Avec la campagne électorale qui s’ouvre le 26 février prochain, les élections législatives du 6 mars 2021 s’annoncent comme un rendez-vous immanquable pour les principaux partis politiques. Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) veut faire de ce scrutin celui de la confirmation de son implantation nationale. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) a l’intention de démontrer sa suprématie par ce vote. Le Front populaire ivoirien (FPI) veut, quant à lui, renaitre de ses cendres en engrangeant le plus de victoires possibles. 255 sièges pour un peu plus de 1 700 candidats en course. Que le meilleur gagne !
Jean-Louis Billon, le torse bombé, défie le RHDP à Dabakala, fief du parti depuis belle lurette; Fabrice Sawegnon et Dramane Ouattara vs Ehouo Jacques pour la gestion de la très lucrative commune des affaires du Plateau. Et que dire du duel Koalla Célestin - Yasmina Ouégnin dans les ruelles pavées de Cocody ? Michel Gbagbo opposé à Gilbert Kafana sur les ruines du bastion perdu du FPI… Jamais une élection législative en Côte d’Ivoire n’a suscité autant de passions et de suspense. Quasiment tous les partis politiques sont en course. 205 circonscriptions à conquérir pour 255 sièges en jeu à l’Assemblée nationale. Avec des airs de confirmation pour certains, de reconquête pour d’autres et de revanche pour quelques-uns, les élections législatives du 6 mars prochain s’annoncent comme celles de toutes les forces vives.
« Dans les années 2000, le RDR avait boycotté les élections. En 2011 et 2016, le FPI les a boycottées. Cette fois-ci, tous les partis politiques sont là », explique Séraphin Yao Kouadio, député de Dimbokro.
Contrôle de l’Hémicycle En effet, après avoir boudé l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, l’opposition veut contrôler l’organe législatif. Ce serait une belle revanche sur le RHDP. Pour cela, les deux principaux partis, le PDCI-RDA et la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), essayeront tant que faire se peut de ne pas se livrer bataille. L’opposition s’est donc répartie les 205 circonscriptions. Le parti d’Henri Konan Bédié aligne près de 140 candidats et laisse une centaine de sièges à son allié, en dehors de plusieurs circonscriptions dans la partie nord du pays. Déjà majoritaire à l’Hémicycle, le RDHP va à ces législatives pour conforter sa position et, pourquoi pas, conquérir les zones qui lui ont échappé en 2016. Notamment les alléchantes communes de Cocody et du Pateau. Pour se donner les chances de remporter la majorité des 255 sièges de l’Hémicycle, le parti au pouvoir a fait descendre dans l’arène tous ses gros calibres. Dansr les starting-blocks on compte le Premier ministre Hamed Bakayoko, les ministres Sidi Touré, Kandia Kamara, Bruno Koné, Sidiki Konaté, Anne-Désrée Ouloto, etc. Quasiment, tous les responsables de départements vont au charbon. Cela suffira-t-il ? « Des poids lourds ? Il n’y a qu’à la fin de ces élections qu’on saura qui est poids lourd et qui ne l’est pas. C’est sur le terrain que cela se passera », fait savoir avec prudence Magloire Danin, député de la circonscription de Bin-Houin. Il ne croit pas si bien dire. La lutte sera âpre et risque même de faire des étincelles par endroits. Aucun bastion ne cèdera sans livrer bataille.
