Lancée en début d’année, l’opération d’assainissement de la capitale économique se poursuit toujours, de manière intermittente. Elle n’est pas du goût de tout le monde et, dans une période de tension politique, le moindre coup de marteau donné à un mur, suscite un tollé. Les populations et les commerçants déguerpis ne savent pas toujours vers qui se tourner. Mal nécessaire ou simple excès de zèle ?
Les rues jonchées de pierres, l’air irrespirable, un bulldozer en flamme... Le déguerpissement des populations d’Adjamé-village, le 25 juillet dernier, a fait ressurgir les souvenirs d’une période que la Côte d’Ivoire croyait pourtant avoir laissée derrière elle. Des populations illégalement installées sous les emprises du 4ème pont, ont refusé de décamper. En mars déjà, c’étaient des habitants de Yopougon-Gesco qui protestaient contre une école détruite alors que l’année scolaire suivait encore son cours. Et qui ne se souvient pas des protestations des acteurs du parc à bétail de Port-Bouët, en juin, parce qu’ils avaient été délocalisés. Zoo, Payet, Mahou, Boribana, etc. La vaste opération de déguerpissement entreprise dans la capitale économique par le District autonome d’Abidjan et par le Gouvernement, n’en finit plus d’occuper l’actualité.
À moins de deux ans de la prochaine présidentielle et alors que l’opposition rameute ses troupes, le sujet du délogement des commerces et habitations est devenu du pain bénit pour les leaders politiques. « De nombreuses familles ont été délogées sans indemnisation (…) », s’est empressé de publier le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), le 29 juin dernier. « Le PPA-CI invite le Gouvernement à veiller à ce que le respect de la dignité humaine soit toujours au centre de toute action de gouvernance», n’a pu s’empêcher le président exécutif du Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI), Sébastien Dano Djédjé. Humanisme ! crient les organisations de défense des droits de l’homme. En réponse à toutes ces réactions, le Gouvernement justifie sa politique par un besoin impérieux d’assainir la capitale, en proie aux bidonvilles et à un désordre urbain grandissant.
Bruit
De quel côté se trouve la raison ? Les Abidjanais semblent divisés sur la question. Pour Souleymane Fofana, coordonnateur du Regroupement des acteurs ivoiriens des droits humains (RAIDH), le timing n’a pas été bien choisi. « Nous sommes à moins de 15 mois de la présidentielle, il faut en finir avec tous ces aspects du déguerpissement avant de commencer le scrutin », fait-il savoir. Il appartient aux autorités, dit-il, d’éviter toute forme de récupération en communiquant suffisamment sur le délogement et l’indemnisation des populations. « Si des gens sont déjà indemnisés, il doit y avoir des fichiers pour ça. Il faut donc informer la population pour qu’elle comprenne qui n’a pas le droit d’être là et qui a été dédommagé, à telle période », ajoute-t-il. Avant de poursuivre : « Nous aussi, en tant que société civile, devons aller aux infos avant de tirer des conclusions hâtives ».
Pour les déguerpissements de Gesco, du Zoo, selon Drissa Bamba, président du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), on aurait pu attendre les vacances scolaires. Même si l’Etat a pris en charge les centaines d’élèves qui ont été impactés par l’opération à Yopougon-Gesco, d’après lui, les autres quartiers ont vu des familles se déplacer en pleine année scolaire. « De nombreux élèves ont été éloignés de leurs écoles », souligne-t-il. Même les religieux ne sont pas restés indifférents à la situation. « L'Etat n’a pas assez communiqué autour de cette situation. Où sont passés ceux qui ont géré le recasement des habitations démolies de Boribana, de Songon ?», indique pour sa part Hassan Camara, imam de la Mosquée Médine d’Adjamé-Payet.
Banditisme
Les conséquences de ces opérations, à entendre Drissa Bamba, c’est la hausse du banditisme. « S’il n’y a pas d’endroits où reloger ces populations, la délinquance et la criminalité vont augmenter », prévient-il. Souleymane Fofana note qu’avec la récupération politique que les uns et les autres font, il y a un risque d’envenimer le climat, à quelques mois de la présidentielle. D’où l’intérêt, dit-il, d’en finir au plus vite avec le déguerpissement.
