Quarante jours après l’allocution présidentielle du 1er mai, les Ivoiriens restent, pour une grande part, dans l’expectative quant à une amélioration de leur pouvoir d’achat. Tirée, entre autre, par la sécheresse d’avril-mai, l’envolée des prix du secteur vivrier ne semble pas encore freinée, et en différents endroits du pays, la population réclame, en plus de l’annulation de la hausse des tarifs de l’électricité, des actes forts de la part des pouvoirs publics.
Je comprends les plaintes de nos compatriotes face aux prix élevés des denrées alimentaires et à l’augmentation de nos factures d’eau et d’électricité ». Au moment où le président ivoirien Alassane Ouattara prononce ces mots le jour de la Fête du Travail, Zacharie Compaoré quitte la petite ville d’Akoupé en direction d’Abidjan. Il ne peut entendre, depuis son bus, les promesses de baisse des prix de l’eau, de l’électricité et des denrées, qui sont saluées de toute part. Et pour cause : s’il prend la direction de la capitale économique ivoirienne, c’est parce que cette même crise a eu raison de son emploi, dans le secteur de l’hévéa.
«Tout est devenu cher, on a plus d’hévéa et moins d’aliments, on est obligé de manger moins», témoigne le trentenaire devant l’immeuble dans lequel il s’est reconverti garde de sécurité. Symptomatique de la raréfaction des denrées que causent la sécheresse et le développement de l’hévéaculture au détriment des plantations vivrières, son cas est loin d’être isolé. De nombreuses personnes sont durement touchées par cette hausse des prix, et restent en général perplexes quant aux annonces de l’exécutif.
Une attente importante.
Dans la chaleur moite d’un petit marché couvert de Port- Bouët (sud-d’Abidjan), l’atmosphère est pesante. Les clientes arrivent au comptegoutte, les vendeuses s’épongent le front frénétiquement, les prix montent en flèche. Derrière son étal, Odette N’da ne semble pas sensible à la promesse présidentielle de « lutte contre la spéculation et les cartels » : «Les prix ont trop augmenté, je suis veuve avec onze enfants, je ne mange presque rien le soir », se lamentet- elle, regardant d’un air las quelques bananes dispersées sur sa table. Commerçante de viviers dans le même marché, Masseny Comara estime pour sa part qu’« il faut des gens sur les marchés pour contrôler, le président a parlé, mais on attend les actes, lui, il n’est pas sur le marché. Il faut qu’il voit que le panier de la ménagère est devenu un sachet ! » Une inquiétude que partage Victorine Adiko, qui tient un stand à quelques mètres de là. « Tout est devenu cher dans le marché, les bananes sont toutes petites, au lieu de coûter 100 francs CFA, il m’arrive d’en voir à 500 francs CFA ! On a rien contre le président, il a tenu certaines de ses promesses, mais qu’il fasse baisser les prix », s’impatiente-t-elle. Même son de cloche chez Marie-Jeanne Kouadio, venue faire son marché avec sa jeune fille dans les bras : « Nous les pauvres on souffre. Le marché est toujours cher, les 3.000 francs CFA que j’avais pris pour mes courses d’aujourd’hui ne suffiront finalement pas à nourrir mes trois enfants ».
Le reste du pays n’est pas épargné par la crise. «Quand la pluie commence, la banane devient moins chère, mais pour l’heure, les choses sont encore coûteuses. Avec ce que le président a dit, on pense que les choses vont diminuer, sinon ça ne nous arrange pas trop », se plaint Félicité depuis un marché de San- Pedro, dans le Sud-Ouest ivoirien.
Vers une contagion ?
À Daloa, même symptôme. Surtout, le risque d’une contagion généralisée de cette hausse des prix sur le reste de l’économie s’accentue de jour en jour. « Avec la saison sèche, il n’y a plus eu de bananes, les vivriers se font rares sur le marché», explique Aboubakar Méïté, président des commerçants de la quatrième ville du pays. Dans le Nord du pays, les habitants de Korhogo se remettent difficilement des coupures d’eau et de courant qui précèdent la saison des pluies. « La hausse des prix se répercute sur nous, qui sommes moins en formes, nous avons moins d’eau pour subvenir aux besoins alimentaires et hygiéniques », déplore Lanciné Koné, membre d’une coopérative d’artisans, qui désespère de voir les visiteurs se faire rares dans leurs galeries. Dans un cybercafé du sud d’Abidjan, à la sortie d’un marché, on compte les recettes quotidiennes en pièces. « On n’a pas de clients, même pour gagner 500 francs CFA, c’est encore plus dur que pendant la crise. Là, si tu n’as pas d’argent pour manger, tu ne vas pas en avoir pour Internet », explique celui qui se fait surnommer Gara Gara le Dankoro, derrière son clavier. Dans le local exigu, derrière un ordinateur, un jeune diplômé fait part de ses attentes, après le discours du 1er mai : « Il faut faire la part des choses entre ce qui est dit et ce qui est fait. On n’est plus à l’époque du parti pris, on veut faire avancer le pays », plaide-t-il.
Rétropédalage apprécié sur l’électricité.
Du côté des points marqués par le président Ouattara, l’annonce de l’annulation de la hausse des prix de l’électricité a été vécue comme un soulagement, alors que des augmentations de 30 à 40% ont été constatées dans certains foyers en avril. « Nous sommes très rassurés, nous avons suivi le discours et c’est comme si Dieu avait parlé à la population !», s’enthousiasme Aboubakar Meïté depuis Daloa. « Pour les prix de l’électricité, je suis déjà rassurée. Mais on attend de voir si les autres promesses seront tenues », avertit Monique Kouassi, derrière un stand de légumes d’une cité résidentielle abidjanaise. « Le président est un homme de parole, j’ai confiance », avance laconiquement Kyriane Sow, une cliente. À ses côtés, sa jeune amie Asta Fofana opine du chef et note : « il a réduit les factures d’électricité (une baisse d’environ 17 francs CFA sur le Kwh, ndlr), mais tous les paiements arrivent en même temps désormais ». Malgré ces baisses, la perception d’une hausse généralisée est auto-entretenue par le discours ambiant, qu’a accentué l’intervention présidentielle. Conséquence, « chacun pense que tout est plus cher, alors que pour certains produits c’est le contraire. Il faudrait donc agir sur certaines denrées pour inverser cette perception », analyse un observateur politique. »