Le premier concerné ne s’est pas encore prononcé. Du moins pas officiellement. L’entourage d’Henri Konan Bédié cache ses intentions pour l’échéance de 2020. Fera-t-il acte de candidature, la Constitution l’y autorisant, ou se maintiendra-t-il dans la position de faiseur de roi dont il a les apparats depuis 2010 ? Autour de lui les avis sont partagés et s’entrechoquent, loin de sa résidence de Cocody les Ambassades, où les visiteurs se succèdent. En s’éloignant d’Alassane Ouattara pour se rapprocher d’Affi N’Guessan, Henri Konan Bédié est bien conscient qu’il apporte de l’eau au moulin de ceux qui pensent qu’il se prépare pour une candidature en 2020. Le Sphinx de Daoukro a de nombreuses cartes en main et ne semble pas pressé de les abattre.
La villa qu’occupe Henri Konan Bédié à Cocody les Ambassades ne désemplit pas. Une partie de cette résidence a été transformée en bureau et il enchaine les audiences toute la journée. Elles sont d’ordre politique, avec son cercle restreint, familiales ou encore sociales, avec des délégations qui se déplacent pour annoncer des décès dans la plus pure tradition akan. Entre Daoukro et Abidjan, Bédié ne chôme pas. Et les visiteurs non plus ne sont pas aux abonnés absents. Les rencontres avec les cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qu’il préside, se tiennent au siège de cette formation politique, à quelque 500 mètres de son domicile. Entre deux bouffées de cigare, il peaufine sa stratégie, en se positionnant peu à peu comme le chef de file de l’opposition, à 85 ans. S’il a le coffre de cette posture, pas évident qu’il en ait la force. « Il devra également faire face à une contradiction interne et à l’aile du Front populaire ivoirien (FPI) incarnée par Aboudrahamane Sangaré, qui n’est plus orpheline depuis la libération de Simone Gbagbo », prévient Sylvain N’Guessan, politologue.
Chef de file de l’opposition Depuis 2011, l’opposition n’était jamais parvenue à parler d’une même voix ou à mener une bataille commune face à un Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) en pleine harmonie. Pascal Affi N’Guessan, Président du FPI, qui rêvait d’une rupture entre les alliés au pouvoir, n’a pas attendu longtemps pour saisir la main tendue du PDCI. « Nous lui avons affirmé notre disponibilité à prendre notre place dans la nouvelle plateforme qu’il (Bédié) appelle de tous ses vœux et nous sommes disposés, dans le cadre des élections locales, à aller vers l’alliance qui se concrétisera », a-t-il lancé à la sortie d’une audience, le 10 juillet, avec Bédié. Affi N’Guessan, en allant voir Henri Konan Bédié, « lui confie de façon subtile le statut de chef de file de l’opposition, qu’il représentait auparavant, et se met à l’abri d’une future bataille avec Simone Gbagbo », commente Firmin Kouakou, politologue. Mais, ajoute-t-il, lorsque Henri Konan Bédié envoie Jean-Louis Billon chez Simone Gbagbo, « c’est aussi pour connaitre son état d’esprit et savoir sur quel pied danser ». Pour des observateurs abidjanais, Bédié veut surfer sur la crise au FPI afin de prendre ses appuis dans l’opposition. Avec une fraction Affi légale mais affaiblie auprès de la base, la plateforme PDCI - FPI ne pèsera pas grand-chose, si l’on s’en tient aux résultats des dernières élections (présidentielle 2015 et législatives 2016). L’enjeu majeur est de savoir quel intérêt il aurait à concilier deux entités diamétralement opposées ? Un FPI fort sera-t-il à l’avantage du PDCI ? Pas si sûr, car cela le reléguerait au second plan. Le risque est grand et Bédié ne commettra pas cette erreur, pense un diplomate à Abidjan. Mais, avec la reconfiguration politique qui se joue, aucun scénario n’est à écarter. « Bédié a choisi son camp et si d’aventure il nous approche, la direction avisera », confie un cadre proche de Sangaré, selon lequel les choses n’ont pas encore changé et la participation aux élections locales du 13 octobre pas à l’ordre du jour. Henri Konan Bédié, en homme mesuré, patient et calculateur sait qu’il joue gros. Si la candidature de son parti est non négociable pour 2020, il est aussi hors de question pour lui de servir à installer un autre parti. Ce serait un jeu de poker menteur et permettrait rendre le FPI plus fort. « En 2020, c’est le PDCI qui doit être accompagné et non l’inverse », souffle un cadre de ce parti. Pour rappel, en juillet 2016, le groupe parlementaire PDCI s’était opposé au vote de la loi sur le statut de l’opposition et du chef de file de l’opposition, car l’avant-projet stipulait que « le chef de l’opposition sera le candidat, ou le chef du parti ou groupement politique arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle ». Après cette opposition, le texte était resté sans suite. Le PDCI avait-il déjà son plan à cette époque ? L’évolution des choses laisse la porte ouverte aux spéculations.
