshi Kato, vice-président senior de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), dont le pays est un exemple en matière de développement accéléré, estime que sur la voie du chemin de l’émergence, il y a des besoins urgents à prendre en charge, notamment à l’égard des personnes défavorisée.

 

Ouakaltio OUATTARA

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