Elles font partie de ce passé douloureux de la Côte d’Ivoire, mais la pratique a encore pignon sur rue. Les structures de placement d’argent continuent d’appâter de nombreuses personnes. Malgré des milliards perdus dans ce business entre 2006 et 2017, les Ivoiriens ont toujours recours à ce moyen pour faire fructifier leur argent. Elles changent de noms au fil des ans. Placement d’argent, agro-business, Qnet, Tontine en ligne, Crowd 1, etc. Pour éviter que des malheureux ne se fassent gruger, les autorités ont décidé de sévir. Mais cela continue. Pourquoi? Zoom sur une pratique qui a encore de longues années devant elle et qui, à chaque saison, montre un nouveau visage, plus séducteur que le précédent.
Fin 2006. La capitale économique est secouée par une série de manifestations. Fonctionnaires, retraités, hommes d’affaires, sont dans la rue, pancartes en main. Leurs cibles : les maisons de placement d’argent. 1, 66 million de personnes ont été grugées par 67 structures illégales, pour 307 milliards de francs CFA. Afin de les appâter, les responsables de ce e-business ont utilisé un processus d’adhésion chimérique. « Les adhérents devaient remplir un formulaire de renseignements. Dans ce document on leur expliquait les avantages. Vous déposiez une petite somme et au bout d’un mois vous gagniez le double de la somme investie. En trois mois, c’était triplé et en un an vous pouviez devenir riche. Les premiers qui ont investi ont perçu leur retour sur investissement (RSI). De bouche à oreille, cela a attiré beaucoup de personnes », se souvient Marius Attaby, l’un des souscripteurs, qui n’a jamais perçu un franc. Près de deux millions de personnes, comme lui, seront escroquées. Beaucoup y avaient investi toutes leurs économies. Déjà frappé par la crise des déchets toxiques, le gouvernement met en place un Comité interministériel pour évaluer la situation et proposer des solutions. Accusés d’abus de confiance et d’escroquerie, plusieurs responsables de ce business seront emprisonnés. C’est la fin des maisons de placement d’argent. En Côte d’Ivoire, on crie alors : « plus jamais ça !». Mais, dix ans plus tard, un air de déjà vu souffle sur Abidjan. Nous sommes en janvier 2017.
Système de Ponzi Plusieurs centaines de manifestants, réunis près de la Banque des dépôts du Trésor, hurlent à l’arnaque. Ils craignent pour leur argent, investi dans des sociétés dites d’agrobusiness. Pour les attirer, les responsables on mis en avant un système de type Ponzi, avec une rémunération pyramidale. Officiellement, certaines sociétés d’agrobusiness proposent aux particuliers d’acheter des parts dans des plantations en échange d’un retour sur investissement compris entre 300 et 1000%, après 3 à 6 mois. Plus de 30 000 personnes vont investir leurs économies. Certains ont emprunté aux banques, d’autres ont hypothéqué leur maison. Les autorités flairent très vite l’entourloupe et décident d’agir avant que le lot des pigeons ne grossisse. Le Procureur de la République ordonne le gel des comptes bancaires de 27 structures d’agrobusiness. Le gouvernement conclut qu’il s’agit d’un montage financier illégal, qui consiste à rémunérer les investissements des clients grâce aux dépôts des nouveaux épargnants. « Quel est le système économique où vous donnez 1 000 francs CFA à quelqu’un qui un mois vous en remet 3 000 ? Il n’y a que dans les pays sous-développés que l’on peut voir cela. Le modus operandi est toujours le même. Les premiers sont bien servis et on compte sur le bouche à oreille pour attirer les vrais pigeons », regrette le Dr Séraphin Yao Prao, Professeur d’économie et Maître de conférences agrégé des universités.
