CRISE AU FPI : Laurent Gbagbo du neuf avec du vieux

Dans la crise qui l’oppose à Pascal Affi N’Guessan, presque personne n’avait parié sur le fait que Laurent Gbagbo pouvait abandonner « son bébé » pour une nouvelle aventure politique. L'annonce de ce lundi 9 août aura ainsi surpris plus d’un. Mais Laurent Gbagbo se trouvait dans un véritable dilemme. Entre son épouse Simone Ehivet Gbagbo qui lui rappelait qu’elle était aussi membre fondatrice et Pascal Affi N’Guessan qui revendique une légalité à la tête du parti, il n’a pas souhaité engagé un combat interne. En une décision, il semble avoir enlevé deux épines de ses pieds et espère poursuivre un nouveau chemin.

Rien ne présageait une telle décision. Alors que Laurent Gbagbo convoque les cadres de son parti à une rencontre, il a déjà son plan. Annoncer son retrait du Front populaire ivoirien (FPI) pour la création d’un nouveau parti. Depuis son retour, il a multiplié les rencontres avec son cercle proche avec comme à la manœuvre Assoa Adou, son compagnon de longue date. Les positions  étant de plus en plus tranchées autour de lui, Laurent Gbagbo préfère travailler dans la discrétion pour surprendre. Entre proches de Simone et d’Affi N’Guessan, qui se bousculent pour avoir son aval, il préfère renverser la table. Mais en le faisant, c’est un grand pan de son histoire politique qui laisse tomber tout en espérant construire une nouvelle.

Prémices d’un divorce Dès son retour de la Haye, Laurent Gbagbo avait pourtant donné des signaux. Rupture avec sa compagne et compagnon de longue date Simone Ehivet. Rupture avec les cercles évangéliques et retour au catholicisme. Refus de rencontrer Pascal Affi N’Guessan. Mais pour des pontes du FPI, depuis longtemps, le projet de changer de dénomination du parti avait été évoqué. A l’usure du pouvoir entre 2000 et 2010, le FPI ne faisait plus rêver comme à ses années de gloire entre 1990 et 2000.  La  mise en place le 2 mars 2006  du Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD) était le fruit d’un arbitrage de Laurent Gbagbo entre deux camps qui s’affrontaient dans son entourage. D’un côté, celui de Pascal Affi Nguessan, qui cherchait à placer les « pro-Gbagbo » de tous bords sous la férule du FPI et de l’autre, les leaders de la galaxie patriotique qui tenaient à se démarquer du FPI et à garder leur identité. Gbagbo avait déjà pris sa décision de ne pas être le candidat du FPI à la prochaine présidentielle, mais celui d’un pôle comprenant tous ceux qui le soutiennent : partis alliés, « patriotes », transfuges du PDCI et du RDR, nouveaux sympathisants. Le CNRD constituait déjà ce pôle. Le choix de l’écrivain Bernard Dadié (secondé par Laurent Dona Fologo, Simone Gbagbo et Affi Nguessan) pour le diriger procédait à un  du souci de placer Gbagbo au-dessus des contingences partisanes.  Mais les différents courants en interne ont contribué à fragiliser le CNRD qui n’a pas survécu. Quand approche la présidentielle d’octobre 2010, les tensions renaissent et Laurent Gbagbo met en place La mouvance présidentiel (LMP) qui portera sa candidature.  Après la défaite électorale de novembre 2010 et la crise postélectorale qui s’en suit, les divisions s’accentuent au FPI entre « faucons », soutiens farouches du couple Gbagbo et défendant une ligne très dure, et les « colombes », rejetant toute violence physique ou verbale et souhaitant un renouveau du parti, plus modéré et sans Laurent Gbagbo. Ces divergences se transforment en une guerre interne virulente entre ceux qui se disent « pragmatiques » menés par Pascal Affi N'Guessan, et les « ultras » menés par Aboudramane Sangaré, qui contestent la légitimité du premier en tant que président du parti. Cette déchirure a pour toile de fond la présidentielle de 2015, à laquelle souhaite se présenter Pascal Affi N'Guessan sous la bannière du FPI qu'il préside. Il a ainsi engagé un processus de redynamisation et de rajeunissement du parti, et renoué le dialogue avec le gouvernement et la présidence. Ce sont ces faits que reprochent les ultras au président du FPI, percevant ces actes comme une traîtrise ayant pour but de pousser Laurent Gbagbo, en attente de procès à la cour pénale internationale, hors de la scène politique ivoirienne. Les ultras ne reconnaissent pas la présidence d'Alassane Ouattara ni son gouvernement. Ils refusent également toute participation à une quelconque élection sans la libération de Gbagbo. Le 29 décembre 2014, la justice ivoirienne a invalidé la candidature de Gbagbo, à la suite d'une plainte déposée par Pascal Affi N'Guessan. Le 3 avril 2015, la justice ivoirienne confirme Pascal Affi N'Guessan dans sa fonction de président du FPI, et interdit à Aboudramane Sangaré et ses soutiens d'utiliser le nom et le logotype du parti, consumant par la même occasion le divorce entre les deux camps du fait de la non-reconnaissance de cette décision de justice par le camp des « Ultras ». Le 4 août 2018, Laurent Gbagbo est élu président de la faction dissidente du Front populaire ivoirien.  Et depuis, Affi a tenté en vain un rapprochement. Et depuis, les deux hommes regardent l’avenir différemment.

Un en deux Laurent Gbagbo fait désormais la rupture avec deux compagnons de longue date avec qui il a des différends.  Tout en abandonnant le FPI, il tourne également la page Simone Gbagbo. Mais, il n’a pas échappé aux acteurs politiques que le COJEP de Charles Blé Goudé n’a pas été convié à la rencontre ni invité à faire chemin avec lui. Regards tournés vers l’avenir désormais, Laurent Gbagbo compte fait du neuf avec du vieux. C’est dans ce sens qu’il compte réunir autour de lui toute la gauche et se positionner comme le leader de l’opposition.  L’ex-président (76 ans) annonce ainsi les couleurs pour les futures batailles notamment les élections locales à venir (municipales et régionales prévues en 2023). Un test important avant l’élection présidentielle de 2025 à laquelle il espère participer si la constitution reste inchangée. Son principal levier reste déjà le groupement Ensemble pour la démocratie (EDS), fondé par son ami de longue date, Aboudramane Sangaré. Mais les choses ne s’annoncent pas de sitôt radieux. L’épisode Simone n’est pas pour autant terminé. Si elle décide de faire partir du nouveau parti, elle continuera à crisper l’atmosphère autour de Laurent Gbagbo. Osera-t-elle créer son parti politique également ? Avec quels hommes ? Elle a aussi le choix de se retirer de la politique et d'enterrer ses ambitions de facto. « Simone n’est pas de nature à baisser les bras. Elle a encore son mot à dire dans la vie politique » rassure un de ses proches.  Et Laurent Gbagbo reste conscient qu’autour de lui, il y’a encore des divergences à aplanir, des ambitions à canaliser et un après Gbagbo à construire dans un bref délai. Dans son approche il devra tenir compte également de cette nouvelle jeunesse née autour des années 2000 et avec qui il n’a pas forcément une histoire. Dans son approche, les fédérations de bases du FPI qui lui sont restées favorables, devront automatiquement basculer pour constituer la base du nouveau parti. Elle reste tout de même affaiblie après plusieurs années d’inactivité et de division. Tout reste à construire mais ce n’est pas non plus repartir de zéro.

Yvan AFDAL

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