À l’appel des partis politique de l’opposition, suite à une descente de militaires sur les cités universitaires, des centaines de militants envahissaient les rues du Plateau, le 18 février 1992. Le Palais de justice est saccagé, des dizaines de voitures partent en fumée. Des bâtiments administratifs, mais aussi des propriétés privées, sont touchés. Abidjan et la Côte d’Ivoire sont en état de choc. Laurent Gbagbo et plusieurs cadres du FPI sont mis aux arrêts. Les évêques catholiques appellent au calme et au dialogue, mais cela n’empêche pas l’ouverture de procès, où la plupart de ces personnes sont condamnées. 26 ans après, les bouleversements de la vie politique remettent face à face les mêmes protagonistes, dans les mêmes rôles et presque dans les mêmes situations.
Février 1992. La Côte d’Ivoire enregistre une marche qui dégénère violemment autour du Palais de justice du Plateau. Amnesty international, dans un rapport publié au mois d’août de la même année, fait état de 77 personnes interpellées, jugées et condamnées à des peines d’emprisonnement allant de un à trois ans. Il s’agissait, entre autres, d’hommes politiques, d’étudiants et de journalistes, qui seront libérés au cours de la même année. L’appel lancé par le Front populaire ivoirien (FPI) avait reçu un écho favorable au sein de la classe politique, qui surfait sur les causes estudiantines. La Fédération estudiantine et scolaire (FESCI) d’alors, dirigée par Joseph Martial Ahipeaud, venait d’enregistrer une descente de forces de l’ordre sur le campus, qui s’était soldée le 13 février 1992 par l’arrestation de neuf étudiants, dont le Secrétaire général. Ils seront rejoints par des hommes politiques du FPI et du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) une semaine après. C’est que l’opposition, dans son ensemble, avait organisé une marche en vue de demander la libération des étudiants, dont le procès était prévu pour le 18 février. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) est alors au pouvoir, avec Alassane Ouattara comme Premier ministre et Henri Konan Bédié à la tête du Parlement. Parmi les prisonniers, les plus célèbres sont Laurent Gbagbo et son épouse Simone. 26 ans après, ces deux camps se font toujours face, presque dans les mêmes rôles et les mêmes postures. Alassane Ouattara, Président de la République, gouverne avec les conseils de son aîné Henri Konan Bédié, dans une alliance qui regroupe tous les Houphouëtistes d’alors. Laurent Gbagbo est en prison à la Haye, cette fois avec « son fils politique » Charles Blé Goudé, et Simone Ehivet Gbagbo en prison à Abidjan, avec plusieurs autres cadres du FPI. Si, à l’époque, on citait Boniface Ouraga Obou, Louis Dakoury Tabley, René Dégni Ségui René, Odette Sauyet Likikouet, Georges Coffi, Lazare Koffi Koffi, Laurent Akoun, Bruno Gnaoulé Oupoh et Kessié Koudou, aujourd’hui d’autres figures les ont en quelque sorte remplacés, comme Moise Lida Kouassi, Assoa Adou et Alphonse Douaty, tous en détention. Bataille permanente ? À y voir de prêt, dans la bataille entre les héritiers de Félix Houphouët Boigny et le camp de Laurent Gbagbo, les armes n’ont jamais été déposées. Séparés après la mort de leur mentor, les premiers cités ont su mettre de côté leurs désaccords pour la reconquête du pouvoir. La conséquence directe de cette alliance a eu pour effet de reconstituer le schéma politique qui prévalait sous l’ère du père fondateur, commente le Professeur Christophe Kouamé. Il y voit d’ailleurs une vengeance à plusieurs niveaux. « Si le PDCI n’a jamais pardonné à Laurent Gbagbo son opposition à Houphouët Boigny, le RDR garde encore en mémoire ce qu’il considère comme une trahison du FPI au lendemain du coup d’État de 1999, consacrant la mort du Front républicain, la première alliance politique ivoirienne ». Une thèse partagée par certains militants du FPI, qui croient en une volonté manifeste du PDCI et du RDR de vouloir écarter « Laurent Gbagbo et les siens du jeu politique ». Faux, leur rétorquent certains cadres du RHDP, qui voient dans cette situation « un simple hasard du calendrier politique et des actes que l’opposition, tant celle de 1992 que celle d’aujourd’hui, doit assumer ». Même si, à l’approche de l’échéance de 2020, ces différentes figures devraient, pour la plupart, passer le flambeau à une nouvelle génération, l’on note que les héritiers putatifs, dans les deux camps, sont également acteurs de cette bataille et devraient sûrement jouer les prolongations dans les années à venir.