Couches de peinture 36 699 personnes, selon l’enquête menée par les autorités, ont placé leurs économies dans ces entreprises. Jusqu’à ce que l’État mette un terme à cette activité, les responsables ont toujours clamé la légalité de leur business. Pour les soutenir, les souscripteurs ont eux-mêmes organisé des marches. « Cela, à mon avis, est dû au fait que l’État, dès le début, a donné son agrément à ces structures. Il leur a permis d’opérer en toute légalité. Le citoyen s’est dit que si l’État accordait son autorisation pour que ces structures exercent, cela signifiait qu’elles ne peuvent pas l’arnaquer », affirme Marius Comoé, Président du Conseil national des organisations de consommateurs de Côte d'Ivoire (CNOC–CI) ». Une situation qui ne sauvera pas ce business. L’État mettra fin à cette activité. Les fonds trouvés dans les caisses de ces entreprises d’agrobusiness ne suffiront pas à rembourser les souscripteurs. Plusieurs responsables se feront la malle. « À la longue, les gens allaient être grugés en très grand nombre. On ne voulait pas d’un autre épisode après les maisons de placement d’argent. Les études menées ont montré que les 27 entreprises mises en cause disposaient en tout de 22,7 milliards de francs CFA sur leurs comptes et devaient en reverser 660 à leurs souscripteurs, qui avaient investi 66 milliards de francs CFA. Cela relevait de l’utopie », indique un membre du cabinet du ministre de l’Économie et des finances. Aujourd’hui, selon lui, beaucoup de souscripteurs n’ont jamais revu leurs capitaux. Et, à l’entendre, c’est une leçon que les Ivoiriens doivent retenir.
Une leçon à retenir ? Pas si sûr. Le 8 juillet dernier, à l’issue du Conseil des ministres, le gouvernement a ordonné la cessation immédiate des opérations de placements illégaux d’argent en ligne et la fermeture des sites internet concernés. Un autre créneau vers lequel les Ivoiriens s’étaient rués, après les maisons de placement d’argent. Pourquoi un tel entêtement? « Les gens aiment la facilité. C’est pour cela que le phénomène perdure », pense le Dr Mourifé Kouassi, sociologue à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody. Raison pour laquelle le gouvernement a décidé qu’il ne pouvait pas se fier au seul jugement des populations. « En dépit des mesures arrêtées par le gouvernement pour lutter contre le phénomène des placements illégaux d’argents, de nouveaux acteurs ont vu le jour, sous la forme de marketing en réseaux. Ces structures proposent des souscriptions en ligne, assorties de promesses d’importants retours sur investissement, par le biais de sites internet », s’est justifié Sidi Touré à l’issue du Conseil des ministres du 8 juillet. Le gouvernement a enjoint aux promoteurs de restituer intégralement les capitaux souscrits, sous peine de poursuites judiciaires. Selon les chiffres des autorités, près de 30 000 personnes avaient souscrit aux services de ces structures sur le territoire national. La vigilance ? « Cela ne servira à rien. La seule chose à faire c’est d’interdire ces activités sur le sol ivoirien », souligne Dr Mourifé Kouassi. Mais, aussitôt fermées, ces structures repoussent avec d’autres noms et d’autres méthodes et toujours des premiers souscripteurs prêts à vanter le « nouveau business » et à trouver de nouvelles proies.
Vigilance « Autant de fois que vous laisserez des structures de placement d’argent s’implanter, sous quelque forme que ce soit, autant de fois des gens se feront avoir », estime Marius Comoé. L’exercice, pour Dr Séraphin Prao, c’est de savoir faire le tri dans le tas. Quoi qu’il en soit, selon lui, aucun pays ne doit accepter ce système économique sur son sol. Mais l’appât du gain et la course à l’enrichissement rapide semblent avoir pris le pas sur le raisonnement par moments.
« C’est comme ces structures qui vous vendent des boules à mettre dans la poche pour soigner le diabète. Ce n’est pas sérieux. Dans un pays qui se respecte, ces structures doivent être déclarées persona non grata », ajoute l’expert en économie. Tout comme de nombreux observateurs, Dr Prao explique la persistance du phénomène par le fait que les autorités laissent faire au tout début avant d’agir. Et Dr Pro de poursuivre : « Je dis aux Ivoiriens d’éviter la facilité dans la vie. Ce ne sont pas les secteurs qui manquent pour investir ».
Raphaël Tanoh