Incendies de marchés : A quand la fin du cycle ?

À Soubré, 72 h après l’incendie du marché, des individus ont mis feu à la mairie et au domicile du maire.

Bouaké, Agboville, Divo, Abengourou, Man, Yamoussoukro, Soubré, Katiola, Abidjan... Comme dans un tour de passe-passe, tous les marchés de ces villes ont été dévastés par des incendies. Pour la seule année 2017 sept marchés incendiés ont été dénombrés, et avant même la fin du 1er trimestre 2018, le compteur affiche déjà deux sinistres. Les victimes d’hier n’ont pas encore séché leurs larmes ni reçu la compassion de l’État que de nouvelles sont à consoler. Quant aux enquêtes, bienheureux le commerçant qui saura qui s’en occupe et à quel stade elles sont. Entre plaintes et accusations de la part des sinistrés, le gouvernement a annoncé fin janvier des mesures afin d’approfondir les enquêtes et de trouver des solutions pour mettre fin à ce cycle.

De ces 30 dernières années, l’année 2017 est celle qui a enregistré le plus grand nombre d’incendies de marchés. Selon la Fédération nationale des commerçants et acteurs du commerce de Côte d’Ivoire (FENACCI), ce sont au total sept marchés qui sont parti en fumée, un record jamais enregistré dans l’histoire. Avec les deux incendies de Soubré (dans la nuit du 4 au 5 février) et de Katiola (dans la nuit du 5 au 6 février), le nombre de marchés visités par les flammes est passé à 71 entre 1987 et 2018. Sans réponses adéquates, ce chiffre, qui va croissant, ne devrait pas connaitre de frein, car les habitudes au sein des marchés n’ont jamais changé et n’ont même jamais connu de début de volonté de changement.Entre installations anarchiques, branchements aléatoires et vétusté des installations, auxquels certains ajoutent des actes de vandalisme, les solutions tardent à venir.

Vétusté des installations Le spectacle est toujours le même. Scènes de désolation, commerçants pleurant la perte de toute une vie d’investissement. Pourtant, à peine les flammes sont-elles éteintes et que les pompiers, arrivés la plupart du temps en retard, n’ont pas encore quitté les lieux, que les  commerces reprennent de plus belle, comme si de rien n’était. Pour en savoir plus sur les causes, pas besoin de « chercher loin », selon Lamine Ouattara, Président du Conseil fédéral des commerçants de Côte d’Ivoire (CFC-CI). « C’est la vétusté des marchés qui est la cause de ces incendies. Les premiers marchés modernes ont été construits dans les années 1970, à la faveur de la célébration tournante de la fête nationale de Côte d’Ivoire dans les différentes régions du pays», rappelle-t-il, en proposant la construction de « nouveaux marchés. » De façon générale, préviennent les commerçants, les enquêtes tournent court. « On résume toujours les causes à un court-circuit et on passe à autre chose, sans chercher à apporter des solutions », précise Ahmadou Koné, commerçant à Yamoussoukro, qui précise que le marché dans lequel il est installé dans la capitale politique a été dévasté à six reprises par des incendies, sans que les habitudes des commerçants ne changent ou que les installations électriques soient réhabilitées. Quant à la Fédération nationale des commerçants et acteurs du commerce de Côte d’Ivoire (FENACCI), elle voit plus loin et annonce une plainte. « Les acteurs du commerce ne peuvent plus assister impuissants à la mort, à grand feu, de leurs entreprises et au tarissement de leurs sources de revenus. Le Conseil d’administration de la FENACCI portera plainte contre X pour incendies et destruction de biens d’autrui», prévient le Président Farikou Soumahoro, selon lequel il y a « souvent des intentions criminelles derrière ces incendies». Une piste que le Directeur général de la police, Youssouf Kouyaté, n’exclut pas. La procédure n’est pas pour autant nouvelle. Les maires l’ont toujours fait après des incendies. Simple opération de routine ou volonté de voir les enquêtes aboutir ? À date, aucune enquête d’incendie de marché n’a donné de résultats avec les poursuites des personnes soupçonnées et aucun procès n’a jamais été ouvert sur le sujet. Mais pour Farikou Soumahoro, en plus de cette piste, la responsabilité des maires n’est nullement à écarter, car les commerçants ne sont jamais associés à la construction des marchés par des promoteurs privés. « Certains maires, en voulant gagner gros, installent les commerçants là où ils ne devaient pas être. Quand le commerçant est installé là où il ne devrait pas être et paie ses taxes, il se sent légitime à exercer son activité », soutient-il pour expliquer le désordre et l’anarchie qui règnent dans les marchés. Malheureusement, les promoteurs privés ne sont nullement inquiétés en cas de sinistre, car aucune clause dans les contrats avec les mairies ne les contraint à participer à l’indemnisation des sinistrés, déplorent certains commerçants, qui, dans la plupart des cas, s’endettent et reprennent leurs activités dans les mêmes conditions et sur les mêmes espaces

