À l’approche d’élections législatives programmées, qui pourraient faire émerger une nouvelle carte électorale de la Côte d’Ivoire, l’heure est aux grandes manoeuvres, dans chaque camp.
Du côté de la majorité, les deux principales formations politiques que sont le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) et le Rassemblement des républicains (RDR), semblent aller sur la voix d’une réunification, alors que l’opposition paraît plus divisée que jamais, surtout depuis le scrutin présidentiel d’octobre 2015. Le projet de création d’un statut de chef de file de l’opposition adopté par le gouvernement risque en outre de la fracturer d’avantage.
En attendant les élections législatives programmées pour la fin de l’année, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) a su consolider sa majorité autour du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), du Rassemblement des républicains (RDR), de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) et du Mouvement des forces d’avenir (MFA), les quatre partis qui le composent. Coalition libérale portée sur les fonts baptismaux à Paris, au plus fort de la crise politico-militaire pendant le régime de Laurent Gbagbo, elle est sortie victorieuse du scrutin présidentiel l’ayant opposée à la LMP (La mouvance présidentielle), dont l’aboutissement a été l’élection à la présidence Alassane Ouattara, chef du RDR. Au moment où le PDCI, l’un des membres éminents de la coalition au pouvoir, célèbre son 70ème anniversaire, la question sur toutes les lèvres et de savoir si il va, ou pas, fusionner avec le RDR, qui en est issu. Fusion PDCI-RDR ?
Devant tous les responsables du PDCI réunis au siège à Abidjan le 9 avril, et en présence des frondeurs Amara Essy et Charles Konan Banny, qui s’étaient opposés au mot d’ordre d’alignement derrière Alassane Ouattara dès le premier tour de la présidentielle d’octobre 2015, le président du parti, Henri Konan-Bédié, a été on ne peut plus clair. « 70 ans, c’est l’âge de la sagesse. Il nous faut ramener dans la maison du père, les frères qui en étaient partis en nous engageant dans un processus de création d’un parti unifié qui est seul capable de nous éviter d’autres mésaventures », a t-il déclaré. Pour de nombreux observateurs, le parti unifié constitué donc du PDCI, du RDR et des deux autres formations devrait prochainement voir le jour en septembre prochain, et s’appeler tout simplement le RHDP, comme l’a lui même affirmé Bédié il y a plusieurs semaines. Pas si certain pour d’autres, car au sein du plus vieux parti africain, créé en 1956 par Félix Houphouet Boigny, beaucoup s’inquiètent d’une « possible mort du PDCI », au profit du RDR incarné par le chef de l’État Alassane Ouattara. Un risque balayé par Henri Konan Bédié, qui a promis « de ne pas le brader ».
Chef de l’opposition : piège ou aubaine ?
Du côté de l’opposition, le Front populaire ivoirien (FPI), fondé par l’ancien président Laurent Gbagbo, semble bien orphelin de ce dernier, actuellement jugé à La Haye. Ces héritiers se déchirent et la candidature de son président Pascal Affi N’guessan à la présidentielle de l’an dernier, où il est arrivé 2ème avec moins de 10% des voix, n’a pas fait l’unanimité. Les membres frondeurs, conduits par Aboudramane Sangaré, l’un des co-fondateurs du parti, reprochent à l’ancien Premier ministre « Affi » de pactiser avec le chef de l’Etat Ouattara, autrement dit, d’incarner une opposition trop « molle ». C’est aussi l’avis d’autres partis de l’opposition, notamment Liberté et démocratie pour la république (LIDER) créé par Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale (2001-2012) et transfuge du FPI, Rassemblement pour la paix (RPP), un parti de centre libéral, aujourd’hui membre du Cadre pour la restauration nationale et la démocratie (CRED), aux côtés de l’Union républicaine pour la démocratie (URD) de Danièle Boni- Claverie et l’Union des sociaux-démocrates (USD) d’Henri Niava.
Conscient de cette fragilité de l’opposition, le pouvoir enfonce le clou en sortant de son chapeau un projet de loi portant création du statut de chef de l’opposition, adopté lors du Conseil des ministres du 6 avril. Une manière de piéger les différents partis de l’opposition, car ce projet indique que « le chef de file de l’opposition est celui qui est arrivé en deuxième position lors de l’élection présidentielle ». Un poste qui échoit donc à Pascal Affi N’guessan, au grand dam de Danièle Boni- Claverie : « nous ne pouvons accepter Reconfiguration de l’échiquier politique ? qu’on veuille nous imposer un chef de file désigné par le pouvoir. Une telle mesure apparaîtrait comme un habit taillé sur mesure pour une seule personne. Nous refusons cette immixtion dans une décision exclusivement réservée à l’opposition ». Quant à Mamadou Koulibaly, il conteste carrément “la création d’un chef de file de l’opposition, qui n’a aucun sens dans le régime présidentiel adopté par la Côte d’Ivoire. En plus, il appartient à l’opposition elle-même de se trouver un chef.
Malgré ces désaccords, il ne fait aucun doute que le projet sera voté par un parlement dominé par le RHDP. Raison pour laquelle d’aucuns vont jusqu’à penser que c’est là l’occasion pour l’opposition de s’unir autour d’un chef et de parler d’une seule voix face à une majorité hégémonique. Car tous ont en ligne de mire les prochaines élections législatives. Couplées avec les élections communales et régionales, comme projette de le faire le gouvernement, elle pourraient entraîner un « raz de marée RHDP », si la fusion a lieu avant, ou une bonne résistance de l’opposition, si cette dernière parvient à surmonter ses divisions. Quoiqu’il en soit, le paysage politique ivoirien ne saurait rester figé, car en filigrane des batailles actuelles, se profile la question de la succession du président Ouattara.
Tony NAHOUNOUX