Huit mosquées ivoiriennes sont en attente d’être immortalisées. La Côte d’Ivoire vient d’en faire la demande d’inscription au patrimoine culturel de l’UNESCO. Alors qu’il a encore tout un stock de sites historiques, le pays a déjà fait admettre plusieurs réserves naturelles et une ville dans la liste très prisée du patrimoine mondial à préserver. Il s’agit de la réserve naturelle intégrale du mont Nimba, du parc national de Taï, du parc national de la Comoé et de la ville historique de Grand-Bassam. Et le pays souhaite y ajouter des sites religieux de type soudanais construits il y a plus d’un siècle et qui continuent de susciter la curiosité chez certains visiteurs, tout en faisant la fierté des populations qui les côtoient au quotidien.
Huit mosquées de style soudanais du nord du pays viennent d’être proposées à candidater en vue d’une inscription sur la liste du patrimoine culturel de l’UNESCO. Ces mosquées se situent dans des localités de Sorobango (Bondoukou), de Nambira (M’Bengué), de Kong, de Kaouara (Ouangolodougou), de Tengréla, de Kouto et de Samatiguila. Après la réserve naturelle intégrale du mont Nimba, le parc national de Taï, le parc national de la Comoé et la ville historique de Grand-Bassam, c’est donc 7 villes de plusieurs départements de la Côte d’Ivoire qui pourraient être inscrites par l’UNESCO. Si les précédentes inscriptions sur la liste de ce patrimoine, très sélectif, répondaient plus ou moins à un besoin de protection de l’environnement, ici, il est question de monuments religieux. « C’est quelque chose de nouveau dans la culture ivoirienne », reconnaît Youssouf Konaté, Imam de la mosquée de la Base navale de Locodjro. Ce qui justifie ce choix ? Selon Aka Konin, Directeur général de l'Office ivoirien du patrimoine culturel (OIPC), la sélection de ces lieux de culte s’est opérée à la suite d’une mission qui s’est déroulée du 18 août au 5 septembre derniers.
Historique À l’entendre, c’est le résultat d’un chantier qui mobilise depuis de nombreux mois un comité d’experts. Les biens proposés pour l’inscription sur la liste du patrimoine mondial sont évalués par deux organisations consultatives indépendantes, désignées par la Convention du patrimoine mondial : le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui fournissent respectivement au Comité du patrimoine mondial des évaluations des sites culturels et naturels proposés à l’inscription. « L’histoire de ces mosquées a beaucoup joué Il a également fallu l’implication des autorités de ces villes pour parvenir à la demande d’inscription au patrimoine culturel de l’Unesco », explique l’Imam Youssouf Konaté. Mais l’architecture des sites a également joué un grand rôle. La mosquée de Tengrela, par exemple, a été construite en 1655. Elle se distingue par son architecture compacte, avec très peu de contreforts. Le minaret se situe sur le côté est de la mosquée. Le bâtiment rectangulaire, orienté d'est en ouest, comprend une salle de prière à l'est et une cour à l'ouest réservée aux femmes. La mosquée de Kouto a, quant à elle, été construite au cours du 17ème siècle dans un carré de 8m x 8m. Elle est implantée sur un terrain à l'entrée de la ville, côté ouest. Elle est composée de trois parties essentielles, orientées d'est en ouest : la première est l'espace de prière des hommes, avec en appendice l'emplacement de l'imam ; la seconde, le vestibule et la troisième, l'espace de prière des femmes, dans lequel se trouve l'escalier qui mène à la toiture - terrasse. Quant à la mosquée de M'Bengué, elle fut construite vers 1943. Le minaret comprend une salle de prière dans laquelle on entre par trois portes, une au nord, une au sud et la dernière à l'ouest. La mosquée de Nambira est également de forme carrée. Le minaret est au milieu de la façade est, dans une tour massive de forme conique. Les deux mosquées de Kong sont un témoignage unique de l'existence d'un centre islamique dans cette ville. Dans la première moitié du 18ème siècle (1741), la ville de Kong possédait plusieurs mosquées, mais il n'en reste plus que deux : la petite mosquée, datant du 17ème siècle, et la grande, plus tardive. La petite mosquée n'est plus fréquentée mais elle continue d'être entretenue du fait de son statut symbolique. La grande mosquée de Kong (Missiriba) fut détruite par Samory Touré aux environs de 1897 et reconstruite au début du 20ème siècle, à l'initiative de l'administration coloniale. « Pour la communauté musulmane, c’est forcement une fierté », note Mory Koné, Imam de la mosquée Al-houda Wa Salam d'Abobo.
