Gnambros : Le dernier virage ?

Groupe de syndicats du secteur de transport, appelés « gnambros », la présence des chargeurs illégaux dans les gares routières n’a jamais été autant décriée. Courant juillet, des batailles rangées entre eux à Koumassi avaient conduit les municipalités à fermer certaines gares de cette commune. L’assassinat fin août d’un gendarme dans la commune de Yopougon a soulevé une vague d’indignation et amené les autorités à prendre des mesures. Ce n’est pas la première fois que les gnambros sont traqués. Depuis longtemps, les autorités en charge du transport et de la sécurité dans la ville d’Abidjan multiplient les tentatives pour assainir ce milieu, en vain. Cette fois sera-t-elle la bonne ?  

Et si c’était l’agression de trop, la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? La fin des haricots pour ces chargeurs illégaux dans les gares routières de Côte d’Ivoire, plus connus sous le pseudonyme de « Gnambros » ? Le meurtre du Maréchal des logis (MDL) Anderson Sony Tiecou, fin août dernier à la gare « Lavage » de Yopougon, a semble-t-il sonné le glas. Venu mettre fin à une bagarre, le sous-officier a été poignardé avant d’être abattu avec sa propre arme. Les agresseurs ont pris leurs jambes à leur cou mais ont été arrêtés quelques jours plus tard par la police. Les choses sont donc allées trop loin cette fois-ci. Si jusque-là les autorités avaient fermé les yeux sur les dérives auxquelles s’adonnaient ces « gnambros » (agressions, consommation de drogue) et surtout sur la prime de chargement qu’ils exigent des chauffeurs de gbakas et de wôrô-wôrôs (véhicules de transport en commun), elles ont décidé que la récréation était terminée. Du moins, pour tous ceux qui exercent à Yopougon. Depuis début septembre, la traque lancée contre eux dans ce quartier a abouti à l’arrestation de plus de 300 individus. Auparavant, les autorités avaient démontré lors d’une réunion à la préfecture d’Abidjan qu’il était temps de traiter la question à la racine. D’importantes personnalités ont pris part à cette rencontre : le préfet d’Abidjan Vincent Toh Bi, les maires d’Adjamé, Farik Soumahoro, de Yopougon, Gilbert Kafana Koné, de Bingerville, Issouf  Doumbia, et des représentants des autres mairies du District d’Abidjan. Ils avaient à leurs côtés des représentants de la gendarmerie, de la police et des ministères des Transports, de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme. Objectif pour ces illustres acteurs: généraliser la mesure d’interdiction de l’activité des chargeurs illégaux dans toutes les communes du District d’Abidjan. Pour le préfet d’Abidjan, tout comme pour les maires présents, les « gnambros » encaissent de façon irrégulière de l’argent sur la voie publique. Une situation qui doit cesser dare-dare. Mais, passés les débuts plutôt encourageants de la traque, il faut dire que l’engouement est quelque peu retombé. À Yopougon, ceux qui avaient été chassés manu militari reviennent progressivement sur les voies, parfois avec la complicité des chauffeurs. Avant Yopougon, le maire de Koumassi avait également décidé d’interdire cette activité dans sa commune.

La traque À ces deux communes veut s’ajouter Cocody, le quartier huppé de la capitale. En 2016 déjà, le maire était parvenu à faire disparaître ces individus mal aimés. Mais ils sont revenus un an après. Ce qui faire dire aux acteurs du transport qu’il y a lieu de prendre des mesures plus drastiques. « Ce sont des individus qui viennent de façon illégale dans les gares routières pour rançonner les braves chauffeurs. Pour chaque chargement, chacun doit payer de 300 à 1 000 francs CFA. Imaginez le nombre de wôrô-wôrôs et de gbakas qui existent et le nombre de chargements qu’ils font dans la journée. Au nom de quoi font-ils cela ? », s’indigne Adama Touré, Président de la Coordination nationale des gares routières de Côte d’Ivoire (CNGR-CI). Pour lui, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Il y a longtemps, selon lui, que ce phénomène mine le milieu du transport. « Le phénomène a vu le jour dans les années 90, avec le retrait partiel de la Sotra du transport public et l’avènement des gbakas et wôrô-wôrôs. Mais c’est au début de l’année 2000 que ces chargeurs illégaux ont explosé. Nous avons à maintes reprises dénoncé leurs actions, mais cela n’a pas abouti. Ils prétendent assurer notre sécurité dans les gares et, au nom de cela, ils nous obligent à prendre des tickets, comme la mairie, et prélèvent des sommes sur nos chargements. Ce n’est pas normal », ajoute le président de la CNGR-CI. C’est le bon moment d’après lui pour faire disparaître cette race de racketteurs, qui devrait appartenir au passé. « Chaque fois qu’il y a eu une traque contre les gnambros, il a fallu attendre qu’ils agressent quelqu’un. Nous pensons que c’est le moment de les interdire partout et non dans seulement quelques communes. Il faut pour cela que les maires s’y mettent », poursuit Adama Touré. Mieux, pour Ibrahim Diaby, Président du syndicat des chauffeurs des taxis intercommunaux de Côte d’Ivoire, il faut prendre une décision d’envergure nationale.

