La Côte d’Ivoire présentera le 27 octobre prochain, à Banjul en Gambie, son rapport périodique (2012-2015) lors de la 59ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples qui doit se tenir du 21 octobre au 4 novembre 2016. Avant cette date, l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance en Afrique et la Commission des droits de l’homme de l’Union africaine ont respectivement publié leurs rapports sur les avancées des droits de l’Homme. Ceux-ci annoncent des améliorations en Côte d’Ivoire, mais soulignent qu’il y a encore des efforts à faire. Notamment au niveau de l’univers carcéral et des procédures judiciaires encore pendantes depuis plus de 4 ans pour certains détenus. Ces rapports tombent à point nommé pour la Côte d’Ivoire qui a depuis peu ratifié plusieurs textes en matière de droits humains.
Après avoir connu une décennie de violation des droits humains, la Côte d’Ivoire tente peu à peu de redorer son image. Dialogue politique, retour de milliers d’exilés politiques, libération de certains d’entre eux qui étaient incarcérés, adoption de lois etc., tout y est passé. De gros efforts, malgré lesquels beaucoup reste encore à faire. Et pourtant, le gouvernement peut se frotter les mains d’après le rapport de l’indice Mo Ibrahim. Publié le 8 octobre, il classe la Côte d’Ivoire parmi les cinq pays qui ont amélioré leur score dans les domaines de la sécurité et de l’État de droit, ce qui la classe au 21ème rang sur 54 pays, en matière de gouvernance globale. C’est sûrement sur ces points positifs que le gouvernement ivoirien se penchera le 27 octobre prochain à Banjul. Mais il devra également faire face à des rapports alternatifs produits par des ONG exerçant en Côte d’Ivoire. Des rapports qui mettront l’accent sur les droits des minorités, la question des quelques 200 prisonniers politiques, de même que sur la présence de plus de 40 000 ivoiriens encore en exil dans les pays voisins.
De bons points
Ce rapport de l’indice Mo Ibrahim confirme celui produit au mois de mai par Ayat Mohammed, expert indépendant des Nations unies sur le renforcement des capacités et de la coopération technique dans le domaine de droits de l’Homme. Ce dernier, tout en se félicitant des progrès réalisés dans le domaine de la réconciliation nationale, saluait la création d’un ministère des Droits de l’Homme et des Libertés publiques. Sylvie Zainabo Kayitessi, chef de délégation de la Commission afri- caine des droits de l’Homme (CADH), a abondé dans le même sens le 4 octobre dernier. Pour elle, en plus d’un ministère dédié, la Côte d’Ivoire compte également deux institutions de protection des droits de l’Homme : la Commission nationale des droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDHCI) et le Médiateur de la République. Toutefois, ces deux experts recommandent une réforme la CNDHCI et souhaitent que cette structure soit dotée des moyens nécessaires pour mener à bien son mandat et travailler en toute indépendance.
Volonté affichée
En dépit de ces avancées, la Côte d’Ivoire ne compte pas baisser les bras. Ainsi, dans l’avant-projet de la Constitution de la 3ème République, plusieurs chapitres ont été consa- crés à la protection des populations en matière de droits de l’Homme. Dans son préambule, cet avant-projet de constitution réaffirme la détermination à bâtir un État de droit dans lequel « les droits de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine, la justice et la bonne gouvernance tels que définis dans les instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie, notamment la Charte des Nations unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981 et ses protocoles additionnels, l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2001, sont promus, protégés et garantis ». Le texte Journal d’Abidjan - l’Hebdo accorde tout un chapitre, composé de 27 articles, à la question des droits humains. Pour le Porte-parole du gouvernement, Bruno Koné, qui s’exprimait sur la question en début d’année 2016, les intentions du gouvernement sont connues depuis 2011. « Il s’agit de construire un État de droit. Et le gouvernement est disposé à prendre toutes les mesures qui s’imposent afin de relever ce défi. »
Des tâches noires
Sylvie Zainabo Kayitessi, au nom de la CADH, soulignait que les prisonniers dits « détenus politiques » déplorent leur « détention prolongée sans jugement ». Toujours selon elle, les droits des détenus et l’accélération des procédures judiciaires devant les tribunaux, figurent sur la liste des défis à relever pour la Côte d’Ivoire. Ces prisonniers, pour la plupart sont poursuivis pour atteinte à la sureté de l’État et trouble à l’ordre public, sont détenus depuis 2011 et 2012. Malgré le procès des assises, qui s’est tenu en 2014, seule une soixantaine d’entre eux a pu passer devant le juge. Au nombre de 241, selon l’opposition, ils sont composés d’hommes politiques et de militaires restés fidèles à l’ancien régime. Mais le gouvernement a toujours souligné que ces derniers ne sont nullement des prisonniers politiques. « Tous ceux qui ont été pris dans le cadre de la crise postélectorale ont été jugés, condamnés ou relâchés. Certains sont en liberté provisoire », avait lancé en décembre 2015 le ministre Bruno Koné. Celui-ci avait par ailleurs ajouté que « tous ceux auxquels les opposants font allusion, ont été mis aux arrêts pour leur implication dans les attaques survenues en 2012. Il n’empêche que des hommes politiques sont toujours enfermés dans les prisons ivoiriennes, selon la Commission des droits de l’Homme de l’Union africaine. L’autre grand défi sur lequel la Côte d’Ivoire est attendue réside dans la question du surpeuplement des prisons, à l’image de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). Initialement construite pour 1 500 prisonniers, la MACA en compte un peu plus de 5 000 aujourd’hui, selon le ministère de la Justice. Un projet de construction de dix nouvelles prisons, dont une à Abidjan, annoncée depuis 2014, tarde à voir le jour. Mais en attendant, des défenseurs des droits humains, tels que le LIDHO et le MIDH, estiment que l’État peut consentir à libérer les personnes emprisonnées pour des délits mineurs, tout en les amenant à faire des travaux d’utilité publique. Une solution qui pourrait désengorger les prisons. Enfin, il faut ajouter à ces défis, celui de la sous « sous-représentation des femmes » à l’Assemblée nationale et dans d’autres institutions de la république.
Ouakaltio Ouattara