En 2003, réunis à Marcoussis en France, les leaders politiques ivoiriens décidaient, d’un commun accord, d’extirper les articles « confligènes » de la constitution de 2000. Treize ans plus tard, le Président Alassane Ouattara désignait un Comité d’experts en vue de l’élaboration d’un avant-projet de constitution pour une 3ème République. Après plus de trois mois de réflexions et de consultations, ce comité, avec à sa tête le professeur Boniface Ouaraga Obou, a procédé le 24 septembre à la remise officielle de ses travaux. Et ce malgré les contestations et réserves des partis de l’opposition, qui n’ont eu de cesse de remettre en cause le fond des réformes annoncées et l’opportunité d’un changement constitutionnel. Une situation qui a empêché le consensus recherché autour de ce projet, qui doit pourtant refonder le socle des institutions ivoiriennes.
L’avant-projet va-t-il aboutir à une constitution consensuelle, impersonnelle, moderne et à même de durer ? Il faudra alors s’en remettre au sage Saumon à qui jadis, les Grecs demandaient quelle était la meilleure constitution, et à qui il avait répondu : pour quel peuple et à quel époque ? C’est donc au peuple ivoirien d’en juger ». C’est sur cette conclusion que le professeur Boniface Ouraga Obou a procédé, le 24 septembre, à la remise de ce texte au Président de la République Alassane Ouattara. Conformément au chronogramme établi, le Conseil des ministres du 28 septembre a procédé à l’examen de l’avant-projet de constitution, le parlement seras saisi dès l’ouverture de la deuxième session ordinaire. C’est donc le 5 octobre que débutera l’examen de l’avant-projet de loi portant constitution. « S’il est voté par l’Assemblée nationale, le projet de loi portant constitution sera soumis à référendum. Car ce sont nos concitoyens qui auront le dernier mot. Et c’est à eux qu’il revient de décider », a rappelé le chef de l’État. Pour l’heure, le Comité d’experts avoue avoir été « la plume du président de la République. Une plume qui s’est voulue obéissante, éclairée et intelligente», a rassuré le professeur Ouraga Obou. Mais selon lui, ils ne se sont jamais sentis dans une posture de « suivi moutonnier » vis à vis du président.
Fonder la 3ème République
Si aujourd’hui c’est le silence radio sur la formulation exacte du texte, l’on sait que l’avant-projet de loi fait état de profondes modifications au niveau des institutions. Notamment avec l’instauration d’un poste de vice-président. Dans les faits, on passera du bicéphalisme actuel à un « tricéphalisme » au niveau de l’exécutif. L’autre nouveauté, c’est l’arrivée d’un parlement bicaméral, avec la création d’un Sénat, dont les deux tiers des membres seront élus au suffrage universel. Le tiers restant sera composé de membres nommés par le président de la République. En plus de la revalorisation du champ de compétence du Conseil économique et social, l’on note la constitutionnalisation de la Chambre des rois et chefs traditionnels. Des choix qui, selon le président de la République, sont inspirés des crises que le pays a traversées, mais aussi du fonctionnement démocratique dans d’autres pays d’Afrique.
Des points d’achoppement
Le nouveau texte ne suscite pas l’adhésion de toute la classe politique. En plus de juger inopportune la nouvelle constitution, l’opposition la qualifie de non consensuelle. Dans le fond, elle craint que l’avènement de la troisième République ouvre la voie à un troisième mandat du Président Ouattara. Si le concerné a lui-même maintes fois indiqué ne pas être dans cette logique, les sorties de ses proches ne rassurent pas toujours. On se souvient en effet de la déclaration du secrétaire général par intérim de son parti, le Rassemblement des républicains (RDR), Amadou Soumahoro, en août dernier. Celui-ci lançait alors : « S’ils continuent, nous militants du RDR, on demandera au Président Ouattara d’être candidat à Journal d’Abidjan - l’Hebdo sa propre succession. Et, nous lui en donnerons le pouvoir. Il en a les moyens, il a les hommes et les femmes et a un bilan à la tête de l’État ». Une menace à l’endroit de l’opposition qui, en retour, n’a fait que renforcer ses réserves. « Que Ouattara laisse la constitution en l’état. Elle pourra être modifiée par son successeur après 2020», avait déclaré Henriette Adjoua Lagou, présidente du Renouveau pour la paix et la concorde (RPC). L’opposition soupçonne en outre le président de vouloir introduire des dispositions transitoires lui permettant de nommer un vice-président, alors que le nouveau texte constitutionnel ne devrait entrer en vigueur qu’à partir de 2020. Une situation qui pourrait, en cas de vacance du pouvoir, mettre à la tête de la Côte d’Ivoire un président qui jouit d’une légalité, mais sans légitimité issue des urnes. Outre l’opposition, des proches de Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale, voient d’un mauvais œil le poste de numéro 2 de l’État et de dauphin constitutionnel échapper à leur poulain. D’autant plus qu’au lendemain de sa réélection, Alassane Ouattara indiquait ne pas être sûr de terminer son second mandat. Laissant ainsi le doute planer sur une probable démission en 2018. Une situation qui envenime les débats autour de la succession. « Ouattara a déjà choisi son successeur et veut nous l’imposer, c’est pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour empêcher cette nouvelle constitution », argumentait, le 17 septembre, Pascal Affi Nguessan, président du Front populaire ivoirien (FPI). Des divergences qui n’empêchent pourtant pas les différents étatsmajors des partis de faire campagne pour ou contre le projet.
Députés sous pression
Le parlement débutera donc l’examen du projet de loi début octobre. Un timing délicat pour cette chambre quasi monocolore, car l’examen intervient à deux mois du renouvèlement de leur mandat dans un contexte où, même au sein de leur parti respectif, les sièges sont convoités par d’autres cadres. En plus de cette menace, une autre plus lourde pèse : le souhait du directoire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) de mettre en place des listes communes pour les élections législatives de novembre. Le faux pas est donc interdit pour chacun des députés, qui devra prendre la parole pour se prononcer sur « le projet qui tient à cœur au président de la République », comme aime le rappeler le directoire du RHDP. Mais au delà des considérations politiques, le 5 octobre, dans l’Hémicycle, chaque député devra surtout se souvenir qu’il tient en main un projet pour la consolidation de la paix, lequel devra traverser les temps, comme la constitution américaine du 17 septembre 1787.
Ouakaltio OUATTARA