Après plus de 50 ans d’indépendance, l’ouest de la Côte d’Ivoire se présente comme la seule zone forestière du pays. Entre plantations de cacao, de café et de produits vivriers, des villages et autres établissements humains se disputent les espaces des forêts sacrées. Sacrées de nom, car, mal protégées, elles ont fini au fil des ans à échapper au contrôle de l’administration forestière et à être partagées entre communautés ivoiriennes et non ivoiriennes. Situation devenue très difficile à gérer et mettant les autorités administratives sous pression. Entre préserver la cohésion sociale, sauver les forêts classées et sauver l’économie cacaoyère, elles sont partagées. Les récents conflits dans la forêt classée de Goin - Débé prouvent la délicatesse d’une question qu’il faut traiter rapidement et avec prudence.
« Sans notre terre à Goin - Débé, je ne sais pas ce que nous allons faire ». Cette phrase est sur toutes les lèvres au sein des populations ivoiriennes qui vivent dans cette forêt classée. À raison d’ailleurs, car elles y ont construit toute leur vie depuis plus de trente ans. La verdure de la forêt a laissé place à des centaines d’hectares de plants de cacao, qui luttent sur cet espace avec les salles de classes et les villages. Les opérations de déguerpissement se sont enchainées depuis 2011 sans grand succès. En juillet 2014, la Côte d’Ivoire a adopté un nouveau Code forestier, dont les objectifs étaient notamment de restituer au moins 20 % du territoire du pays à la forêt. Une première vague de déguerpissement avait été lancée dans la forêt classée du mont Péko, la plus importante, où vivait Amadé Ouéremi, un ressortissant burkinabè arrêté pour son refus de discuter avec les autorités. Ont suivi l’opération de déguerpissement des forêts classées de la parcelle d’Anguededou (400 hectares), celle du Haut Sassandra (102 400 ha), qui s’étale entre Daloa, Vavoua et Zoukougbeu, infiltrée à 75% et celle de la forêt classée de la Niegré, qui s’étend sur une superficie de 92 500 ha entre Sassandra et Guéyo. Goin - Débé n’avait pas échappé à cette opération entre avril 2014 et mars 2016, mais les espaces avaient été recolonisés dès le départ des bulldozers.
Rivalités
La Boucle du Cacao, autrefois située à l’Est du pays, s’est déplacée vers l’Ouest. Cette situation a entrainé un boom de l’exode des populations du centre du pays vers cette zone, mais aussi de ressortissants des pays comme le Burkina voisin, à la recherche du mieux être. La crise militaire qu’a connue le pays en 2002 a également facilité l’installation de différentes communautés au sein des forêts, engendrant des luttes pour le contrôle d’une partie des riches terres, dont la plupart échappaient à la surveillance des agents de la Société de développement des forêts (SODEFOR). L’avantage avait vite tourné au profit de certains chefs burkinabé (dont Amadé Ouérémi et Salam Yameogo, les plus connus), qui régnaient en maitres sur près de 9 000 ha, nous confie une autorité locale de la région du Cavally. L’arrestation de ces deux « chefs » et de plusieurs de « leurs hommes », respectivement en 2013 et en 2015, ouvrait la voie aux ambitions de nouveaux propriétaires, qui luttent depuis pour le contrôle de la zone. Les Wè, populations autochtones, dont certaines ont regagné le pays après un exil au Libéria voisin, revendiquent la paternité des terres et, partant, de tous ce qu’elles produisent. Ils font face aux populations baoulé, jusqu’à là étrangères à la zone, mais qui, depuis des décennies exploitent des plantations dans les différentes forêts. Au-delà de ces rivalités foncières, certains ont vite fait de voir des agendas politiques derrière chaque population. Et le fait que le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ait dépêché une forte délégation sur les lieux, au lendemain des premiers affrontements, aura apporté de l’eau au moulin aux défenseurs de cette thèse. « Que le gouvernement envoie des émissaires, c’est normal. Mais qu’un parti politique envoie des représentants laisse entrevoir quelque chose de pas net », nous lance un cadre de la région, sous couvert de l’anonymat. La tension, qui est montée d'un cran depuis le 2 octobre, n’est autre que la résultante « d’une lutte pour le contrôle de terres sans véritable propriétaires », croit-il.
