À 85 ans, l’ex Président ivoirien Henri Konan Bédié, dont le mandat a été écourté par un putsch en décembre 1999, se dit encore bon pour le service. « Moins jeune » que certains chefs d’État en exercice, selon ses propres termes, il estime avoir encore une carte à jouer. La dernière, peut-être. Après avoir soutenu en 2010 et 2015 le Président Alassane Ouattara, « le Sphinx de Daoukro », qui n’a pas obtenu le retour d’ascenseur attendu, a décidé de poursuivre sa marche. En quête de nouveaux alliés, il garde tout de même en tête que la seule alliance qui vaille est celle qui permettra au PDCI, le parti qu’il préside depuis 1993, de reconquérir le pouvoir.
En 2010, il indiquait que la campagne électorale de cette année était son dernier combat. 10 ans après, l’appétit du pouvoir semble toujours animer Henri Konan Bédié. Président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), il aura 86 ans en 2020. Modifiée en 2016, la Constitution de la Troisième République lui permet d’être candidat. Après avoir dirigé le pays entre 1993 et 1999, après le décès de Felix Houphouët Boigny, Henri Konan Bédié, qui dit avoir tourné la page de sa chute, garde tout de même en mémoire les délices du pouvoir. Des souvenirs qui alimenteraient son envie de revenir. Pourquoi pas, sur les traces d’Houphouët, pour mourir au pouvoir comme tout bon roi akan. « Il suffit de comprendre le concept de royauté en pays akan pour appréhender la posture d’Henri Konan Bédié », confie un homme politique membre de la nouvelle alliance prônée par celui-ci. Pour l’instant, il préfère maintenir le flou autour de sa candidature. Entre des intentions à peine voilées et les bouts de phrases qu’il distille entre deux interviews, Bédié joue la montre. « Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié donnent l’impression que la candidature de l’un dépend de celle de l’autre. Les deux hommes s’observent, jouent la montre, tiennent leurs potentiels successeurs en haleine », commente un observateur de la vie politique ivoirienne. Mais Henri Konan Bédié mène-t-il un combat par procuration ? Protège-t-il l’identité du candidat PDCI, comme le laissent entendre certains cadres, ou encore mène-t-il son propre combat ?
Bédié candidat ? En 2005, quand Henri Konan Bédié s’alliait à Alassane Ouattara dans le cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), il avait déjà sa petite idée. Retrouver son fauteuil de Président. « Il a programmé son retour au pouvoir depuis toutes ces années », croit savoir un diplomate en poste à Abidjan depuis 2008. Tout en se braquant contre son parti en 2014, quand il lançait l’Appel de Daoukro, Henri Konan Bédié posait les premiers jalons de sa marche vers la reconquête du pouvoir. « C’est en cela que l’alliance au profit d’un militant actif du PDCI trouvait tout son sens », poursuit ce diplomate. Le Sphinx de Daoukro, selon certains observateurs, avance avec deux cartes en main. La première est de se porter candidat. « Ses dernières interviews sont une sorte de ballon d’essai. Il sonde le terrain (ses adversaires politiques, ses militants, ses cadres, la communauté internationale, les diplomates), avant de se décider définitivement ». « Si les réactions lui sont favorables, il sera candidat. Si elles sont mitigées, il sera candidat et si elles sont négatives, alors il pourrait renoncer », explique une source bien introduite au PDCI. Dans ce dernier cas de figure, après avoir attiré l’attention du RHDP sur lui, il lancera dans la course ses candidats. « Bédié a déjà un candidat en tête, des noms en tête. À mon avis, ils sont trois à le savoir. Lui, Narcisse N'Dri et Maurice Guikahue. Bédié a été entraîné à la politique depuis de longues années (…). Il a connu les faux complots de Félix Houphouët Boigny. Il a connu les années d’intrigues de ce dernier. Il sait lire entre les lignes et il a ses réseaux locaux et à l’étranger », explique un autre cadre du PDCI. Méthodique et minutieux sur le choix des mots, Henri Konan Bédié veut se positionner comme le chef de l’opposition. « Pour lui, en 2020, il est clair que, que ce soit lui ou une autre personne, le PDCI doit être au pouvoir et tout doit concourir dans ce sens autour de lui », explique le politologue Firmin Kouakou.
Douche froide Mais les dernières sorties du Président Bédié ne s’adressaient pas uniquement à ses adversaires d’en face. En interne, ils sont plusieurs à attendre que « Le Vieux » se décide avant de se lancer à la conquête des militants. La team Jean-Louis Billon, en alerte depuis un peu plus d’un an, semble avoir pris « une douche froide », selon l’analyste Sylvain N’Guessan. « S’ils ont encaissé le coup, ils savent qu’ils ne peuvent pas réagir pour l’instant. Ils prennent leur mal en patience, en attendant le bon moment. Pour l’heure, il faut se mettre à la disposition du parti », explique un cadre du PDCI qui est convaincu que Bédié ne sera pas candidat. Bloqué depuis plus d’un an à Paris et condamné à Abidjan pour des faits liés à la gestion de la commune du Plateau, dont il a été le maire pendant plus d’une décennie, Noël Akossi Bendjo a bien revu ses ambitions à la baisse depuis lors. Mais, au sein du parti, ses proches sont très actifs. Des héritiers putatifs comme Thiery Tanoh, Maurice Kacou Guikahué, etc, sont assez prudents et marchent sur des œufs. Même s’il en a regagné les rangs, Charles Konan Banny, qui est très peu bavard, n’a pas non plus renoncé à sa volonté de porter les couleurs du PDCI pour une présidentielle. Chacun d’entre eux ronge son frein et attend le moment opportun pour se lancer ou suivre la décision du parti. Initialement prévu pour la mi-2018, le choix du candidat PDCI au cours d’un congrès a connu plusieurs reports. Tout en avançant la période d’octobre 2019 à mars 2020, Bédié a décidé de prendre son temps et de « jouer » comme le Président Alassane Ouattara. « Rien ne presse peut-être, mais ces deux partis courent le risque de présenter bien tardivement leurs candidats et de réduire les chances de ces derniers de convaincre les électeurs », craint Firmin Kouakou.
Jeux d’alliances Comme en 2010, les jeux d’alliances seront incontournables en 2020. Henri Konan Bédié a pris le taureau par les cornes. Désormais trait d’union entre Laurent Gbagbo, Pascal Affi N’Guessan et Guillaume Soro, il espère en tirer le maximum de profit. Pour y arriver, le chemin reste encore long. Ni Guillaume Soro ni Laurent Gbagbo n’ont renoncé à la conquête ou à la reconquête du pouvoir. Annoncée depuis longtemps, la nouvelle plateforme de l’opposition n’est pas encore officielle. En dehors de quelques déclarations communes, aucun combat conjoint n’a été mené et il n’y a pas de mobilisation concertée. Alors que le camp Pascal Affi N’Guessan a décidé de participer au débat sur la composition de la nouvelle commission électorale, le PDCI et la coalition Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS, proche de Gbagbo) ont brillé par leur absence. Le rapprochement entre Bédié et Gbagbo est également mal apprécié par le camp Affi. Même si l’objectif reste commun, chacun continue de voir midi à sa porte et espère pouvoir compter sur l’autre pour se hisser à la magistrature suprême. Ils semblent ainsi s’engager dans une sorte de poker menteur. Tout en précisant lors de ses sorties que « c’est une alliance non électorale », Henri Konan Bédié espère qu’elle pourra transcender les divergences et s’unir en cas d’un second tour à la présidentielle de 2020, comme cela avait été le cas au second tour de l’élection de 2010.
Ouakaltio OUATTARA