Si 2017 avait été relativement calme, 2018 a démontré qu’en matière d’assainissement et de protection civile, la Côte d’Ivoire avait encore du travail à faire. Les 20 personnes qui ont trouvé la mort durant les dernières pluies auraient aimé que l’on désigne un coupable, mais les responsabilités semblent bien partagées.
Le district d’Abidjan connaît chaque année, pendant la saison des pluies, des drames liés aux inondations récurrentes. Un phénomène qui n’épargne aucune commune, frappant aussi bien les plus pauvres que les plus nantis. Il est pourtant connu que les inondations urbaines constituent un frein majeur au développement et mettent en danger les populations, en particulier les habitants des villes en rapide expansion des pays en développement. Abidjan n’échappe pas à ce tableau, avec ses cinq millions d’habitants. Les chercheurs Armand Kangah et André Alla Della expliquent que dans le bassin versant de Bonoumin Palmeraie, les quartiers installés au fond de la vallée de Bonoumin (Bonoumin - village et Riviera 2) connaissent de grandes inondations depuis 1992, avec des hauteurs d’eau variant entre 100 et 200 cm. Ces phénomènes ont atteint la grande vallée de la Palmeraie en 2010 et adviennent chaque année au carrefour de la Riviera 3, dans le secteur du magasin Cap Nord et sur la rue Ministre de la Palmeraie. Pourtant, ce sont des quartiers résidentiels, dotés officiellement de plans de lotissement et d’assainissement et offrant toutes les commodités modernes, avec des habitats de haut standing. Si la situation de Cocody est identique à celle de Marcory et de Koumassi, où les populations ont remblayé certains espaces afin de s’y installer, à Attécoubé le constat est différent. Même s’il n’a pas plu depuis deux ou trois jours, le sol argileux garde encore les traces des dernières averses : flaques, détritus, murs affaissés… Le lopin de terre rouge, situé sur un terrain vallonné, porte encore les marques de la tragique pluie qui s’est abattue sur la ville dans la nuit du 18 au 19 juin dernier. 6 morts à la suite d’un éboulement meurtrier. Ici, la terre est meuble, arpentée, défoncée. C’est le cas dans presque tous les quartiers d’Attécoubé, notamment la zone de Mossikro - santé, fichée à risque depuis plus de trente ans. Il s’agit d’une bourgade étroite, engorgée, avec près 80 000 âmes entassées sur une portion de terre destinée à en accueillir à peine la moitié. L’éboulement le plus récent était celui de juin 2014, qui avait fait une douzaine de morts. Le déguerpissement est pour l’instant l’unique solution. Mais le problème est que les « sous-quartiers » pullulent tellement que les faire déguerpir demande à la fois une volonté farouche, des moyens colossaux et une insensibilité bien trempée. « Il n’y a pas d’espace à Attécoubé, c’est pour cela que les gens vivent ainsi », explique Gaoussou Drabo, chargé de la communication de la chefferie de Mossikro - santé. Selon lui, « lorsqu’on fait déguerpir les populations des autres quartiers, devinez où elles se réinstallent ? Ici ». Au Banco 1, c’est pratiquement le même décor. Bâties à flancs de collines, la centaine de maisons précaires qui s’étend le long de l’autoroute subit chaque année les affres des pluies mortifères. D’où les 21 morts dénombrés en 2009. Le plan Organisation des secours (ORSEC) avait programmé le déguerpissement de ces populations et leur relocalisation sur des sites sécurisés. Mais il a quelque peu péché dans le suivi.