Imprenables Dans la circonscription de Yopougon, Georges Armand Ouégnin, le président d’EDS, devra croiser le fer avec Gilbert Kafana Koné, le ministre auprès du Président de la République chargé des relations avec les Institutions. Il sera accompagné de Michel Gbagbo, fils de l’ancien chef de l’État. Songon est aussi une forteresse où s’affronteront le gouverneur Robert Beugré Mambé et Éric N’Koumo Mobio. C’est Mobio que le PDCI a adoubé pour ces législatives du 6 mars 2021. Et son suppléant n’est autre que Moïse Bongo, le fédéral du FPI de Songon. Malgré son acharnement au travail dans la commune de Koumassi, Ibrahim Cissé Bacongo devra se méfier de Martin Sokouri Bohui, Vice-président du FPI-Gbagbo. Pendant ce temps, à Port-Bouët, le ministre Siandou Fofana (RHDP) sera opposé au Dr Emmou Ackah Georges Sylvestre (PDCI). Les deux hommes étaient déjà rivaux lors des municipales de 2018, remportées par le second. Pour le RDHP, l’heure de la revanche a peut-être sonné. Ambiance contraire à Toulepleu, réputé imprenable, vu la mainmise de la ministre Anne-Désirée Ouloto sur ce fief. Pour le PDCI, qui compte sur Denis Kah Zion, c’est presque du David contre Goliath. De son côté, le Secrétaire exécutif du PDCI, Maurice Kakou Guikahué, croyait avoir toutes ses chances à Gagnoa (Sous préfecture) face à Marie Odette Lorougnon, Vice-présidente du FPI/EDS, qui a décidé de quitter la commune d’Attécoubé, où elle a occupé le fauteuil de députée entre 2000 et 2011, pour se présenter elle aussi à Gagnoa. Ce qui pourrait diviser les voix de l’opposition. Bigre !
Bastions ? « Ce sont de véritables chocs. Cette année, tous les partis politiques sont entrés dans la danse. Et c’est une élection qui va soulever beaucoup de tensions », pense Souleymane Fofana, Coordonnateur général du Regroupement des acteurs ivoiriens des droits humains (RAIDH). Dans de nombreux bastions, difficile de prédire d’avance les résultats du scrutin au soir du 6 mars. C’est le cas au Plateau, à Cocody, à Yopougon, à Dabakala, à Gagnoa… Il faudra faire la différence autrement qu’avec un logo de parti. Ce sont surtout les duels qui doivent se passer dans un bon état d’esprit, selon Séraphin Yao. « Il faut dire aux populations ce qu’on veut faire pour elles. Battons campagne sans violence et sans haine. Que le meilleur gagne », explique le député de Dimbokro. C’est aussi ce que veut le chef de l’État, Président du RHDP. Alassane Ouattara a investi mardi dernier les 255 candidats que le parti a placés dans 204 circonscriptions. Et, comme consigne de campagne, le Président du RHDP a demandé que ses poulains aillent sur le terrain oints par ses mains travailleuses. Pour le patron de l’Exécutif, son bilan est la preuve que le RHDP sortira vainqueur de ce scrutin. « Tous ceux qui vont se présenter, même ensemble, n’ont pas la moitié de notre bilan », s’est réjoui Alassane Ouattara mardi au Sofitel hôtel Ivoire. Cette élection, pour lui, doit être une grande victoire. Elle doit conforter la majorité du RHDP à l’Assemblée nationale. Mais Alassane Ouattara a ajouté qu’elle doit surtout se faire sans paroles de haine. Au centre de la campagne ? Le Président de la République a annoncé 100% d’électrification en Côte d’Ivoire pour 2025 et un excellent taux d’alphabétisation. À cela va s’ajouter son bilan en termes de constructions d’infrastructures. Un candidat député peut-il être élu sur la base d’un bilan présidentiel ? Nous verrons.
Que va faire l’opposition ? Si le chef de l’État est sûr qu’aucun parti ne peut proposer mieux que le RHDP lors de ces législatives, la Plateforme de l’opposition mise sur le caractère local et imprévisible de ce scrutin. Mais, surtout, sur le fait que le résultat soit le plus souvent issu des efforts d’un candidat plutôt que d’un parti politique. Quelques bastions comme Daoukro, Bongouanou, Yamoussokro sont déjà imprenables. Il s’agira de grignoter des territoires en plus.
Pour préserver un climat de paix tout au long du scrutin, la société civile est descendue elle aussi dans l’arène. Des structures telles que le RAIDH sont dans la sensibilisation à l’intérieur du pays, aidées par des partenaires, parmi lesquels le Programme des nations unies pour le développement (PNUD). « Nous voulons surtout des élections apaisées. Ce sont des élections locales et elles sont souvent sources de conflits. Notre rôle est de passer de ville en ville pour amener la population à ne pas céder à la violence et à voter dans la paix. C’est un jeu démocratique et non une guerre », note Souleymane Fofana. Toutefois, là où la société civile ne voit qu’un jeu démocratique, la classe politique, elle, voit une bataille qui pourrait esquisser déjà ce que seront les élections de 2025.
Raphaël TANOH