Trafic d’animaux : Abidjan, plaque tournante ?

Les éléphants et les rhinocéros sont les principales cibles des trafiquants d’espèces animales.

Le démantèlement d’un réseau sous-régional de trafic d’espèces animales protégées et l’arrestation début novembre de ses membres a levé le voile sur l’ampleur du fléau en Côte d’Ivoire. Presqu’inexistante, en dehors d’un cadre juridique peu dissuasif, la lutte contre ce genre de trafic a connu un coup d’accélérateur depuis le mois de mai, avec le début des activités d’Eagle Côte d’Ivoire, une organisation internationale qui travaille dans ce domaine. Mais la lutte s’annonce longue, car les récentes arrestations ne seraient que la partie visible de l’iceberg. Les réseaux impliqueraient des agents véreux des Eaux et forêts et de la Douane et jouiraient de complicités au niveau continental, avec parfois des ramifications insoupçonnées.

La prise était historique. 55 kg d’ivoire, 46 queues d’éléphants et une centaine d’objets de valeur fabriqués à partir d’ivoire. Les enquêteurs, qui étaient sur la piste d’un réseau de quatre trafiquants (deux Ivoiriens et deux Guinéens), ne s’attendaient pas à une aussi importante découverte à Abidjan. « La plus grande de tous les temps », commente le capitaine Thimoty Gahoré, en charge de l’enquête, qui précise que l’ivoire proviendrait d’Afrique de l’Est et a atterri en Côte d’Ivoire via la Guinée. La prise a eu pour effet immédiat de ralentir l’ardeur des trafiquants, sans pour autant les dissuader. Et, comme la drogue, le trafic des espèces animales protégées emprunte d’autres chemins. Les adeptes jouent la carte de la prudence, sans pour autant y renoncer. Le législateur, pour sa part, prépare une loi en vue de revoir à la hausse les peines privatives prévues, qui datent de 1960. Ce trafic mondial met en danger la survie d'espèces menacées emblématiques, dont les gorilles, les éléphants et les rhinocéros. Mais en réalité, des milliers d'espèces animales sont concernées, certaines chassées pour leur peau ou leurs cornes, d'autres pour servir d'animaux de compagnie exotiques. Malgré une lutte qui s'organise de mieux en mieux au niveau national et international, les filières clandestines sont en plein essor. Le négoce clandestin de défenses d'éléphant et de cornes de rhinocéros destinées aux marchés asiatiques, en particulier à la Chine et plus récemment au Vietnam, flambe, en raison de tarifs qui atteignent des sommets. Sur le marché international, la défense d’ivoire brute se négocie autour de 1 000 euros le kilo, soit 650 000 francs CFA, là où le prix de la corne de rhinocéros, marchandée le plus souvent sous forme de poudre et destinée à produire de prétendus remèdes aphrodisiaques pour des clients asiatiques, s'envole à plus de 50 000 euros le kilo, soit un peu plus de 32 millions de nos francs, indiquent certaines sources.

 