Protection ? « Jusqu’ici, nous n’avons vu que des actions menées de façon unilatérale par certaines mairies : Yopougon, Koumassi et Cocody. Mais il y a dix communes à Abidjan. Il faut donc que ce soit pareil dans toutes. Et, pour cela, nous pensons que les autorités doivent s’impliquer beaucoup plus. La traque menée contre eux doit continuer sans relâche. Parce que, dès qu’on desserre l’étau, aussitôt ces chargeurs illégaux reviennent. Nous l’avons vu à Yopougon, à Koumassi et à Cocody. Il faut être impitoyable », indique Ibrahim Diaby. Mais il y a un os, reconnait-il. Ce sont des individus qui agissent sous les ordres de personnes souvent « haut placées ». Et M. Daby d’expliquer : « les gnambros ne viennent pas d’eux-mêmes dans les gares pour encaisser. On dit qu’ils viennent avec l’accord des chauffeurs, qui sont pourtant les premiers à se plaindre. Mais ils sont surtout sous la protection d’hommes politiques et de certains officiers supérieurs. Parfois, les mairies sont elles-mêmes complices ». La raison, selon lui, est que ces chargeurs illégaux engrangent énormément d’argent. Ce sont, dit-il, des milliards de FCFA chaque année qui circulent dans ce milieu. Il est donc facile de corrompre, avec autant de fonds, d’après Ibrahim Diaby. « Pour un tel problème, il faut que l’engagement politique vienne de là-haut, si on veut les stopper. Sinon, ça ne marchera jamais », fait savoir le transporteur. La première menace, à l’entendre, c’est l’insécurité grandissante que la présence des ces chargeurs entraîne. « La drogue, les agressions, les bagarres, etc. ils sont à la base de tout cela dans nos rues », soupire M. Diaby. Mais ce tableau est-il fidèle ? Non, selon Adama Yéo, porte-parole de ces chargeurs et également Président du Groupement des chauffeurs. « C’est un faux procès qu’on nous fait. D’abord, cette appellation de gnambros ne nous convient pas. Nous sommes des chargeurs qui exerçons dans les gares routières. Nous aidons les chauffeurs à charger leurs véhicules et nous portons leurs problèmes quand ils en ont », se défend Adama Yéo. Ce qui se passe, d’après lui, c’est que des individus non contrôlés se prétendant chargeurs se postent dans certaines rues pour encaisser des « taxes » auprès des chauffeurs. « Ce sont ceux-là qui sont dangereux. Et ils rejettent l’opprobre sur nous », déplore Adama Yéo. Tout en prônant une meilleure organisation en leur sein, il demande aux Ivoiriens de faire la différence. Au niveau du ministère des Transports, on affirme que « blanc bonnet, bonnet blanc, c’est pareil ».  « Le milieu du transport est trop gangrené. L’argent qui doit être destiné aux vrais acteurs et permettre le renouvellement du parc automobile est détourné par des individus qui se prétendent chargeurs », explique une source proche du ministre, avant d’assurer que les gnambros vont disparaître. « Cela adviendra quand il n’y aura plus de gbakas ni de wôrô-wôrôs, mais un système de transport  performant. Ils disparaîtront parce qu’il n’y aura plus personne à racketter ».

Raphaël TANOH

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