Désobéissance civile, non-participation à l’élection présidentielle, empêchement du scrutin dans ses bastions, création d’un Conseil national de transition (CNT) etc. L’opposition aura tout essayé pour empêcher la tenue du scrutin du 31 octobre, sans y parvenir. Le pouvoir n’a pas attendu 24h pour réagir et tuer dans l’œuf un CNT qui aurait pu créer la confusion chez les populations et pour continuer à maintenir un climat de paix, tout en favorisant la reprise des activités. Nous vous livrons en exclusivité les étapes de la descente de différentes unités de la police chez Henri Konan Bédié le mardi 3 novembre en début d’après-midi. Une opération qui a permis à la police de maîtriser les principales têtes du CNT et de lui couper l’herbe sous les pieds.
Tout commence véritablement le 6 août 2020, à la veille de la célébration du 60ème anniversaire de la Côte d’Ivoire. Le Président de la République, Alassane Ouattara, décide de revenir dans le jeu politique et d’être candidat à la présidentielle du 31 octobre. L’opposition, qui avait déjà des griefs contre la Commission électorale indépendante (CEI), décide de maintenir la pression sur un Alassane Ouattara qu’elle juge affaibli, tant au niveau national qu’international. Quand, le 14 septembre, le Conseil constitutionnel valide 4 candidatures et en rejette 40 pour diverses raisons, dont celles de pontes de l’opposition, comme Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Mamadou Koulibaly, Albert Mabri Toikeusse et Marcel Amon Tanoh, les choses se corsent davantage. Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan, bien que retenus, décident de rester solidaires de l’opposition. Le ton monte d’un cran. L’opposition, dans la foulée, lance une opération de désobéissance civile qui entraîne des morts d’hommes et des dégâts matériels et fait grandir la psychose chez les populations. Certains décident de prendre le chemin de l’exil et d’autres de retourner dans leurs villages. Tour à tour, les villes de Bonoua, Daoukro, Bongouanou, Bangolo et Dabou (fiefs de l’opposition) donnent le ton. Mais ces évènements sont circonscrits et ne donnent pas grande satisfaction. Malgré la multiplication des appels à maintenir la pression dans l’ensemble du pays, afin « d’empêcher le déploiement du matériel électoral », le gouvernement et la CEI gagnent leur pari. Celui d’organiser le scrutin à la date constitutionnelle. Selon une source proche de l’armée, quand l’opération « barrissement de l’éléphant », engageant 35 000 forces de défense et de sécurité, est lancée, l’objectif est de faire en sorte que l’élection se tienne au moins dans toutes les grandes villes du pays mais surtout que l’armée n’ouvre pas le feu le jour du scrutin. Tandis que le gouvernement, la CEI et le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) se réjouissent de la tenue de l’élection, l’opposition passe à une échelle supérieure en créant un Conseil national de transition (CNT).
