Depuis lundi, les centres d’enrôlement sont ouverts sur toute l’étendue du territoire ivoirien pour accueillir les nouveaux majeurs, ceux qui veulent corriger des erreurs figurant sur leur état civil et les parents des inscrits décédés. Plus de 2 millions de personnes sont concernées. Mais répondront-elles favorablement à l’appel de la Commission électorale indépendante ?
Nous y voilà ! Après plusieurs mois d’annonces, de préparation et de sensibilisation, le top départ de la révision de la liste électorale a été donné ce lundi par le Président de la Commission électorale indépendante (CEI). Pour Youssouf Bakayoko, l’objectif est simple: actualiser les données des 6 318 311 électeurs qui figurent déjà sur la liste électorale (erreurs dans l’état civil, changement de lieu de vote, etc.) et recenser les nouveaux requérants : nouveaux majeurs (plus de 18 ans) ou même personnes majeures depuis longtemps mais qui ne figuraient pas sur la liste. Prévue jusqu’au 14 au 24 juin 2018, l’opération d’enrôlement aura lieu dans 10 580 centres, répartis sur toute l’étendue du territoire national, partout où il y a eu un bureau de vote en 2016. S’agissant des nouveaux majeurs, il faudra, selon la CEI, se munir de la Carte nationale d’identité (CNI), d’une attestation d’identité délivrée par l’Office national d’identification (ONI) ou d’un certificat de nationalité. Les personnes déjà inscrites sur la liste électorale et dont les mentions personnelles ont changé pourront présenter une carte d’électeur, une carte nationale d’identité, une attestation d’identité ou un certificat de nationalité. On le sait, l’enjeu pour Youssouf Bakayoko c’est la mobilisation autour de cette opération. Et il ne le cache pas.« Je voudrais me permettre d’exhorter à nouveau les partis politiques, les organisations de la société civile et toute la population à adhérer sans hésitation (…) », a interpellé le lundi 18 juin, le Président de la CEI.
Faible corps électoral Le corps électoral ivoirien n’est pas encore assez représentatif. Il est estimé à 24,9%, soit 6 millions d’inscrits pour une population d’environ 26 millions d’habitants alors que nos voisins ghanéen et burkinabé affichent respectivement 57,7% et 30%. Autant le taux de participation à une élection fonde la légitimité des élus, autant l’étendue du corps électoral pose le socle de cette légitimité. Mais pourquoi se retrouve-t-on avec ce taux relativement bas ? « Le corps électoral est faible en Côte d’Ivoire parce que le droit de s’inscrire est restreint », explique Siaka Bamba, observateur électoral, juriste, ex-membre de la CEI. Alors, pour l’observateur, ce sera tout l’intérêt de cette révision de la liste électorale. Il s’agira d’offrir aux Ivoiriens un corps électoral relativement acceptable pour les municipales et les régionales à venir. Hélas, des barrières subsistent toujours, ajoute l’expert. « Une partie des Ivoiriens n’ont pas confiance en la structure en charge des élections. On note également l’absence de souveraineté dans le financement des processus électoraux », ose poser comme diagnostic Siaka Bamba. Ce sera donc pour la CEI l’un des pièges à éviter, en infirmant ce fâcheux constat par une participation massive de la population. Même si elle ne le dit pas clairement, l’institution cible plus de 2 millions d’électeurs potentiels qui ne sont pas encore dans les fichiers. Majoritairement des jeunes. Les partis politiques, à l’exception de groupement politique Ensemble pour la démocratie (EDS), ont battu le rappel des troupes autour de cette opération. Des campagnes de sensibilisation ont été menée tambours battants à travers tout le pays, même dans les hameaux les plus reculés. Suffisant pour s’assurer la mobilisation souhaitée pendant la période de l’enrôlement ? Rien n’est moins sûr. Du moins, lorsqu’on sonde le milieu de la jeunesse. « Si les jeunes sont à l’écart aujourd’hui il y a une raison. Nous avons élu des personnes qui nous ont déçus. J’ai voté en 2010, je l’ai fait en 2013. Mais je ne suis pas allé voter en 2016 à cause de cela », explique Aboudramane Fofana, Secrétaire général de l’association des frères d’Abobo. Cette déception, d’après lui, se lit aussi bien chez les plus âgés que chez les plus jeunes, ceux qui sont en âge de voter aujourd’hui. En d’autres termes, les nouveaux majeurs. Le Président de cette association,Choilio Touré alias Bédié, parle de désillusion. « Est-ce que voter aujourd’hui permet de faire changer les choses ? Les candidats sont cooptés par les partis politiques. Ceux que la population veut voir gouverner sont mis à l’écart et parfois obligés de se retirer. Ceux qui se présentent sous la bannière du PDCI ou du RDR sont le choix des partis et pas celui du peuple », explique-t-il. Poursuivant, il affirme que ce que les partis politiques font, c’est préparer le terrain pour y placer ensuite des gens qui n’ont aucun intérêt vis-à-vis du social, du développement et de l’emploi de jeunes.
