Alain Richard Donwahi, ministre ivoirien des Eaux et forêts : « Nous devons protéger à la fois les forêts et les terres cultivables »

La forêt ivoirienne a perdu près de 80% de son couvert. Un désastre écologique causé par l’agriculture légale, mais aussi illégale. Le ministre ivoirien des Eaux et forêts avance une stratégie ambitieuse, qui vise à la fois la protection du couvert forestier et des terres cultivables. Une stratégie dont la mise en œuvre nécessitera plus de 600 milliards de francs CFA sur une période de 10 ans, pour une superficie totale à reboiser estimée à environ 400 000 hectares. Pour y arriver, les chantiers s’annoncent difficiles, mais pas impossibles. Le ministre Alain Richard Donwahi explique dans cette interview comment il va s’employer à atteindre ses objectifs.

La Côte d’Ivoire s’est engagée à reconstituer le couvert forestier à hauteur de 20% du territoire national. Qu’est-ce qui est fait pour atteindre cet objectif ?

Pour permettre d’atteindre l’objectif de reconstitution du couvert forestier à hauteur de 20% du territoire national au cours des 30 prochaines années, l’État a mis en place un cadre légal et institutionnel novateur, adapté aux nouvelles exigences de gestion durable des forêts. La gestion forestière est désormais envisagée dans une approche multi acteurs, holistique et réaliste.

En effet, la question du devenir des forêts de notre pays met en avant les efforts qui devront être fournis par l’ensemble des acteurs que sont l’État, les collectivités territoriales, le secteur privé, la société civile, les populations et les partenaires techniques et financiers, en matière de reconstitution et de préservation des forêts. Dans cette perspective, une attention particulière est accordée à l’investissement privé et au partenariat public - privé, car la mise en œuvre de cette politique ambitieuse de reforestation nécessite la mobilisation d’importants moyens financiers, qui ne sont pas toujours disponibles au niveau du seul État.

Dans la même optique, la politique de Préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts adoptée par le gouvernement en mai 2018 s’inscrit dans une vision globale, intégrant l’ensemble des actions et stratégies de développement des autres secteurs d’activités. Elle est empreinte de réalisme car elle prend en compte les activités agricoles dans les forêts classées fortement dégradées. C’est ce que nous appelons l’agro-forêts.

Quelles sont les ambitions du gouvernement pour le reboisement?

La superficie totale reboisée dans le cadre des différentes initiatives depuis 1926 est estimée à environ 400 000 hectares. Ce bilan est largement en deçà des objectifs visés, eu égard au rythme annuel de déforestation, estimé en moyenne à environ 200 000 hectares. Prenant la pleine mesure de la situation, deux actes majeurs ont été posés, à savoir l’adoption en mai 2018 par le gouvernement de la politique ambitieuse mais réaliste de Préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts déjà citée, dont la stratégie de mise en œuvre s’articule principalement autour de la reconstitution des forêts. Et ensuite l’adoption en juillet 2019 par l’Assemblée nationale du nouveau Code forestier.

En effet, pour atteindre un taux de couverture forestière d’au moins 20% du territoire national, soit 6 449 260 hectares, il faudrait ramener la déforestation dans les proportions de 50 000 ha par an et reconquérir parallèlement 4 628 114 ha de couvert forestier à l’horizon 2045. Pour atteindre cet objectif, les activités du gouvernement sont diverses. Il s’agit dans un premier temps du reboisement de plus de trois milles hectares (3 170 918 ha) dans les forêts classées, au titre des Concessions agroforestières d’aménagement durable (CAFAD), des conventions de partenariat public - privé et d’autres initiatives. Il faut ajouter à cela le reboisement de  plus d’un million d’hectares (1 457 196 ha) dans le domaine rural, au titre de l’agroforesterie, de la mise en défens, de la foresterie privée et communautaire et de la foresterie urbaine et périurbaine.

Quelles sont les innovations du nouveau Code forestier ?