Dos à dos Pour ce 26ème anniversaire, le parti de Laurent Gbagbo, divisé depuis début 2014, date de la libération de Pascal Affi Nguessan, n’arrive toujours pas à recoller les morceaux. Les signaux d’une réconciliation au sommet donnés par la médiation de certaines bonnes volontés avant la fin de 2017 ont vite volé en éclats, chacun campant sur sa position initiale. « Pour nous, il n’y a pas de débat. Pascal Affi Nguessan n’est plus militant du FPI, car exclu du parti lors du congrès de Mama (village de Laurent Gbagbo), en 2015. On ne peut donc pas nous demander de partager la même table que quelqu’un qui n’a pas le statut de militant », confie un membre de la tendance Aboudramane Sangaré. Même si les lignes bougent au sein de cette tendance, qui boycotte les élections jusqu’à présent, sa participation à un quelconque scrutin restant conditionnée à la libération de ses camarades, y compris Laurent Gbagbo, sur qui elle compte pour reconquérir le pouvoir en 2020, et à une réforme de la Commission électorale indépendante (CEI). Démarche contraire pour Pascal Affi Nguessan, qui tient la barre de la légalité du FPI et estime qu’il faut participer au jeu démocratique pour espérer faire changer les choses en sa faveur. Il avait consenti à reporter le congrès du FPI prévu courant 2017, et n’écarte pas l’option de le tenir en 2018. D’ailleurs, lâchent ses proches, il est convaincu « qu’il devra avancer sans Sangaré et les autres, d’où la quête d’un nouvel allié, plus fort ». Un appel qui, selon quelques indiscrétions, n’a pas donné de résultats probants avec le PDCI et l’Union pour la démocratie et la paix (UDPCI) d’Albert Mabri Toikeusse, même si l’alliance des Houphouëtistes bat de l’aile. S’ils soutiennent que la réconciliation interne est impossible avec Sangaré, évoquant plus une question d’égo que d’idéologie, Pascal Affi Nguessan et ses proches cachent mal leur gêne de ne pas être reçus à la Haye par Laurent Gbagbo, l’ultime arbitre de cette crise.
Militants désorientés Dans cette atmosphère paralysante au sein du parti, les militants du FPI passent pour être les plus grands perdants. Réduits presque au silence, certains, comme Michel Amani Nguessan, ex Vice-président du parti, ou encore l’ex ministre de la Défense Bertin Kadet, préfèrent rester loin des deux tendances. Après une vaine tentative de rencontrer Laurent Gbagbo en 2017, Michel Amani Nguessan qui, pour la circonstance, avait pris ces distances avec Pascal Affi Nguessan, se mure dans le silence. « Les militants sont désorientés et quand quelques-uns essaient de rapprocher les différentes tendances, leurs actions sont sabotées, quand ils ne sont pas taxés de rouler pour l’un des deux camps ou traités de vendus », se plaint Achille Gnaoré, Président des Parlements et agoras. Quelque peu dispersés, certains naviguent entre le parti de l’Union des nouvelles générations (UNG)de Stéphane Kipré, gendre de Laurent Gbagbo, et le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) de Charles Blé Goudé. Même si ces deux partis se réclament de Laurent Gbagbo, chacun puise dans le parti de ce dernier tout en faisant l’effort de prôner ses idéaux. Ils ouvrent ainsi des appendices au sein d’un FPI malade, en espérant pouvoir voler de leurs propres ailes le moment venu.
Ouakaltio OUATTA RA