Découragement « Je ne crois pas que les choses aient changé. Les gens sont de plus en plus découragés. Il n’y a qu’Alassane Ouattara seul qui travaille », ajoute-t-il. C’est la principale menace qui plane, d’après lui, sur cette opération de révision de la liste électorale : le manque d’engouement. Le pire, dit-il, c’est que des personnes qui étaient majeures depuis longtemps mais ne figuraient pas sur la liste en 2016 et aussi les personnes qui vaudraient corriger les erreurs sur leurs noms sont également découragées. Mais tous ces soucis, aux dires de Siaka Bamba, sont minimes par rapport à celui que constitue le petit délai accordé à l’enrôlement (du 14 au 24 juin). « Nous notons un temps d’inscription court ». L’inscription sur la liste électorale, assure-t-il, est un droit de l’homme important. Aussi, l’expert estime qu’il faut lever les barrières et aller à l’enrôlement permanent. Tant que le délai restera toujours court, à l’entendre, les Ivoiriens auront un corps électoral faible. Salif Coulibaly, adjoint au maire d’Attécoubé, est catégorique: « Il faudra parvenir à maîtriser les listes en faisant inscrire le maximum de personnes ». Pour lui, seule l’implication de tous pourra permettre d’aboutir à un résultat satisfaisant et crédible. Mais, pour le Vice-président de la CEI Gervais Coulibaly, la liste électorale n’a jamais encore été source de contestations. « Nous avons pris la peine de nous réunir avec nos partenaires, pour faire le bilan des opérations passées. Ils nous ont fait le point des faiblesses qu’ils avaient constatées et nous avons pris cela en compte », explique-t-il. C’est l’une des raisons, ajoute-t-il, qui ont amené la CEI à augmenter le nombre de centres d’enrôlement. Et Gervais Coulibaly n’ignore pas les récriminations de la population. « Que vous soyez content ou fâché, venez vous inscrire sur la liste électorale (…) Ne laissez pas les gens décider pour vous », interpelle le Vice-président de la CEI. Tout en espérant faire le plein de l’enrôlement pendant cette opération, il détaille le reste du processus. « Après l’enrôlement, toutes les informations sont acheminées vers notre site central. Nous allons les intégrer, faire des croisements avec les informations que nous avons dans nos fichiers. Nous ferons aussi le dé-doublonnage, parce que des gens se sont inscrits deux, voire trois, fois. Nous allons corriger tout ce qui n’est pas juste afin de pouvoir établir la liste électorale provisoire », signale M. Coulibaly. Dès que la liste électorale provisoire sera prête, selon lui, les partis politiques et les candidats seront appelés pour la leur remettre. Ils l’auditeront et feront leurs remarques. Ensuite, place à l’affichage, le 16 juillet prochain. Il y aura par la suite une semaine de recours contentieux pour traiter les réclamations. Puis, d’après Gervais Coulibaly, autour du 12 septembre la liste définitive sera produite et viendront ensuite les cartes d’électeurs. Une date que tous attendent.
Raphaël TANOH