Le feu couve toujours
Face à une situation explosive, qui a entrainé selon les chiffres officiels 7 morts, 28 blessés, 2 viols, des incendies et des pillages de biens, de même que plus de 5 000 déplacés, le gouvernement ivoirien, qui annoncé le 25 octobre l’ouverture d’une enquête, veut faire baisser la tension entre les communautés. « Celui qui sera pris répondra de ses actes, qu’il soit Baoulé ou Wè », a lancé la ministre Anne Ouloto le lundi 30 octobre aux belligérants. Même si les populations annoncent officiellement avoir scellé la paix le mardi 31 octobre, le contentieux est loin d’être vidé. « Les forêts restent toujours occupées illégalement. Et la Côte d’Ivoire ne peut se permettre de détruire des milliers d’hectares de cacao en pleine campagne ou de fermer toutes ses écoles primaires, durant une rentrée scolaire », soutient un employé de l’administration en poste dans cette zone, ajoutant que tant que l’on comptera des occupants illégaux, les germes de conflits existeront. En attendant, l’administration semble marcher sur des œufs et les populations n’envisagent pas quitter de sitôt ces espaces. Proposant des pistes de solutions, certains proposent « la sécurisation de toutes les populations habitant la forêt de Goin - Débé ainsi que celles des villages avoisinants » et demandent au gouvernement d’octroyer « 10 000 hectares dans la forêt classée de Sio ». Proposition qui a fait bondir l’émissaire du gouvernement Anne-Désirée Ouloto, qui l’a rejetée de revers de la main, expliquant qu’on ne peut « résoudre un problème en en créant un autre. » Mais, au regard des plaidoiries et surtout de la volonté du gouvernement d’aller en douceur dans le règlement de cette affaire, certains observateurs craignent que la pression exercée par les autorités pour faire déguerpir les occupants ne s’estompe progressivement et que les populations recolonisent les forêts, pour celles qui les avaient quittées. « Le Président Ouattara affirmait le 31 juillet à Ouagadougou, dans le cadre du traité d’amitié et de coopération entre les deux pays, qu’il voulait traiter ce dossier délicat de la meilleure des façons, avec beaucoup de solidarité et d’humanisme. Cela n’est pas rassurant », soutient un cadre de la ville de Guiglo. Pour lui, il faut plus de « fermeté, en empêchant l’accès des populations à toutes les forêts classées ». Mais, pour les populations autochtones de l’Ouest, l’exode massif des étrangers vers leur région les met en danger permanent. Pendant que les autorités mettent la pédale douce, des cadres wè interprètent le geste des gouvernants comme une caution donnée aux étrangers. « Combien de mois ou d’années faudra-t-il aux autorités pour trouver une solution à cet épineux problème d’occupation ?», s’interroge l’un d’eux, avant de dire son inquiétude de voir survenir « une déflagration » si rien n’est fait de façon concrète.
Déforestation à grande échelle
Selon des experts, qui citent des sources officielles, la Côte d’Ivoire est passée de 4 millions d’hectares de forêts à 1,4 millions entre 1960 à 2016. La plupart des forêts classées ivoiriennes, 231 en tout, n’ont de « protégées » que le nom, ont constaté les enquêteurs de Mighty Earth. « Les forêts denses ne couvrent plus que 4 % de la Côte d’Ivoire » avaient-ils noté en 2016. Une étude qui les avait conduits à conclure qu’avec une accélération de la déforestation pour des besoins économiques, « il n’y aurait plus de forêt dans le pays en 2030 ». Un point de vue que partage Human Rights Watch, après une étude menée en en mai 2015 et en mars 2016 concernant les forêts classées de Cavally, Goin - Débé et Sio, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Ouakaltio OUATTARA