Contradictions internes Mais Bédié doit faire face à plusieurs contradictions à l’interne. D’un côté, le mouvement « Sur les traces d’Houphouët », piloté par Adjoumani Kobenan et dans lequel se trouvent des présidents d’institutions, ministres, élus et directeurs généraux du PDCI, et de l’autre des cadres du PDCI qui, dans l’ombre, appellent à un débat ouvert pour la succession de Bédié et pour « un candidat jeune » en 2020. Candidat à l’élection de 2015, Bertin Konan Kouadio (KKB) est de ceux-là et Charles Konan Banny n’a pas encore renoncé à ses ambitions présidentielles. À ces deux prétendants s’ajoutent désormais Jean-Louis Billon et bien d’autres cadres qui avancent à pas feutrés et attendent le moment opportun pour faire tomber les masques, pensent certains observateurs. Autre contradiction à gérer, le fait qu’Henri Konan Bédié, tout en invitant les élus et cadres à se présenter sous la bannière de son parti, autorise les ministres à y aller en RHDP. « Il y a deux poids, deux mesures dans cette décision de Bédié, d’autant plus que, depuis, il refuse de demander à ces derniers de choisir leur camp. Le PDCI n’est plus comptable des actions du gouvernement et ne doit plus y compter de ministres. Tous ceux qui y sont devraient être suspendus », confie sous cape un cadre, lui-même en délicatesse avec Bédié depuis l’appel de Daoukro, en 2014. « Le PDCI est aussi à un carrefour difficile. Il est tiraillé entre plusieurs courants, dont l’un souhaite le maintien au sein du RHDP, un autre est favorable à une alliance avec le FPI, peu importe la tendance, et un autre qui a un agenda différent de celui des deux premiers », explique Firmin Kouakou.
Candidat ? Pas si sûr qu’Henri Konan Bédié déploie toute cette énergie pour un éventuel dauphin. « Le Vieux », comme on l’appelle dans certains salons abidjanais, veut certainement mener une dernière bataille politique, à 87 ans, en 2020. Il garde le silence et avance cartes en main. Gnamien Yao, grand conférencier du PDCI, l’a déjà annoncé : « en 2020, le candidat du PDCI, c’est Henri Konan Bédié ». Et le Secrétaire exécutif Maurice Kacou Guikahue de relativiser. « Si en 2020 on n’a personne, Bédié sera notre candidat ». Bédié y songe en se rasant chaque matin et certains observateurs pensent que c’est l’un des points de discorde entre lui et le Président Alassane Ouattara. « Le climat lui était favorable. Dans le combat entre le RDR et le FPI, Bédié voulait se positionner comme le réconciliateur des Ivoiriens. Malheureusement, ce qu’on est tenté d’appeler discours historique du 6 août remet beaucoup de choses en cause », pense le diplomate cité plus haut. Mais, selon d’autres observateurs, Henri Konan Bédié protège plutôt un candidat du PDCI. « Le sortir maintenant pourrait lui attirer des foudres et le fragiliser avant 2020. D’ailleurs, dans chaque camp, personne ne veut lever le voile sur son candidat. Chacun garde son joker », explique-t-il.
Ouakaltio OUATTARA