Primaire et secondaire publics : Écoles cherchent argent

Environ deux semaines après la rentrée scolaire, les acteurs du système éducatif doivent réfléchir à un problème vieux comme le monde : où trouver les ressources pour financer l’éducation de leurs enfants ? Depuis des décennies, l’école n’est plus entretenue par l’État de Côte d’Ivoire. Dans la capitale comme à l’intérieur du pays, il faut lever des cotisations pour faire face aux urgences du moment. Sauf que cette levée est maintenant interdite et que l’aide promise par les autorités semble insuffisante. Du coup, on se creuse les méninges pour parer au plus pressé, tout en ayant un regard vers les autorités pour trouver une bouffée d’oxygène.

Pour cette rentrée scolaire 2021-2022, les parents d’élèves ne payeront pas un iota. Du moins, pour ce qui concerne les frais annexes au primaire et au secondaire publics. Instruction ferme du ministère de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation. Tee-shirts, carnets de correspondance, cotisations exceptionnelles, etc., c’est terminé ! Conformément à la décision du Conseil des ministres du 30 décembre 2020, il a été mis fin au pouvoir des Comités de gestion des établissements scolaires (COGES) de lever des cotisations exceptionnelles, bien que ces structures continuent toujours d’exister.

Ainsi donc, outre les frais d’inscription en ligne dans les établissements primaires et secondaires publics, les parents d’élèves ne sortiront plus leur portefeuille pour réparer l’ampoule de la classe, payer le vigile, construire ou refaire une clôture.

Problématique Si cette décision a soulagé les Ivoiriens, la grande interrogation reste la solution de rechange que l’État a trouvée pour remplacer les cotisations des parents. Dans de nombreuses écoles, notamment à l’intérieur du pays, ce sont ces cotisations qui assuraient en partie le fonctionnement de l’établissement. Selon la Direction de l’Animation, de la promotion et du suivi des COGES, c’est pour répondre à cette problématique qu’une rencontre avec le ministère de l’Éducation nationale a eu lieu en août dernier dans l’ancienne capitale de la Côte d’Ivoire, Grand-Bassam. Lors de cette rencontre, les COGES, qui sont à la base de cette situation, ont chiffré les besoins dans les écoles à plus de 35 milliards de francs CFA. « L’État a décidé de stopper les cotisations parce qu’on accuse les COGES de mauvaise gestion. Mais que fait-on pour faire fonctionner les écoles ? Ce sont les cotisations levées par les COGES qui permettaient à beaucoup d’écoles de bien fonctionner. Et, en faisant le point, ces sommes s’élèvent à près de 35 milliards de francs CFA », explique Yaya Sangaré, le Président du COGES du Collège moderne du Plateau. Or, pendant la rencontre de Grand-Bassam, les autorités étatiques ont indiqué qu’elles ne pouvaient payer que 18 milliards de francs CFA et que cette somme ne serait disponible qu’en janvier 2022. Des lignes budgétaires concernant près de 12 000 COGES répartis sur l’ensemble du territoire national ont déjà été dégagées et mises à la disposition du ministère de l’Éducation nationale. Dès janvier 2022, l’argent sera viré sur les comptes de ces structures en fonction de leurs besoins. Il est prévu l’appui des collectivités, qui doit être de 12 autres milliards, pour accompagner les écoles. Problème : les élus locaux ont déjà affirmé lors de la réunion de Grand-Bassam qu’ils ne pouvaient lever de telles sommes. Ils ont cependant promis d’y réfléchir. « Au niveau des collectivités, nous n’avons pas assez de moyens pour assurer les besoins dans nos écoles », fait savoir Siama Bamba, Président du Conseil régional de la Bagoué et des COGES de la région.  Une chose est sûre, selon les COGES, ces 18 milliards ne suffiront pas à combler le vide que va créer la fin des cotisations pour l’entretien et le fonctionnement de nombreux établissements.

