À quelques heures de la présidentielle ivoirienne, le climat n’a jamais été aussi tendu dans le pays. Depuis début octobre, de nombreux actes de violences, perpétrés par des individus au nom de la désobéissance civile prônée par l’opposition, font craindre une crise pré-électorale qui risque de s’envenimer. Le gouvernement et la Commission électorale n’ont pas l’intention de fléchir devant les doléances de l’opposition, notamment le report du scrutin. À la recherche de médiateurs ou d’organisations neutres pour calmer les deux partis, les Ivoiriens se demandent pourquoi leur société civile n’en fait pas plus. Prise parfois au piège, taxée de partisane, elle semble avoir perdu toute crédibilité face aux Ivoiriens et sa voix devient de plus en plus inaudible.
Ce lundi 25 octobre, la Centrale syndicale Dignité a tranché avec ses précédentes sorties médiatiques, en affichant clairement sa position sur la présidentielle du 31 octobre prochain. Guides religieux, associations de consommateurs, parents d’élèves et d’étudiants, artistes, footballeurs, etc., tous se sont plus ou moins exprimés ces derniers temps sur la situation politique ivoirienne, qui inquiète non seulement la communauté nationale mais aussi internationale. Certains, allant jusqu’à s’octroyer le rôle, très délicat en ce moment, de médiateurs. Mais où est la société civile ? Depuis le mois de septembre, un grand vide semble s’être installé sur la scène nationale pour ce qui est de la modération des débats. Le siège d’équilibriste de la société civile, censée rassurer par son impartialité et sa participation constructive au bien- être du pays, est quasiment vacant. À quelques heures du scrutin présidentiel, il est clair que la période préélectorale, marquée par des diatribes en tous genres et une violence accrue dans les rues, se sera déroulée sans que les Ivoiriens n’aient véritablement senti une quelconque implication de la part de la société civile. Hormis quelques déclarations, affirme Claude Aka Tano, Président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (OPEECI), que fait-elle pour apaiser la situation ?
« Ce sont deux parties qui font un bras de fer. Le plus souvent, il faut une troisième partie pour essayer de les amener au dialogue, pour éviter que la situation n’empire. Nous, les guides religieux, avons souvent cette casquette. C’est aussi le cas pour la société civile. Mais il faut avouer que ce n’est pas toujours facile », explique Youssouf Konaté, Imam de la mosquée de la base navale de Locodjoro. Qui prend le soin d’ajouter qu’à leur niveau des séances de prières ont été organisées, notamment à la base navale de Locodjro. Et les imams et guides religieux, musulmans comme chrétiens, n’ont pas arrêté de sensibiliser leurs fidèles.
Faucons Toutefois, il ne faudrait pas se méprendre : la situation de la société civile est beaucoup plus complexe qu’on ne l’image, selon Satigui Koné, Président de la Fédération des ONG de développement de Côte d’Ivoire (FEDOCI). « Au niveau de la FEDOCI, nous menons déjà des actions dans l’ombre. Nous approchons des leaders politiques pour leur demander de venir à la table des négociations », informe Satigui Koné. Également Président de l'Union africaine des ONG de développement (UOAD), le leader d’opinion prend le soin d’ajouter que la violence ne vient pas d’un seul camp. « Il faut que chaque partie calme ses faucons. On ne peut pas dialoguer en même temps qu’il y a des actes de violence », regrette-t-il. Une situation, à l’entendre, qui rend le contexte ivoirien difficile. Le fait que les actions des membres de la société civile restent discrètes fait croire, selon Satigui Koné, qu’ils sont muets. Mais c’est tout le contraire. « Ce n’est pas toujours qu’il faut mettre sur la place publique ce que nous faisons. Il y a un moment pour toute chose », fait-il savoir. Souleymane Fofana, Coordonnateur général du Regroupement des acteurs ivoiriens des droits de l'Homme (RAIDH) abonde dans le même sens. « Nous appelons à la paix et à la cohésion sociale », note-t-il. La société civile joue son rôle, selon lui, mais pas de la manière qu’on voudrait, peut-être. « Nous sensibilisons, nous appelons les différents partis politiques à la table des discussions », ajoute-t-il.
Crédibilité Mais l’un des problèmes dans l’arène politique, d’après Claude Aka, c’est l’influence que peut avoir une organisation de la société civile dans le débat. Car la crédibilité de ces structures joue un grand rôle dans l’équilibre des débats. Marius Comoé, Directeur exécutif de l’ONG Du Cœur, par exemple, affirme que vient un moment dans la vie d’un homme où il faut faire un choix. Il poursuit qu’il a pour cela démissionné de plusieurs fonctions afin de descendre dans l’arène politique et de manifester son indignation devant le troisième mandat du chef de l’Etat, Alassane Ouattara. Tout comme lui, de nombreux leaders d’opinion, au sein de la société civile, ont plus ou moins un parti pris dans le débat politique. Un bon lot est du côté du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) et l’autre se trouve dans l’escarcelle de l’opposition. Ce qui, en soit, n’est pas un fait nouveau en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, selon certaines sources, quand les leaders de la société civile ne sont pas financés par des politiques, ils portent sous leurs costumes des t-shirts politiques ou encore sont influencé par des politiques. Drissa Soulama, Coordonnateur national du Forum de la société civile de l'Afrique de l'Ouest (FOSCAO) a un autre regard sur la situation. D’après lui, tout part de la place que l’État lui-même accord à la société civile. « Pour la constitution de la Commission électorale indépendante (CEI), par exemple, un certain nombre de postes ont été octroyés à la société civile. Mais cela a été fait non pas par considération, mais par simple obligation », indique le Coordonnateur national de la FOSCAO. À côté de cela, dit-il, lorsque des partis politiques sont dans l’opposition, il y a un certain nombre d’ONG et de membres de la société civile qui se mettent ensemble pour dénoncer les agissements du régime en place. Et quand ces partis de l’opposition viennent au pouvoir, ces ONG, qui s’étaient mises ensemble pour dénoncer, disparaissent étrangement. Elles ne dénoncent plus. Ce qui montre clairement un certain parti pris, qu’il soit ostentatoire ou latent.
Autonomie Du point de vue de la FOSCAO, une société civile qui n’est pas indépendante ne peut pas prétendre prendre une place importante dans le débat politique. En l’occurrence, la société civile ivoirienne est en retrait parce qu’elle n’a pas su s’affranchir véritablement du joug politique. Une position partagée par Satigui Koné. D’après le Président de la FEDOCI, le pouvoir octroyé à la société civile détermine le genre de rapports que les gouvernants désirent entretenir avec leurs populations. La position actuelle de la société civile ivoirienne, d’après M. Koné, est voulue. Alors que cette dernière doit normalement bénéficier d’un financement normal et annuel qui lui donnerait son autonomie, les gouvernements, les uns après les autres, mettent en place un système qui consiste à les garder en coupe réglée. « Chaque pays a la société civile qu’il souhaite », ressasse-t-il. Affaiblie par une dépendance financière des instances politiques, la société civile, censée être apolitique, est plutôt militante, voire activiste. « Comment peut-elle jouer un rôle important dans la crise actuelle en Côte d’Ivoire ? », s’interroge le Président de l’OPEECI.
Alors que le scrutin du 31 octobre s’annonce tendu, que de regrets pour de nombreux Ivoiriens, pour lesquels l’opposition ivoirienne et le RHDP en sont venus à un tel niveau d’hostilité que le spectre des années noires est en train de ressurgir. Mais cela aurait-il pu être évité avec un peu plus d’implication, de médiation, ou avec une société civile plus forte ? Rien n’est moins sûr.
Raphaël TANOH