Réseau africain L’affaire s’apparente à un labyrinthe dont seuls les trafiquants savent comment sortir. De la Guinée à la République Démocratique du Congo, en passant par le Togo, le Cameroun, le Nigeria et la Côte d’Ivoire, entre autres escales, le réseau est bien ficelé. « C'est parce que lorsque des arrestations commencent dans un pays, suivies de poursuites judiciaires, le commerce se déplace vers un autre pays, où le risque est moindre », explique Rens Ilgen, coordonnateur pays de Eagle Côte d’Ivoire, une ONG de défense des espèces animales protégées travaillant dans neuf pays d’Afrique. Il pense à juste titre que la Côte d'Ivoire « est très attractive pour les trafiquants ». C’est qu’en plus d’avoir une législation assez légère en la matière, le pays n’en fait pas une véritable priorité. Mieux, les frontières ivoiriennes sont poreuses et la corruption favorise ce genre de trafic, qui s’appuie sur le braconnage à grande échelle. « Il y a de grands criminels derrière ce commerce, qui facilitent le braconnage, le transport, l'exportation et la corruption, qui est nécessaire pour ce type de commerce illégal », explique Rens IIgen. Il est d’ailleurs convaincu que « la Côte d’Ivoire est un important pays de transit. Certains animaux sauvages tués en Afrique centrale peuvent venir jusqu'à Abidjan pour être exportés à partir d'ici. Bien que nous ne fassions que commencer, je reste positif, parce que je vois beaucoup de motivation du côté des autorités, qui sont engagées à nous accompagner ». Toutefois, renchérit un spécialiste de la question sous couvert de l’anonymat, « la Côte d’Ivoire n'est pas un simple pays de transit. C'est un centre de commerce pour de nombreux pays africains. Les produits de la faune illégale passent à Abidjan pour un voyage supplémentaire en Afrique ou en dehors de l'Afrique ». Mais, prévient le capitaine des Eaux et forêts Yves Koffi, il ne faut pas se limiter à mettre l’accent sur le braconnage. « Il ne faut pas blâmer les braconniers. Pour la plupart, ce sont des villageois qui ne reçoivent que des miettes », explique-t-il. Le spécialiste estime que ce trafic implique des réseaux très vastes, avec des acteurs dans plusieurs pays africains, et qu’il n’est pas rare, et c’est même le cas bien souvent, de voir des liens avec la vente de drogue ou d’armes. Dernièrement, « il devient de plus en plus clair que les crimes contre la faune financent même le terrorisme », croit-il. Dans les couloirs des bureaux de Eagle Côte d’Ivoire, à Trechville, on reste cependant optimiste. « Les trafiquants vont peut-être déménager dans un autre pays dans un avenir proche, car la volonté politique devient de plus en plus forte », tranche le coordonnateur.

 

Faible législation En attendant que ce rêve se réalise, les autorités ivoiriennes travaillent à améliorer le cadre juridique. La peine d’emprisonnement ferme de deux mois à un an, avec une amende modeste de 3 000 francs CFA à 300 000 francs CFA, pourrait être corsée avant la fin de l’année 2017. De sources proches du ministère des Eaux et forêts, des experts environnementaux réfléchissent à une politique de durcissement de l’actuelle loi faunique, de sorte à freiner les ardeurs des trafiquants. La peine pourrait passer de 1 à 7 ans maximum d’emprisonnement, selon l’un de ces experts. Ils comptent s’inspirer des modèles camerounais, où la peine d’emprisonnement va de 1 à 3 ans, ou du Bénin et du Togo, qui condamnent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement ferme. Mais, reconnait notre expert, la législation à elle seule ne suffira pas. « Il faut mieux appliquer la loi. Le cadre juridique peut-être dissuasif, mais s'il n'y a pas d'arrestations ou de poursuites, c'est inutile », relève-t-il, avant d’indiquer qu’en Côte d’Ivoire, avant mai 2017, personne n’avait jamais été condamné pour trafic illégal d’espèces animales protégées. Selon un juriste spécialiste de l’environnement, officiant au projet Eagle CI, il est clair que le législateur ivoirien doit absolument mettre en place des lois plus rigoureuses, plus efficaces. C’est probablement la solution idoine qui permettra de mettre fin efficacement au trafic international d’espèces protégées, pense-t-il. Pour rappel, de mai à juillet 2017, trois opérations majeures ont permis 11 arrestations de trafiquants. À date, deux d’entre eux ont été condamnés à six mois ferme pour trafic de bébés chimpanzés, quand neuf autres, ayant fait leur spécialité de la chasse, la collecte et la vente d’écailles de pangolins ont été mis aux arrêts courant juillet et attendent toujours leur procès. Des peines qui, pour Assaré Koffi Djoni, un protecteur de l’environnement, « sont faibles » car, accuse-t-il, « à cause de ces trafiquants cupides, il n’y a quasiment plus d’éléphants dans notre pays ».

 

Ouakaltio OUATTARA

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