Le feu aux poudres ? Dès l’annonce de la création du CNT, le lundi 2 novembre, Alassane Ouattara réuni rapidement ses « sécurocrates » pour décider de l’attitude à avoir. Le message est clair, « il ne faut pas laisser de temps au CNT, il faut le tuer dans l’œuf. » Le 3 novembre à 12h, le Garde des sceaux, ministre de la Justice, livre un communiqué dans lequel il révèle que « le Gouvernement a saisi le Procureur de la République près le tribunal de première instance d’Abidjan afin que soient traduits devant les tribunaux les auteurs et les complices de ces infractions. (Désobéissance civile, création du CNT) ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Sur le coup de 14h30, deux équipages de la Force d’élite et d’intervention rapide (FRAP), trois chars de la Brigade anti-émeute (BAE), une équipe de la direction de la Police criminelle et une cinquantaine d’éléments des CRS 1, CRS 2 et du GMI lancent l’assaut sur le domicile d’Henri Konan Bédié, où l’opposition s’apprêtait à lire une déclaration. Sur place, les équipages tombent sur une cinquantaine de jeunes, qui depuis un peu plus d’un mois font le guet devant la villa. Ces derniers tentent de s’opposer à la police. Ce n’était qu’un leurre, en réalité. Des éléments pré-positionnés aux alentours en profitent pour escalader la clôture et avoir accès au domicile. Surprise par cette opération, la garde de Bédié n’a pas le temps de réagir et se retrouve en infériorité numérique. Des policiers en profitent pour ouvrir le portail de la résidence, pendant que la BAE disperse au même moment les jeunes dehors et en profite pour quadriller la zone sur un rayon d’un kilomètre. Des éléments de la gendarmerie arrivent dans la foulée et signifient à l’Aide de camp d’Henri Konan Bédié la cessation de ses fonctions auprès de ce dernier, l’embarquant séance tenante. C’est la panique dans la maisonnée. Selon notre source, ordre avait été donné d’interpeller toutes les personnes trouvées chez Henri Konan Bédié, à l’exception du concerné lui-même. Henriette Konan Bédié, dans la panique, se laisse aller, suppliant à chaudes larmes les policiers. Alerté, le général à la retraite Ouassénan Gaston Koné file à la résidence. Il est d’ailleurs, à date, le seul homme politique autorisé à rester avec Henri Konan Bédié. La police en profite pour procéder à des interpellations. Parmi les personnes interpellées, Maurice Kacou Guikahué, Secrétaire exécutif du PDCI, qui est conduit à son domicile, de même que Narcisse N’Dri Kouadio, porte-parole d’Henri Konan Bédié, qui lui est transféré à la préfecture de police. L’opération a durée en tout 8 petites minutes, explique une source policière. « Les actions ont été bien cordonnées et chacun savait exactement ce qu’il avait à faire une fois sur les lieux. L’opération a été d’une grande réussite », se réjouit un gradé de la police. Après vérification des identités, le personnel de maison a été libéré, tout comme des personnalités politiques (le Vice-président du PDCI Georges Ezaley, Sei Bi N’Nguessan, Me Emile Suy Bi), de même que des membres de la famille du couple qui avaient été retenus à la DST. Une sorte de course - poursuite s’engage par la suite contre des jeunes qui tentent d’ériger des barrages aux alentours du siège du PDCI, situé à quelques encablures de la résidence de Bédié. Une dizaine d’entre eux est interpellée et déférée à la préfecture de police et les autres sont dispersés.
Le doute s’installe Pendant que cette opération se déroule chez Bédié, une autre est en cours chez Pascal Affi N’Guessan, Président du Front populaire ivoirien (FPI). Son domicile est également encerclé. Entre 14h30 et 15h30, les principaux animateurs du CNT naissant se retrouvent coupés les uns des autres, sans communication possible. Craignant d’être les prochaines cibles, plusieurs personnalités de l’opposition quittent leurs domiciles dans la soirée. Sans tête ni directives, l’opposition se retrouve livrée à elle-même. Et cela dans un contexte où Laurent Gbagbo, selon des indiscrétions, aurait émis des réserves dans la nuit du 1er au 2 novembre face à la création du CNT. Il aurait par la suite demandé à ses collaborateurs « de rester solidaires des actions de l’opposition, sans en être à la tête et sans en prendre l’initiative ». Mais, selon une source proche du dossier, cela n’empêche en rien que certains cadres du FPI restés fidèles à Laurent Gbagbo tels qu’Assoa Adou et Hubert Oulaye soient inquiétés. Henri Konan Bédié, Maurice Kacou Guikahué et Pascal Affi N’Guessan devraient rester en résidence surveillée. Mais il n’est pas exclu que, hormis Henri Konan Bédié, les autres soient interpellés et traduits devant les tribunaux. Un coup dur pour l’opposition, qui n’avait pas prévu dans l’immédiat de plan B. Elle peine à mobiliser depuis la fin du scrutin et ses militants semblent quelque peu désemparés. Cette phase ouvre un nouveau chapitre de la crise post-électorale. Dans la nuit du 3 au 4 novembre, plusieurs chancelleries se sont proposées comme médiatrices afin de calmer les esprits pour éviter une escalade de la violence.
Yvan AFDAL