Engagement D’après Aka Konin, Directeur général de l'Office ivoirien du patrimoine culturel (OIPC), ces 8 mosquées ont été sélectionnées sur une vingtaine à travers le pays. Et, à travers ce projet, la Côte d’Ivoire honore un engagement pris envers l’UNESCO. Le pays a ratifié par un décret datant de 1980 la Convention sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de 1972. Cette ratification fait obligation aux États parties de proposer des biens culturels en vue de leur inscription sur la liste du patrimoine mondial. Par ailleurs, sur cette liste en attente d’inscription, le pays propose également des sites comme le parc national des Îles Ehotilé et le parc archéologique d'Ahouakro. « Il a d’autres mosquées qui doivent, dans les années à venir, faire l’objet de demandes. Elles n’ont pas été prises en compte parce que la population a crépi les murs avec du ciment. Mais ces erreurs sont en train d’être corrigées », signale l’Imam Konaté. Le bénéfice pour la communauté musulmane, selon Bacounady Ouattara, Imam de la mosquée de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, c’est la récompense des efforts fournis jusque-là par le Conseil supérieur des imams, des mosquées et des affaires islamiques (COSIM). « La Côte d’Ivoire entre dans l’histoire de l’Islam africain », peut se réjouir l’Imam Konaté, en attendant l’accord du comité de l’UNESCO.
Tourisme Une fois inscrits sur la liste du patrimoine mondial, les sites bénéficient de fonds d’assistance pour leur entretien. Pour ce faire, un fonds du patrimoine mondial a été mis en place et il dispose d’environ 2,6 milliards de francs CFA par an, provenant des contributions des États parties et de dons privés. Le Comité du patrimoine mondial affecte ensuite les fonds de l’assistance internationale en donnant la priorité aux sites les plus menacés. « Et nous pensons que la Côte d’Ivoire a toutes les chances pour que sa demande d’inscription soit prise en compte », explique Hassan Camara, Imam de la mosquée Médine d’Adjamé. Si la demande aboutit, le pays se situera devant des pays comme le Burkina et talonnerait, par exemple, le Mali, qui a 4 sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial, dont Tombouctou et la ville ancienne de Djenné Djéno. « Tout ceci va contribuer à augmenter la fréquentation touristique du pays. Cela entre dans la politique du ministre de faire de la Côte d’Ivoire la 5ème destination touristique africaine », explique un proche collaborateur du ministre du Tourisme. Quand on sait que le secteur touristique de Côte d’Ivoire a contribué à environ 7,3% au PIB du pays en 2019, c’est une véritable opportunité. « La Côte d’Ivoire est un pays multiculturel, avec une énorme diversité. Ce qui en fait l’un des pays les plus attractifs d’Afrique. À l’ouest, vous avez les cascades, les ponts de lianes et bien d’autres sites qui pourront peut-être un jour entrer dans le patrimoine de l’UNESCO. Mais il faut continuer à les entretenir. Et la population joue un grand rôle », note notre interlocuteur. Pour lui, la préservation et la conservation des sites historiques, par la population mais aussi par d’excellentes politiques de restauration, montrera dans un avenir proche tout le potentiel de la Côte d’Ivoire.
Raphaël TANOH