Lorsque le gouvernement parle d’endettement « utile » et de budget de développement, l’opposition parle quant à elle d’endettement « nocif » et de risque pour l’avenir. Le problème n’est pas de s’endetter car, tant qu’un État comme la Côte d’Ivoire a les moyens de s’acquitter de ses dettes, il peut toujours emprunter. En effet, la base du crédit repose sur trois piliers : la confiance, la solvabilité et la garantie. C’est lorsque l’on n’est plus solvable que commencent les difficultés. D’où les inquiétudes de certains, qui mettent en avant l’avenir du pays et de ses futures générations. Maitrisée ou non, la dette ivoirienne, tant externe, qu’interne, suscite le débat entre économistes. La Côte d’Ivoire emprunte-t-elle vraiment en tenant compte des ressources propres et de sa capacité réelle à rembourser ?
Que ce soit au niveau des ménages ou des pays, la dette fait partie de l’économie. Il est clair que tous les individus et que tous les États s’endettent, dans le monde entier, car comme le rappelle l’ex-directeur des opérations de la Banque mondiale en Côte d’Ivoire, le Malien Madani Tall, la dette vient compléter les « revenus ou les ressources » en vue d’effectuer des investissements ou de réaliser des projets. Historiquement, les pouvoirs publics ivoiriens successifs ont contracté des dettes pour, officiellement, de 1960 à 1999, créer et équiper les villes, les écoles, les lycées avec internats, les grandes écoles, l’Université d’Abidjan, les centres de santé, les CHU, les instituts de recherche, les routes, les barrages hydroélectriques, les puits, l’électrification rurale, etc., dans le souci de faire partager la richesse nationale à tous es habitants de la Côte d’Ivoire. Cet endettement, on peut le dire, a donc contribué à poser les bases du développement du pays. Mais passé 1999, les investissements se sont faits rares et la crise aidant, les autorités ont accordé plus de place aux dépenses de fonctionnement, au détriment des besoins en investissement. De 2000 à 2010, le pays a fonctionné dans un cadre appelé « budget sécurisé ». En 2004, par exemple, selon les chiffres officiels, les recettes globales étaient de 1 513 milliards de francs CFA, avec 95% des recettes générées par les ressources propres et 5% provenant de dons extérieurs. La Côte d’Ivoire comptait donc d’abord sur elle-même avant de solliciter des appuis extérieurs, nécessaires seulement pour les investissements exigeant des capitaux étrangers. La crise passée, les nouvelles autorités visaient l’émergence, qui se résume finalement à un accroissement des investissements dans tous les secteurs structurants, notamment les infrastructures.
Surendettement ? La dette publique est soutenable quand elle peut être honorée sans faire appel à un financement exceptionnel (comme une réduction de dette) ou à un changement majeur dans la balance des revenus et des dépenses, selon la Banque mondiale. C’est-à-dire qu’un pays est surendetté à partir du moment où il n’arrive plus à honorer sa dette et lorsque la plus grande partie, ou la totalité, des richesses qu’il crée sert à payer la dette. Partant de ce principe, le gouvernement ivoirien affirme que la question du surendettement ne se pose pas. Que ce soit son Premier ministre, également ministre du Budget, Amadou Gon Coulibaly, ou son porte-parole, le ministre Bruno Koné, tout le monde affirme que « la Côte d’ivoire maîtrise son endettement ». L’argumentaire principal résidant dans le fait que la norme d’endettement au sein de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) est fixée à 70% du PIB, alors que la Côte d’Ivoire est aujourd’hui largement en dessous, avec un endettement de 42,8% du PIB en 2017. Pour le Docteur Germain Kramo, économiste et consultant indépendant, « cet argument tient dans une certaine mesure, si on veut analyser la convergence des pays de l’UEMOA. Mais il ne saurait être valable tout seul pour justifier la politique d’endettement de la Côte d’ivoire ». Selon lui, la trajectoire de l’endettement d’un pays dépend de nombreuses variables que l’on ne peut pas toutes prévoir, tels que les prix des matières premières, les taux d’intérêts internationaux ou les taux de change. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, précise-t-il, l’inquiétude provient du fait que « la part de la dette en monnaies étrangères est de plus en plus importante ». Par exemple, elle a quasiment triplé fin septembre 2017, comparativement à l’encours de 2013, suite aux émissions d’Eurobonds. « Donc si le dollar s’apprécie, notre dette risque d’être insoutenable », prévient le Dr Kramo. Même si, pour l’heure, la Côte d’Ivoire n’est pas surendettée, soutient-il également, « elle doit faire attention à la manière dont elle s’endette et à l’usage qu’elle fait des emprunts ».
Toujours en hausse Malgré les effets de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), en 2012, la dette publique ivoirienne est en hausse d’année en année. Pour les gouvernants, cela s’explique par les nécessaires « investissements dans les infrastructures ». Ainsi, pour financer ses grands projets, il n’a pas hésité à recourir plusieurs fois aux marchés financiers ou à la mobilisation de fonds auprès des institutions sous-régionales et internationales. C’est à ce niveau que certains économistes sont inquiets. Pour ces derniers, parmi lesquels on peut citer le Docteur Séraphin Prao, le niveau d’endettement a évolué de façon « extraordinaire en moins de 10 ans ». Pour rappel, après l’achèvement de l’initiative PPTE, le stock de la dette publique avait chuté de 79 à 36,2% du Produit intérieur brut (PIB), soit un allègement de plus 4 090 milliards de francs CFA, faisant également chuter la dette extérieure à 2 283 milliards de francs CFA. Cette dette est passée en 2014 à 7 804 milliards de francs CFA, soit 45,8% du PIB. Mais le plus important, selon certains spécialistes, est que la dette extérieure ivoirienne soit passée de 2 283,9 milliards de francs CFA, juste après l’initiative PPTE, à 4 249,3 milliards de francs CFA fin juin 2016, donc du simple au double en moins de cinq ans. Fin 2017, le ministre délégué en charge du Budget, Moussa Sanogo, estimait le stock de la dette ivoirienne à 8 847 milliards de francs CFA, précisant que le taux d'endettement du pays était passé de 42,1% à 42,6% du PIB, suite à l'émission d’un eurobond d'un montant global de 1 140 milliards de francs CFA de juillet 2017. Une augmentation qui faisait suite aux revendications salariales des militaires et des fonctionnaires au cours de l’année précédente, dans un contexte de crise des cours mondiaux du cacao. Mais les autorités ivoiriennes, en phase avec la plupart des bailleurs de fonds, particulièrement les institutions de Bretton Woods, à savoir la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), soutiennent mordicus que l’État ivoirien maîtrise sa dette. Un avis que ne partagent pas ceux selon lesquels « le pays n’a pas réellement besoin de s’endetter de la sorte », car, soutiennent-ils, la Côte d’Ivoire dispose de plus en plus de nouvelles ressources, telles que le pétrole, qui alimentent désormais son budget. En outre, à les croire, les potentialités naturelles et économiques seraient tellement énormes que le pays devrait générer plus de ressources à l’interne plutôt que de se tourner vers l’extérieur. Pour ces critiques, les autorités ivoiriennes « ne sont pas obligées d’accepter tous les gâteaux offerts », d’autant que la plupart des emprunts (mêmes concessionnels) devront être remboursés tôt ou tard. La crainte de ces économistes étant que la Côte d’Ivoire croule un jour sous le poids de sa dette extérieure, ce qui annihilerait tous les efforts déjà consentis.
Ouakaltio OUATTARA