Les zones à libérer Pour la seule commune de Cocody, l’on note 12 zones qui doivent être impérativement libérées. Très souvent sous les eaux en saison des pluies, la commune de Koumassi compte trois zones à risques. Il y en a également une à Marcory, une à Adjamé, une à Yopougon et cinq à Abobo. L’alerte avait été pourtant donnée courant février, mais aucune action n’avait suivi, ni de la part des riverains, encore moins des autorités étatiques. Aujourd’hui encore, beaucoup d’habitants ne doivent leur salut qu’à la chance. Pour le chef de village d’Agban Attié dans la commune d’Attécoubé, Ako Yapo, non seulement il faut continuer le déguerpissement, qui a subitement freiné des quatre fers, mais il faut également tenir les promesses de relogement des habitants. « Les problèmes n’ont pas été réglés, on les a survolés », affirme l’imam Mory Fofana. Selon ce religieux, plusieurs personnes ont reçu de l’argent de la part du gouvernement, il y a quelques années, afin de quitter les lieux et de se trouver un logement décent ailleurs, mais certaines ont recolonisé ces zones. Dans les quartiers, huppés ou pauvres, personne n’aime la pluie. Elle traîne derrière elle une odeur de mort et ravive de tristes souvenirs. Les averses survenues dans la nuit du 18 au 19 juin dernier l’ont démontré. Cocody a remporté la palme de la commune la plus sinistrée et la plus meurtrie. Pourtant, dès 1983, une étude du Bureau national d’études techniques (BNET) classait le site de la Riviera Palmeraie comme une zone à risque qui devait être réservée aux parcs d’attraction. « Malheureusement, à partir de 1992, les différents ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Construction ont procédé à la viabilisation de ce site et de bien d’autres », révèle un fonctionnaire du ministère.
À qui la faute ? Les responsabilités sont partagées, mais chaque camp accuse l’autre. Roger N’Guessan N’Dri, Président de l’Association intersyndicale des copropriétaires de Cocody (AICC), fustige les négligences. « Le volet assainissement est très souvent laissé pour compte. C’est le rôle de l’Office national de l’assainissement et du drainage (ONAD)», affirme-t-il. En outre, le résident pointe du doigt les mauvaises constructions des personnes qui érigent leurs habitations sur les voies d’écoulement de l’eau. « Il faut arrêter de faire de la complaisance et sanctionner », insiste-t-il. C’est d’ailleurs l’une des principales mesures prises par le Conseil national de sécurité du gouvernement le 21 avril dernier. Le Plan ORSEC, mis en place en 2014 après une quarantaine de morts causées par la pluie, a manqué lui aussi de suivi. Les zones à risques sont majoritairement restées habitées. « Le gouvernement a remis la somme de 150 000 francs CFA aux populations afin qu’elles se relogent. La plupart sont revenues sur les lieux dès que nous avons tourné le dos», affirme un proche du ministre de la Construction, du logement, de l’assainissement et de l’urbanisme. Avant de poursuivre « on ne peut pas loger toutes ces personnes sur de nouveaux sites, pour la simple raison qu’il n’y a pas d’espace. L’État a toujours essayé de faire du social. Lorsqu’on fait déguerpir par la force, on invoque les droits de l’homme ». A qui la faute? Les maires, note-t-il, doivent s’impliquer plus dans cette phase. Mais certains élus locaux, à l’entendre, s’abstiennent, pour conserver leur électorat. Ce n’est pas tout à fait la vérité. Du moins, selon Jean Roger Boto, adjoint au maire de la commune de Treichville. « Tout est question d’entretien et d’assainissement. Il faut maîtriser ce volet ». Aboubacar Bamba, Directeur général adjoint de l’ONAD, estime que l’une des clés est de parvenir à protéger les ouvrages d’assainissement, qui sont constamment en danger, surtout dans la zone de la Riviera. Selon M. Bamba, il faudrait 30 milliards de francs CFA rien que pour pallier les problèmes d’inondation de la Rue Ministre. En plus, Aboubacar Bamba insiste sur les occupations anarchiques des passages d’eau, qui doivent cesser dans la commune. Max Alain Guissi, le responsable de la communication au sein de l’ONAD, invite pour cela les populations à dénoncer tout cas d’incivisme. « Au niveau de l’ONAD, nous effectuons chaque année des travaux de pré-saison qui consistent à curer les caniveaux et les sites critiques et inondables du district d’Abidjan. Tous nos techniciens sont en ce moment sur le terrain et travaillent sur les ouvrages d’assainissement », dit-il. Et M. Guissi de continuer, « nous sommes en train de renforcer le curage. Mais ce que vous devez savoir c’est que l’ONAD a un rôle de prévention. En amont, nous faisons notre travail, mais il faut aussi effectuer les travaux de déguerpissement ». En d’autres termes, personne n’est coupable, c’est la faute de tous.
Raphaël TANOH