Franc des Colonies françaises d’Afrique ou franc de la Communauté financière Africaine ? Peu importe, le franc CFA est, de l’avis de certains observateurs, « un sujet dont tout le monde parle, mais autour duquel il n’y a aucun débat. » Défenseurs et pourfendeurs de cette monnaie se contentant de développer leurs thèses, sans oser s’affronter directement. Même au-delà des frontières de la Côte d’Ivoire, le tableau reste le même avec, il faut le reconnaitre, une montée en force de ceux qui estiment que les pays francophones d’Afrique centrale et de l’ouest doivent sortir de la « monnaie coloniale ». Si le régime de la Refondation avait sans cesse décrié cette monnaie, jamais il n’était allé plus loin. « Repassez demain », semblent dire les banquiers aujourd’hui au pouvoir.
En 2011, alors que la crise post-électorale battait son plein, la question de la création d’une monnaie ivoirienne, jusque là évoquée dans le cercle restreint des universitaires, avait refait surface. C’est que depuis la fin décembre 2010, Laurent Gbagbo, qui refusait de céder le fauteuil présidentiel après sa défaite au second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre, était privé de signature à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) au profit d’Alassane Ouattara, dont la victoire était déjà reconnue par la communauté internationale. Dans la foulée, l’idée de la création d’une Monnaie ivoirienne de la résistance (MIR) avait été lancée, et des exemplaires des coupures de ces billets vendus dans les rues du Plateau. Un non évènement pour Alassane Ouattara et ses amis, alors confinés à l’hôtel du Golf, alors que le ministre du Budget d’alors, Katinan Koné, soutenaient qu’il fallait profiter de cette crise pour couper le cordon ombilical avec « le franc colonial ».
Franc de la servitude ? En tout cas, pour les économistes comme Katinan Koné et Mamadou Koulibaly, la Côte d’Ivoire, et par ricochet les pays d’Afrique, n’obtiendront leur liberté que lorsqu’ils se seront débarrassés du franc CFA. À cet effet, Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale, rappellait en 2014 lors d’un débat sur la relation Côte d’Ivoire-France, que le projet de société du Front populaire ivoirien (FPI) de 2000 proposait d’engager la réflexion sur cette monnaie de la « servitude », comme la qualifiaient les barons de ce parti. Pour lui, le franc CFA ne peut « satisfaire la définition historique d’une monnaie et il amplifie, par ailleurs, des déséquilibres économiques insoutenables et ne peut donc être considéré comme une construction viable ». D’où « l’impératif pour les pays de la zone franc de l’abandonner rapidement. » Une thèse que soutenait Katinan Koné dans son livre : « Côte d’Ivoire, l’audace de la rupture », paru chez L’Harmattan en 2013. Pour lui, « une monnaie africaine forte est loin d'être une vue de l’esprit, car l'Afrique réunit suffisamment d'arguments pour soutenir sa monnaie, ne serait-ce qu'en utilisant l'arme des matières premières. » Plus loin, il estime que cette monnaie pourrait devenir une devise dans le système monétaire mondial et renforcer le pouvoir des États africains. « Pour ce faire, ces États devraient faire des toilettes intimes à l'intérieur de chacun d’eux, en inventant leur propre démocratie. »
La Côte d’Ivoire possède-t-elle les atouts pour participer aux échanges internationaux avec une monnaie qui lui est propre ? « Oui. », répond à JDA Danon Gohou, expert en économétrie et en macroéconomie, pour qui « les bords de la lagune Ébrié regorgent de biens très convoités par d’autres nations et de beaucoup de cerveaux pour concevoir cette monnaie.»
Contre-attaque des banquiers Le Président de la République Alassane Ouattara n’entend pas les choses de cette oreille. Pour ce gouverneur honoraire de la BCEAO, qui s’exprimait sur la question à Paris en 2015, « si on regarde sur une longue période de 25 à 30 ans, cette monnaie a été utile aux populations. Les pays de la zone franc sont les pays qui ont eu la croissance la plus continue sur une longue période. Ce sont les pays qui ont eu un taux d’inflation le plus bas, c’est l’une des rares zones où le taux de couverture de la monnaie est quasiment de 100%. » Sur cette lancée, il invitait d’ailleurs les intellectuels africains à « faire preuve de retenue et surtout de discernement. » Et d’ajouter que « si le terme franc CFA gêne, on peut le changer. » L'actuel gouverneur de la BCEAO, Tiémoko Meyliet Koné, va dans le même sens, bien que sa position l’empêche d’aborder l’aspect politique de la monnaie liée à la souveraineté des États. Répondant à nos confrères de Jeune Afrique en novembre 2016, il a fait remarquer que « les critiques contre le franc CFA ne sont pas du tout nouvelles, mais aussi vieilles que la monnaie elle-même et portent indifféremment sur plusieurs aspects (souveraineté, régime de change, garantie de la convertibilité, politique monétaire, etc.) » Il estimait par ailleurs que ces critiques avaient conservé le même fond et la même forme, plus de 40 ans après, alarmant « inutilement l’opinion », bien que rarement appuyées par des études scientifiques crédibles. Pour lui, il n’existe donc pas de « raison suffisante pour faire évoluer le dispositif monétaire actuel. »
Une volonté panafricaniste ? Pourtant, au niveau continental, des voix de plus en plus audibles réclament une monnaie africaine totalement indépendante. Du président tchadien Idriss Déby Itno qui évoquait la question en avril 2015, à l’ex-ministre togolais de l’économie, Kako Nubukp, anciennement chef de service à la BCEAO, et co-auteur du livre « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire », paru le 3 octobre 2016, on milite pour cette cause. C’est dans ce sens que l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, Carlos Lopes, qui vient de démissionner de son poste de secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), confiait au journal Le Monde en septembre 2016, qu’il « faut vraiment une discussion sur la zone franc car aucun pays au monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis trente ans. Cela existe dans la zone franc. Il y a donc quelque chose qui cloche. » Tous pensent d’ailleurs que le mécanisme du franc CFA est désuet, plaidant pour que le débat monétaire soit déconnecté du débat sur l’émergence des pays africains annoncée pour 2020 pour certains, et 2030 pour d’autres. Pour ces économistes, la stabilité monétaire ne doit aucunement entraver le débat. Enfin, dénoncent-t-ils, la valeur externe du CFA est déléguée à une entité extérieure qu’est le Trésor français, qui bénéficie donc de ces devises pour son propre financement.
Ouakaltio Ouattara