Les bilans ont toujours été alarmants mais les mesures n’ont jamais été appliquées. De 2010 à 2016, le nombre des accidents est passé du simple au double, avec régulièrement un pic au mois de décembre. Les campagnes ne manquent pas, certes, mais les mesures coercitives ne sont pas au rendez-vous. Résultat, chaque fin d’année a son lot d’accidents, aussi spectaculaires les uns que les autres. Décembre s’annonce juste après le défilé de plus de 80 chefs d’États qui aura contraint les autorités en charge de la circulation urbaine à prendre des mesures exceptionnelles pendant 48 heures, en déplaçant les problèmes plutôt que de les résoudre. La circulation à Abidjan et sur les autoroutes reprendra ensuite de plus belle, avec les mêmes comportements et, bien sûr, les mêmes effets.
« À l’occasion des évènements majeurs, comme les fêtes de fin d’année, ce sont les mêmes actions de sensibilisation sur le respect du Code de la route, les stationnements anarchiques et toutes les autres dérives, surtout à Abidjan ». Ces propos sont du Directeur des opérations techniques de l’Observatoire de la fluidité routière (OFT), Jules Gooré Bi Tié, qui se félicite déjà d’avoir contribué à assainir la circulation dans la zone d’Abidjan sud, en prélude au sommet UA / UE. Pour le mois de décembre, il espère que la même politique pourra s’étendre à l’ensemble du pays, afin de réduire les stationnements anarchiques à la base d’accidents ou d’embouteillages. Le tableau est déjà dressé pour lui en cette période. Les acteurs sont bien connus, il s’agit des conducteurs, des transporteurs, des forces de l’ordre pour les contrôles routiers, mais aussi des autorités administratives. « Tout ce beau monde contribue à la fluidité et à la sécurité routière et reste mobilisé durant toute la période de la fin d’année », assure-t-il. Un beau monde impliqué, mais parfois impuissant, ou presque, face à la monté du nombre d’accidents constatés sur les routes ivoiriennes.
Des chiffres ahurissants Les accidents de la circulation, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), représentent la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 5 à 25 ans, avec les jeunes de sexe masculin comme les plus exposés. Selon les chiffres dont dispose le ministère des transports et dont nous avons eu copie, les chiffres en Côte d’Ivoire n’ont cessé de grimper depuis 2010. De 5 5564 accidents cette année-là on a atteint fin 2016 le record de 10 718 accidents, soit le double en six ans. Très exposés, les piétons arrivent en tête des cas de décès, avec 40%, suivis des usagers des deux roues avec 35%, des passagers, 18%, et des conducteurs, 7%. Au niveau de l’Office de sécurité routière (OSER), les causes sont bien connues. « Dans la survenue des 10 718 accidents de l’année 2016, les causes liées à l’homme sont à l’origine de 97% des cas », soutient, presque impuissant, son Directeur général, Désiré Aka Echui. « Pour réduire, aussi bien en nombre qu’en gravité, les accidents de la route, il est impératif d’agir sur l’homme en tant que conducteur, passager et piéton », affirme-t-il. Seuls moyens à sa disposition ? « La formation, l’information et la sensibilisation ». Des moyens utilisés depuis de nombreuses années et qui ne donnent presque pas de résultats concrets. « Quand le traitement ne donne pas le résultat attendu, il faut le changer, tout simplement. Sauf que les autorités en charge du transport et de la sécurité routière en Côte d’Ivoire se succèdent, appliquent les mêmes méthodes et veulent obtenir des résultats différents », laisse entendre sous couvert de l’anonymat un agent de l’OSER. Proposant un durcissement des conditions d’obtention du permis de conduire, il prône des solutions radicales. « Il faut arracher purement et simplement leur permis aux conducteurs imprudents, les suspendre de conduite pendant au moins six mois et, en cas de récidive, leur interdire le volant à vie ». Le chemin est encore long pour y arriver, tempère-t-il néanmoins, en pointant du doigt le manque de volonté politique sur la question, alors que les accidents, au-delà des traumatismes et des destructions de familles, coûtent environ 82,6 milliards de francs CFA en moyenne par an, soit 0,38% du Produit national brut (PNB), selon les chiffres officiels du ministère du Plan et du développement.
Les interdits bravés « La chose la mieux partagée par les conducteurs à Abidjan est l’incivisme », confessent certains d’entre eux. Vitesse excessive, téléphone au volant, non port de la ceinture de sécurité, conduite en état d’ivresse, etc., sont autant d’interdits perpétuellement foulés aux pieds. « Il est bon de prendre toutes ces mesures et d’adapter le Code de la route, mais il est encore plus impérieux de discipliner les conducteurs ivoiriens. Les réformes et autres mesures ne feront pas bouger les choses, il faut une thérapie de choc », poursuit toujours l’agent de l’OSER. Sans résultats probants face à ce qu’elle qualifie « d’indiscipline », l’OSER continue de se limiter à ses slogans de campagne, qu’elle s’apprête d’ailleurs à relancer en cette fin d’année. « Un corps fatigué se repose, il ne conduit pas », « Ralentis avant de regretter », « Attention, vous conduisez votre vie », « Évitons le téléphone au volant ». Carlos Beugré, moniteur d’auto-école, pense plutôt que le mal est plus profond et que les simples slogans ne sauraient le guérir. « Il y a désormais des caméras sur la majorité des axes, tant à Abidjan que sur les autoroutes. Elles devraient pouvoir être utilisées pour sévir contre ceux qui violent les interdits. C’est cela aussi les questions de sécurité routière », préconise-t-il. Selon lui, tant que les conducteurs resteront convaincus qu’ils auront affaires à des agents corrompus, à qui « il suffit de glisser un billet de banque pour voir son acte ignoré », le changement des comportements ne sera pas pour demain. Mais, du côté du ministère des Transports, l’on reste optimiste. La réforme du Code de la route et du permis de conduire en cours, la modernisation des équipements du parc automobile, la professionnalisation du métier de conducteur et l’appui au renouvellement du parc automobile sont autant de leviers sur lesquels compte le ministère pour relever les défis et contribuer à réduire les accidents.
Réseau routier défaillant La question était au cœur du débat entre les députés et le ministre des Infrastructures économiques, Amédée Koffi Kouakou, le 9 novembre. Selon le ministre, la dégradation accélérée de la voirie est due essentiellement à la période de crise de 2000 à 2010. Autre raison invoquée, 60% des causes de dégradation des routes seraient dues également aux poids lourds, qui ne respectent pas la charge à l’essieu. Une situation difficile à gérer, selon certains experts du transport, car même si des mesures vigoureuses sont prévues pour y mettre un terme en Côte d’Ivoire et au sein de l’espace CEDEAO, les transporteurs de pays comme le Burkina et le Mali ne verraient pas la mesure d’un bon œil. « Ils menacent de se tourner vers les ports du Ghana, du Togo et même du Bénin. Mais, dans le même temps, les bailleurs de fonds mettent la pression sur la Côte d’Ivoire pour le respect de la charge à l’essieu, condition pour bénéficier de financements pour son réseau routier », confie un haut fonctionnaire du ministère des Transports. Un dilemme pour la Côte d’Ivoire, car même si les facteurs véhicules et routes sont à la base de seulement 3% des accidents, améliorer le réseau routier ivoirien pourrait contribuer à l’amélioration de la sécurité routière.
Ouakaltio OUATTARA