Plusieurs dispositions du nouveau Code forestier contribueront à inverser la tendance en matière de déforestation. L’on peut citer, entre autres, le mécanisme de partage des bénéfices issus de la constitution de puits de carbone et de la mise en œuvre des politiques et des stratégies forestières nationales, de même que la bonne gouvernance en matière forestière, notamment par la mise en œuvre de la vérification de la légalité de la gestion des forêts et de la traçabilité des produits forestiers, ainsi que des produits agricoles, issus des agro-forêts. Nous pouvons parler également de l’observation indépendante qui va être exercée par des entités extérieures aux administrations chargées de la gestion des forêts, dans le respect de la réglementation en vigueur. Désormais, la propriété d’une forêt naturelle ou d’un arbre naturel revient au propriétaire de la terre sur laquelle ils sont situés. La propriété d’une forêt créée ou d’un arbre planté revient au propriétaire foncier ou à la personne qui l’a créée ou plantée, en vertu d’une convention avec ledit propriétaire. Le fait que tout projet ou toute activité susceptible d’entrainer le déboisement d’une partie des forêts du domaine forestier national soit soumis à une autorisation ou déclaration préalable et le fait que l’État encourage toutes les initiatives prises par les privés, les communautés, les collectivités et les populations en matière de reconstitution et de création de forêts sont des avancées notables. Enfin, le Code forestier prévoit l’enregistrement obligatoire de toutes les surfaces de terre à vocation forestière et l’obligation pour l’administration forestière d’assister toute personne désirant valoriser ou aménager sa forêt.

Comment préserver dans un tel contexte les intérêts des agriculteurs, y compris ceux qui sont illégalement installés dans les forêts classées dégradées ?

La politique de Préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts prévoit une catégorisation des forêts classées, selon le taux de couverture forestière, afin de mettre en œuvre une gestion différentielle de celles-ci. C’est dans ce cadre que, de façon spécifique, pour les forêts classées dont le taux de dégradation de la couverture forestière est supérieur à 75%, la politique prévoit de créer des agro-forêts. Il s’agit donc toujours de forêts classées et elles le demeureront.

L’introduction du concept « d’agro-forêt » dans la politique nationale vise d’une part à concilier la foresterie et l’agriculture, et, d’autre part, à protéger et à étendre le patrimoine forestier résiduel. La mise en commun de la foresterie avec l’agriculture renforcera la maîtrise de la déforestation et contribuera à encadrer les cultures en forêt.

Les chefs d’exploitations agricoles occupant des portions des agro-forêts seront recensés, identifiés et réinstallés sur des espaces dédiés et aménagés (20% de chaque agro-forêt), à travers un processus de remembrement. Dans ces espaces aménagés seront pratiquées l’agriculture intensive et l’agroforesterie 

La gestion des agro-forêts sera assurée par le privé, dans le cadre de conventions de concession, avec pour mission, d’une part, d’encadrer les producteurs sur la plateforme aménagée et, d’autre part, de procéder au reboisement des 80% d’espaces restants des agro-forêts. L’objectif étant de maîtriser la superficie occupée en forêt classée par les populations ainsi recasées sur la plateforme et de recouvrer dans les autres zones (80%) de la couverture forestière à 100%, au terme des conventions de concessions agro-industrielles.

 

La Côte d’Ivoire est également en train de se doter d’un Programme national d’amélioration de la gouvernance forestière (PNAGF - CI). Ce document prévoit notamment l’institution d’un indice de gouvernance forestière, pour évaluer la gouvernance dans ce secteur. Quand démarreront les premières évaluations ?

L’Indice de gouvernance du ministère des Eaux et forêts est un outil d’évaluation des performances du ministère en transparence, intégrité, redevabilité et éthique. Cet outil, qui permettra d’apprécier tous les 2 ans l’état de la gouvernance du secteur des Eaux et forêts, sera documenté de façon indépendante par un organisme spécialisé en notation stratégique. Contrairement à ce qui se fait en général, le ministère des Eaux et forêts ne fera pas d’autoévaluation mais se fera noter pour garantir la crédibilité de l’indice produit. Les premières notations seront disponibles en 2020. De la première notation découlera un plan d’actions d’ajustement de la gouvernance forestière, qui proposera la mise en œuvre de mesures correctives des dysfonctionnements constatés, en vue de relever la note attribuée initialement dans les prochaines notations.