Mais, selon le District autonome d’Abidjan, ce sont au départ 176 sites qui ont été identifiés, dont 77 en situation critique, du fait des inondations, des éboulements de terrains, ainsi que des effondrements de bâtisses construites dans les emprises de voies publiques. Le ministre-gouverneur Ibrahim Cissé Bacongo, dans le cadre de sa mission d’assainissement, n’en n’est pas encore à la moitié du job. Si le bien-fondé de ces actions n’est plus à discuter, la manière n’émeut pas forcément tout le monde. « Les commerçants sont pour le développement et nous sommes prêts à accompagner l’Etat sur cette voie », indique le directeur général de la Fédération nationale des acteurs du commerce de Côte d’Ivoire (FENACI), Karim Sanogo. D’un autre côté, reconnaît Drissa Bamba, président du MIDH, l’assainissement de la ville d’Abidjan s’avère nécessaire.
Communication
Reste donc que ces opérations doivent être bien organisées. Au niveau du Gouvernement, on ne doute pas une seule seconde avoir bien agi. Parce qu’il y a eu des préavis, des dédommagements et même des accompagnements. Les ménages victimes des déguerpissements à Boribana et à Gesco ont bénéficié par exemple, d’un dispositif de relogement. Un mécanisme comportant 5 mesures dont « le soutien de l’Etat au relogement à hauteur de 250.000 FCFA, par ménage » pour une enveloppe globale de 697 millions a permis aux victimes d’être soulagées. L’Etat annonce aussi la mise à disposition d’un terrain de 75 mètres carrés ou de 100 mètres carrés selon la taille des familles avec la signature d’un bail emphytéotique pour un bail de 20 à 25 ans pour un loyer de 10.000 F par mois au terme duquel, les nationaux affectés deviendront propriétaires des terrains attribués.
Mesures
Relativement à ce geste, le gouvernement a expliqué qu’un site potentiel pour le recasement a d’ores et déjà été identifié. Les travaux d’urgence d’aménagement de voirie, d’adduction en eau et en électricité seront lancés incessamment pour un coût global de 15 milliards de FCFA. La batterie de mesures prises par l’Etat prévoit par ailleurs l’allocation d’une aide à la construction d’un montant forfaitaire d’un million de FCFA par famille en vue de les accompagner dans la construction de leurs maisons. Le coût global de cette mesure est estimé à 3 milliards de FCFA pour les ménages affectés à Boribana et à Gesco.
Cette série de mesures conjoncturelles qui visent à porter assistance aux populations déguerpies a été associée à une vision structurelle qui aura pour mission d’assurer une meilleure gestion des prochains quartiers figurant sur la liste des zones à risques. En l’occurrence, la Cellule aménagement des quartiers précaires du district autonome d’Abidjan. Sous la coupole de la Primature, cette cellule est spécialement chargée de la programmation des quartiers précaires à déguerpir, de la prise en charge et du relogement des familles affectées par le déguerpissement ainsi que de l’examen des plans d’urbanisme des quartiers précaires déguerpis.
Logements sociaux
Un ensemble de mesures à ajouter aux dédommagements déjà octroyés aux dégagées des emprises du 4ème pont. Malheureusement, à entendre le Gouvernement, certains reviennent se réinstaller. Ça été notamment le cas d’Adjamé-village qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. La tension soulevée autour de cette action a donné l’impression que les populations déguerpies avaient raison. D’où le besoin de communiquer. Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) n’a pas d’ailleurs manqué de reconnaître cette faiblesse dans l’opération de déguerpissement, début mars. « Le RHDP salue les efforts importants entrepris par le Gouvernement en vue d’assurer à chaque Ivoirien un cadre de vie et une habitation décente et l’invite à amplifier le programme en cours de construction de logements sociaux (…) Le RHDP appelle le Gouvernement à prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la diffusion de l’information auprès des populations-cibles et leur recasement sur des sites de transit (…) », a indiqué le parti au cours d’une déclaration. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le déguerpissement sera un sujet de campagne pour 2025.
Jonathan Largaton