Au Lycée moderne d’Ebilassokro, par exemple, on s’en inquiète.  « Nous avons été obligés de mettre le vigile au chômage technique parce qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses. Ici, il y a un déficit de 21 enseignants. Ce sont des vacataires qui assuraient cette tâche avec des salaires forfaitaires. Ils nous revenaient à 3,5 millions par an », explique André Koffi Tano, Président du COGES de l’établissement. Ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Nombreuses sont les écoles de la zone à manquer d’enseignants. Ce n’était que grâce aux cotisations annuelles fixées lors de chaque rentrée scolaire que les responsables parvenaient à pallier le problème avec des vacataires payés de manière forfaitaire. Selon André Koffi, l’école manquait également d’eau. Et c’est grâce à la volonté des parents, qui ont cotisé, qu’un forage a été réalisé pour approvisionner l’établissement.

Suivi rigoureux ? C’est exacerbé par les plaintes des parents d’élèves que l’État a mis fin aux cotisations des COGES, en promettant à ces structures 18 milliards pour les aider à faire face aux besoins matériels et humains dans les écoles. Mais ces 18 milliards, jugés insuffisants, risquent de laisser de nombreuses écoles de l’intérieur dans d’énormes difficultés et, par ricochet, de perturber la quiétude des mêmes parents, qui en ont assez de cotiser. La mauvaise gestion étant la cause de tout ceci, l’utilisation de ces milliards par les COGES sera-t-elle pour autant différente des précédentes ? Rien n’est moins sûr, même si, au niveau des autorités, on annonce un suivi rigoureux. Si l’État décide de se substituer aux parents, pourquoi ne pas aller au bout de sa mission régalienne ? Il lui suffit de franchir ce second pas, le financement entier de l’école publique. Autrement dit, de remplacer les COGES par les intendances classiques, au primaire et secondaire publics, qui avaient cours à l’école pendant les années 1990. « C’est soit cela soit l’État subventionne l'école», fait savoir Siama Bamba f,aisant allusion aux 35 milliards de francs CFA évoqués par les COGES lors de la rencontre de Grand-Bassam. L’école a besoin d’argent pour bien fonctionner, selon le Président du Conseil régional de la Bagoué.

Augmenter le budget L’option, selon lui, de compter sur le soutien des collectivités locales n’est pas très sûre, étant données les difficultés de ces entités à réunir les fonds. Ce serait, d’après M. Bamba, prendre le risque de voir les problèmes s’accumuler. Drissa Bamba, Président du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), appelle les autorités à mettre à la disposition de la population des écoles de qualité, comme cela a été fait entre 1970 à 1992, en consacrant de 5% à 8% du PIB à l’Éducation. Dans un récent rapport sur le niveau de l’école, le MIDH insiste sur ce volet. Une vision partagée par les parents d’élèves. « L’État finançait l’école auparavant. À notre époque, il n’y avait pas de COGES ni de cotisations exceptionnelles parce que l’État jouait son rôle », reconnait  Claude Kadio, Président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (OPEECI). Mais, ajoute-t-il, le contexte a changé. « La population a presque triplé. Il y a plus d’écoles et plus d’élèves à éduquer. Chaque année, de nouvelles écoles se créent », fait-il savoir. Le problème est plus que jamais posé. Le budget de l’Éducation nationale fait partie des plus importants. Il était de 1 011,9 milliards de francs CFA en 2020. Dans ce budget, 77,47% était réservé à la masse salariale et 3% au fonctionnement. Le reste, c’est-à-dire environ 19%, était consacré à l’investissement, où le retard est important, avec notamment les besoins en salles de classes. S’il est nécessaire de poursuivre les investissements à l’école, il est aussi primordial d’augmenter les 3% du budget consacrés à son fonctionnement. D’après le ministère de l’Éducation nationale, la prise en charge d’un seul élève au niveau du primaire public est estimée à 97 000 francs CFA et celle dans le secondaire à 400 000 francs CFA.

Raphaël TANOH

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