Qu’est-il fait pour inciter les industriels du bois (propriétaires de scieries, par exemple) à approvisionner le marché en bois légal et en même temps pour lutter efficacement contre le sciage clandestin, qui fait perdre à l’État 21 milliards chaque année ?

Des actions de lutte ont été menées sur tout le territoire national par la BSSI, qui est une nouvelle unité d’intervention, équipée et entraînée à faire face à ce genre de fléau. Depuis son opérationnalisation, en février 2019, elle a, à travers une opération dénommée « Araignée », porté des coups fatals aux animateurs de cette filière clandestine, avec la saisie de plus de 45 000 madriers, 40 000 planches et 17 000 chevrons d’essences diverses, pour une valeur de plus de 200 millions de francs CFA. Sans oublier la saisie des véhicules et tronçonneuses utilisés par les clandestins. Les effets se font sentir notamment au niveau des industriels, dont les carnets de commande ont commencé à gonfler.

Comment progresse l’Accord de partenariat volontaire (APV FLEGT) en négociation entre la Côte d’Ivoire et l’Union européenne, qui doit permettre de lutter contre l’exploitation du bois illégal ?

La Côte d’Ivoire s’est engagée en 2013 dans les négociations d’un Accord de partenariat volontaire pour l’application des réglementations forestières, gouvernance et échanges Commerciaux (APV - FLEGT) avec l’Union européenne, dans le but de lutter contre l’exploitation illégale du bois et le commerce associé et d’améliorer la gouvernance de son secteur forestier.

Pour conduire ces négociations, un Comité technique de négociation a été mis en place en juillet 2013. Ce comité s’appuie sur une plateforme multi-acteurs de consultation composée de 4 collèges : celui de l’Administration, le collège du Secteur privé, le collège de la Société civile et le collège de la Chefferie traditionnelle.

Depuis le début des négociations de l’APV, il est à noter la tenue de plusieurs sessions techniques et de 2 sessions formelles de négociations, qui ont permis d’adopter le champ d’application de l’accord et d’ébaucher ses annexes relatives à la grille de légalité, au système de vérification de la légalité et de la traçabilité du bois et aux informations à rendre publiques.

Cet accord était initialement prévu pour être signé en décembre 2017.  Pourquoi a-t-il pris du retard et quelle est la nouvelle échéance pour sa signature ?

En raison des différentes réformes (processus d’élaboration d’une nouvelle politique forestière et des réformes juridiques associées) engagées dans le secteur forestier depuis le début des négociations, le processus n’a pas pu être conduit à son terme dans le délai initialement prévu (fin 2017, révisé à fin 2018). Ainsi, le gouvernement de Côte d’Ivoire et l’UE ont réalisé, d’avril 2018 à février 2019, une revue conjointe du processus APV – FLEGT, en vue de mieux cadrer les interventions et les orientations dans le secteur forestier. À l’issue de cette revue conjointe, il s’agit désormais pour les deux parties d’élaborer une nouvelle feuille de route pour la poursuite et la conclusion des négociations de l’APV, en tenant compte du calendrier des réformes juridiques en cours (Adoption du nouveau Code forestier et prise des textes d’application). L’élaboration de la nouvelle feuille de route des négociations formelles, dont la mise en œuvre ne devra pas excéder 3 ans, est en cours.

L’APV permettra de renforcer les mesures nationales de transparence, de gouvernance, de réformes du secteur (Comme la mise en place d’un Système de vérification de la légalité (SVL)), etc., qui garantissent que tout produit bois figurant dans l’accord respecte les dispositions légales et réglementaires en vigueur en Côte d’Ivoire. Cela concerne les bois vendus sur le marché national et ceux destinés à l’exportation, qui devront être accompagnés d’autorisations FLEGT vérifiées aux frontières de l’UE.

Propos recueillis par Ouakaltio OUATTARA

 

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