Avec une moyenne de cas recensés dépassant la centaine par jour, la Côte d’Ivoire est confrontée depuis début juin à une vague de malades qui affluent dans les centres de prise en charge. Une situation qui n’était pas prévue il y a quelques semaines. La tendance était plutôt à la baisse et encourageante. Ce qui avait justifié la levée de nombreuses mesures sanitaires relatives au nouveau coronavirus. Un peu plus de dix jours après, des interrogations fusent quant à la justesse de l’allègement des consignes. Autorités et populations sont ainsi sur le banc des accusés, chacun se défendant en accusant l’autre.
Ces derniers jours, les indicateurs du nouveau coronavirus s’affolent en Côte d’Ivoire. 33 000 échantillons testés, 4 000 malades, 2 000 guéris, pour une quarantaine de décès. Le pays dépasse aujourd’hui les 100 nouveaux malades par jour. Et on est loin, très loin, de la relative quiétude du mois de mai, avec ses trentaines de cas journaliers. Une atmosphère délétère qui contraste avec l’air joyeux et insouciant qui a précédé la levée des mesures sanitaires. Mosquées, écoles, restaurants et maquis ont ouvert leurs portes depuis deux semaines à Abidjan. Dans cette ambiance pleine de contradictions, on voit certains malades s’affoler, comme Michel T., qui n’a pas hésité à poster sa perte du goût et de l’odorat sur les réseaux sociaux. Il faut dire que ce signe, qui n’est pourtant pas nouveau, revient de plus en plus chez les malades, d’après des sources sanitaires.
Panique Pour Dr Guillaume Akpess, Secrétaire général du Syndicat national des cadres supérieurs de la santé de Côte d’Ivoire (SYNACASS-CI), plus il y a de malades, plus on assistera à diverses manifestations de la maladie chez les patients. « Des signes comme la perte de l’odorat et du goût font partie des signes du coronavirus, seulement on ne mettait pas l’accent dessus », insiste-t-il. Avant d’assurer que ce n’est que temporaire. Pour les experts, ces signes affectent plus les femmes atteintes de coronavirus. En plus de cette angoisse grandissante chez les personnes infectées, il faut souligner la déception palpable du côté des autorités. S’il le dénonçait déjà, le commissaire Charlemagne Bleu, porte-parole de la police, fustige maintenant la hausse des cas de contamination, qu’il attribue en partie à l’augmentation des actes d’incivisme. L’on note aussi que depuis début juin, la sérénité et la quiétude en ont pris un coup dans l’esprit des Ivoiriens, à tous les niveaux. Là où il avait mis un mois à recenser 1 000 malades entre mars et avril, le pays vient d’enregistrer le millier de cas seulement en quelques jours. Et la courbe continue de monter.
Croissance En une semaine, la Côte d’Ivoire s’est placée dans le Top 10 des pays africains les plus touchés par la pandémie. Les communes d’Abobo, Yopougon, Koumassi, Treichville sont devenues des foyers de coronavirus, selon le conseiller technique du ministre de la Santé et de l’hygiène publique, Dr Edith Kouassy. Les raisons de cette hausse fulgurante, à l’entendre, sont multiples. L’expert en santé avance tout d’abord la croissance du nombre de tests quotidiens. Avec une moyenne de 700 à 800 tests chaque jour, la Côte d’Ivoire court après des pays comme le Ghana (environ 10 000 malades) en termes de capacités de détection. Là où il y a un hic toutefois, c’est dans le pourcentage de cas positifs, qui est relativement important : environ 17%. L’autre raison que Dr Edith Kouassy avance pour expliquer le nombre élevé de personne infectées, c’est la connaissance de la pandémie qui s’est améliorée chez les Ivoiriens et le personnel soignant. D’après elle, ceux qui viennent faire les tests sont des personnes présentant en général des signes de coronavirus. Ce qui explique la croissance du taux de cas positifs. Mais il y a une troisième raison, sur laquelle les autorités espèrent jouer pour inverser la courbe. Il s’agit de l’indiscipline. « Ce sont des choses que nous avons dénoncées dès la levée des premières mesures sanitaires. Dans les lieux de culte, où la distanciation d’un mètre est demandée, les gens font n’importe quoi. La levée des mesures sanitaires signifie pour beaucoup d’Ivoiriens que la maladie est finie ou bien qu’elle n’est plus dangereuse », fustige Soumahoro Ben NFaly, Président de la Fédération ivoirienne des consommateurs le Réveil (FICR). Il est rejoint par son homologue Marius Comoé, Président du Conseil national des organisations de consommateurs de Côte d'Ivoire (CNOC-CI). « Je crois que nous avons mis la charrue avant les bœufs. Il y a eu un peu de précipitation dans la levée des mesures sanitaires. En voulant déconfiner en même temps que les Européens, nous avons oublié une chose : les Européens avaient déjà atteint le pic de l’épidémie quand ils démarraient leur déconfinement. Ce qui n’est pas le cas en Afrique. Selon les prévisions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est en juillet que ce pic sera atteint sur le continent africain », explique-t-il. À l’entendre, le déconfinement en Côte d’Ivoire a eu lieu alors que l’épidémie gagnait en réalité en puissance. De fait, les chiffres contrastent lourdement avec la levée de plusieurs mesures dans le pays, notamment l’ouverture des lieux publics. Mais, pour le Directeur général de la Santé, Mamadou Bamba, il faut plutôt regarder du côté du relâchement dans le suivi des mesures barrières. Selon lui, si le nombre de malades journaliers recensés commence à inquiéter, c’est parce que certains, par exemple, ont mis à la trappe le port du masque et le lavage des mains au savon. Constat relayé par le ministre de la Santé et de l’hygiène publique, Dr Aouélé Aka. Le ministre signale notamment un mauvais usage des masques. Là où il faut les porter, certains préfèrent les avoir dans la poche. Un relâchement également dénoncé par le ministre François Amichia dans sa campagne de sensibilisation. Face à lui, le commissaire Charlemagne Bleu énumère dans leur entièreté les mesures sanitaires encore en vigueur édictées par l’État qui sont foulées au pied par la population. Notamment l’interdiction de consommer de la viande de brousse et de quitter ou d’entrer dans le grand Abidjan sans autorisation. La fermeture des bars et boîtes de nuit étaient déjà difficile à faire respecter pendant le confinement général. Avec l’ouverture des maquis et des restaurants, elle est encore plus compliquée à mettre en pratique. « Il faut continuer à faire appliquer les mesures sanitaires. Pour l’instant, on arrive à faire face à l’afflux de malades de la Covid-19, avec une bonne prise en charge. Mais si la situation continue comme cela, cela risque d’être difficile », explique Dr Guillaume Akpess. La Côte d’Ivoire, dit-il, n’est pas le seul pays à connaître une croissance des cas de contamination en ce moment en Afrique. Afin de régler cette situation, les autorités ont redoublé d’efforts dans la sensibilisation. « Le coronavirus n’est pas fini », ne cesse de répéter le ministère de la Santé et de l’hygiène publique. Des distributions de masques ont également commencé, avec notamment la décision d’octroyer 50 masques gratuits à chaque fonctionnaire. Une caravane de distribution gratuite a également vu le jour. Avec une quarantaine de décès pour environ 2 000 guérisons, la Côte d’Ivoire, malgré tout, reste un bon élève dans la gestion de la crise sanitaire. Mardi, le pays a enregistré le chiffre record de 176 guéris. Un exemple de gouvernance cité notamment par le cabinet Deloitte dans une récente étude.
Raphaël Tanoh