Difficile gestion des sinistres Pas un marché n’a jamais brûlé en pleine journée. Les incendies se déclarant généralement à la tombée de la nuit, il s’avère difficile de limiter les dégâts. Entre l’alerte aux sapeurs- pompiers et la réaction de ces derniers, les riverains prennent parfois le risque de stopper les flammes avec les moyens du bord. Parfois peu ou mal équipés, les pompiers ne parviennent pas à faire grande chose. « On aurait eu des robinets d’eau près du marché d’Abengourou que les premiers secours auraient pu éteindre le feu plus vite», pense cependant le Vice-président de l’association des commerçants de cette ville, Mamadou Niang, ajoutant que le manque d’équipement des sapeurs-pompiers, dépourvus de camion-citerne, et la présence de bouches à incendies défectueuses n’ont guère aidé à apporter une réponse adéquate face aux flammes. Une situation qui, comme ailleurs, a favorisé quelques pillages de marchandises par des badauds. « Quand une partie du marché d’Abobo brûlait en 2017, alors que nous nous attelions à éteindre le feu, en plus des badauds qui s’invitaient à la partie, nous avons constaté que les autres commerçants avaient ouvert et poursuivaient leurs activités », se rappelle Moussa Touré, un commerçant qui a vu son magasin de téléphones portables partir en fumée. Spirale interminable ? Pour les acteurs du secteur, ce n’est pas une fatalité. Mieux, ils pensent avoir des débuts de solutions, dont « la mise en place d’un dispositif de veille et d’alerte, aux fins de prévenir les incendies de marchés, et l’instauration obligatoire d’une assurance sinistre », qui pourraient aider à freiner le phénomène ou, à tout le moins, à circonscrire les dégâts, pense Farikou. Il souhaite également des assises sur les marchés, avec tous les acteurs impliqués dans leur construction, leur utilisation et leur gestion. Le premier obstacle, souligne un professionnel, c’est qu’aucune société d’assurance en Côte d’Ivoire n’est disposée, dans le cadre actuel, à assurer les commerçants, en raison « du flou sur la propriété des lieux de commerce ». Le gouvernement, qui indiquait début janvier que les incendies de marchés survenus à Yamoussoukro et à Abengourou étaient liés à un certain nombre de dysfonctionnements du système sécuritaire, notamment la défaillance des équipements de lutte contre les incendies et de secours, prépare également une réponse. Selon son porte-parole, le ministre Bruno Koné, il a pris des mesures allant dans le sens de la lutte contre ces incendies. Il s’agit entre autres de l’organisation avec les services techniques publics compétents de l’audit des principaux marchés, en vue d’identifier les risques réels d’insécurité et d’anticiper sur les mesures à prendre et les équipements à mettre en place pour les réduire ; de la poursuite de la sensibilisation des acteurs économiques sur les risques encourus dans ces espaces et les précautions à prendre pour les atténuer et, enfin, d’organiser, avec l’implication des ministères techniques et des organismes publics et privés concernés, des États généraux sur la problématique de la construction des marchés modernes en Côte d’Ivoire.

Ouakaltio OUATTARA

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