Au lendemain des élections législatives du 18 décembre, le parlement ivoirien affiche un nouveau visage, bien que le Président Ouattara obtienne une majorité claire et nette. Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) arrive largement en tête avec 167 sièges, bien au delà des 128 sièges nécessaire pour atteindre la majorité absolue. Mais contre toute attente, la seconde force de l’Assemblée nationale est constituée des 75 élus sous la bannière d’indépendants, bien que des élus rejoindront sans doute le groupe parlementaire de leur parti d’origine. L’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) et l’Union pour la paix en Côte d’Ivoire (UPCI), en conflit avec le RHDP, n’obtiennent respectivement que 6 et 3 sièges. Quant à l’opposition, représentée par le Front populaire ivoirien (FPI), elle subit un véritable camouflet avec seulement 3 sièges gagnés.
Les partis du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ont reçu la réponse de leur base. En effet, parmi les 75 députés élus en indépendant, bon nombre sont issus de leurs rangs. Une gifle pour le directoire de cette coalition, qui avait décidé de les sanctionner, car ils avaient refusés de se soumettre au choix des investitures. Selon le politologue Julien Geoffroy Kouao, « c’est la révolution des électeurs » qui se met en place, avec la naissance d’un nouvel ordre politique à la clef.
Malaise au RHDP
Autre illustration d’une crise qui couvait au sein du RHDP, créé en 2005, les deux ministres Albert Mabri Toikeusse (UDPCI) et Gnamien Konan (UPCI) ont été limogés du gouvernement à quelques semaines du scrutin. Ils ont pourtant réussi à conserver, l’un et l’autre, leur siège de parlementaire. Même s’il a perdu des élus dans l’Ouest montagneux, son bastion naturel, l’UDPCI a fait une percée non moins importante à Divo, Dimbokro, et même à Abidjan, en remportant les deux sièges de la commune d’Attécoubé. Ces victoires contre des candidats RHDP sont perçues comme un rejet par les électeurs, suite aux mesures qui ont frappé les dirigeants de ces deux partis. « Les peuples aiment rendre justice à ceux qu’ils considèrent comme des victimes des puissants », commente l’analyste politique André Sylver Konan. À croire que les poids lourds du RHDP (PDCI et RDR), ont battu campagne pour l’UDPCI et l’UPCI à travers leur stratégie d’exclusion. Reste à savoir si ces deux partis vont décider de consommer la rupture ou se maintenir au sein de l’alliance. « Les jeux sont ouverts et la direction décidera », laisse entendre un cadre de l’UDPCI. Bien qu’un RHDP uniquement composé du PDCI et du RDR pourrait bien se passer d’eux au parlement et au gouvernement, une source proche de l’UDPCI affirme que le président de la République aurait donné rendez-vous à Mabri Toikeusse et Gnamien Konanen en janvier 2017, pour faire le bilan de l’élection. Aucune porte n’est donc fermée, et le directoire du RHDP fera tout pour éviter une possible alliance entre ces deux partis et les indépendants, voire même avec l’opposition.
Les grands perdants
Bien que vainqueur, le RHDP a subi des pertes symboliques. L’inspecteur général Gnamien N’Goran, les ministres Allah Kouadio Remi (en poste depuis 2004), Anzoumane Moutayé (président du MFA), Affoussiata Bamba Lamine (porte-parole adjoint du gouvernement) sont les grosses victimes de ce scrutin. Imposés par le RHDP dans différentes circonscriptions, ils n’ont pu convaincre les électeurs. Une situation qui laisse planer des doutes sur leur avenir politique, qui devrait se nouer au début janvier, à la faveur de la nomination du futur gouvernement et des chefs d’institutions. Le président Ouattara devra alors faire le choix entre la légitimité politique que confère une élection, et leur compétence aux postes qu’ils occupent actuellement. Du côté de l’opposition, Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, n’arrive toujours pas à convaincre sur le bien fondé de sa stratégie. Bien qu’élu dans son fief de Bongouanou, la moisson n’a pas été bonne pour la plupart des ses camarades. Les grandes figures du FPI que sont l’ex-directeur général du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, les ex-ministres Alcide Djédjé, Alphonse Voho Sahi, Augustin Komoé, Christine Adjobi et l’ex-député de Yopougon William Atteby, ont tous été battus dans des circonscriptions pourtant détenues par le FPI entre 2000 et 2011. Un véritable camouflet pour l’opposition, qui n’obtient donc que 3 députés, alors que le FPI espérait gagner une trentaine de sièges sur 189 candidats présentés.
La razzia des indépendants
Ils sont 75 élus issus de tous les bords politiques (RHDP, FPI, UDPCI, etc.) et ont donné une leçon à leurs partis respectifs. Toutefois, ils devront encore décider dans quel groupe parlementaire siéger. Les députés Félix Anoblé (PDCI) et Inago Teteako (RDR), élus à San Pédro, ont déjà affirmé vouloir faire partie du groupe parlementaire RHDP. « Ma colistière et moi n’avons jamais quitté nos partis », répondait à JDA Félix Anoblé, avant d’assurer que leur retour ne se fera à aucun prix. Une évidence aussi pour Patrice Kouamé Kouassi et Baba Sylla à Yamoussoukro qui, pendant la campagne, promettaient de dédier leur victoire au président Bédié. Pour d’autres, le choix est plus difficile. Dominique Adié, secrétaire général adjoint du RDR n’a pas encore décidé, et reste très amer. « Je n’ai rien à dire pour l’instant. J’ai été traité comme un moins que rien par mon parti », a-t-il confié à JDA. Quant à Félix Diéty, proche d’Abou- dramane Sangaré et élu à Danané, il hésite encore. À défaut d’intégrer un groupe parlementaire constitué d’indépendants, il pourrait rejoindre le FPI de Pascal Affi Nguessan, nous confient certains de ses proches. Quant à Yasmina Ouégnin, son entourage estime qu’il est un peu trop tôt pour se prononcer sur la question, car son retour dans la famille RHDP serait encore possible. « Mais si elle doit appartenir à un groupe parlementaire indépendant, elle devra en être la présidente », soutient-on dans son entourage. Pour l’heure, elle et Arthur Alloco sont les deux grandes figures des indépendants, chacun ayant battu un poids lourd de la scène politique ivoirienne.
Ouakaltio Ouattara