Ces prisonniers sans véritable statut

Tous proches de l’ex président, ils représentent les figures les plus connues des hommes politiques en prison.

Détenus politiques pour leurs proches, prisonniers de droit commun pour le Parquet, ils ont été pour la plupart arrêtés dans des conditions particulières ou spectaculaires. Détenus parfois depuis plus de deux ans pour troubles à l’ordre public ou tentative de déstabilisation de l’administration Ouattara, ils figurent tous sur la liste des caciques du Front populaire ivoirien (FPI). Assoa Adou, Moise Lida Kouassi, Nicaise Douyou alias Samba David, Mohamed Sam Jychi dit Sam l’Africain et Nestor Dahi, dont l’ami Justin Koua vient de purger trente mois de prison et a été libéré le 4 novembre, jurent sur tous les toits être victimes d’un système qui ne voit pas de bon œil leur liberté. Des personnes que l’on veut réduire au silence ou tenir à l’écart du débat politique.

Ce samedi 4 novembre sur les coups de 19h 45 minutes, quand les portes de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) s’ouvraient devant lui, Justin Koua, vêtu d’un boubou blanc, tournait le dos à 30 mois d’incarcération mais gardait bien présent à l’esprit qu’il y laissait des camarades « de lutte ». Il avait été condamné pour « discrédit sur une décision de justice », au même titre que son compère Nestor Dahi, le 26 mai 2017, deux ans après son interpellation, le 5 mai 2015, pour une question interne au Front populaire ivoirien (FPI), la légalité de Pascal Affi Nguessan à la tête de ce parti. Visiblement amaigri, celui qui était une pièce maitresse de la mobilisation du « courant Sangaré » ne devrait pas reprendre les activités dans le futur immédiat, confient ses proches. « Après 30 mois dans des conditions de détention difficile, Justin aura besoin de repos avant d’être opérationnel », pense l’un des camarades venus l’accueillir à sa sortie de prison. « Justin libéré, cap désormais sur la libération prochaine de Nestor Dahi », lance leur avocat, Maitre Rodrigue Dadjé, qui craignait de voir son client « inculpé pour de nouvelles infractions ». Nestor Dahi devra patienter jusqu’à février 2018 avant de respirer l’air de la liberté. Si Justin Koua a été chanceux, ce n’est pas le cas de Nicaise Douyou alias Samba David et de Sam Mohammed Jichi, qui, après leur première peine, attendent encore d’être entendu pour d’autres faits. Et encore moins pour Moise Lida Kouassi, en attente d’un procès, ou Assoa Adou, dont la libération est prévue pour 2018. Détenus politiques pour leurs proches, ils sont présentés par le Parquet comme des prisonniers de droits commun. « Un homme politique en prison n’est pas nécessairement un prisonnier politique. Il peut être poursuivi pour des délits prévus par notre Code pénal », tente de nuancer un fonctionnaire du bureau du Procureur.

Détention prolongée En février 2016, Nicaise Douyou était attendu par ses camarades de la Coalition des indignés de Côte d’Ivoire (CICI). Ces derniers, ignorant sûrement que celui avec qui ils avaient sillonné le pays afin de dénoncer « les abus et dérives du pouvoir », selon leurs termes, était poursuivi pour d’autres faits, ont dû faire le pied de grue. Condamné le 2 octobre 2015 à six mois d’emprisonnement ferme par le tribunal correctionnel d’Abidjan, « statuant en matière de flagrant délit pour des faits de discrédit sur une décision de justice, provocation à un affrontement non armé, complicité de destruction volontaire d’objets et trouble à l’ordre public, commis courant septembre 2015 », il est aussi poursuivi par le Parquet pour des faits de meurtre, tentative de meurtre et atteinte à l’autorité de l’État. Il fait « l’objet d’une information judiciaire ouverte au 4ème cabinet d’instruction du tribunal d’Abidjan. Inculpé de complicité de meurtre et d’atteinte à l’autorité de l’État, il a été placé sous mandat de dépôt le 16 décembre 2015 pour ces faits criminels. Sa détention préventive est régulièrement prolongée par le juge d’instruction, conformément à la loi », précise le Procureur Richard Adou. Mais, dans son entourage, on dénonce plutôt un abus de droit, parlant parfois de détention arbitraire. « C’est une détention illégale et illégitime. Samba David a été interpellé pour une infraction dont il a déjà purgé la peine. Dans un État de droit, il devrait être dehors. Mais on continue à le garder. C’est juste un chantage », dénonce Jean Enoch Bah, l’un de ses proches, Président de la Coalition pour la renaissance ivoirienne (CRI). Cette situation n’est pas un cas isolé. Témoin à charge dans le procès de la Cour pénale internationale contre Laurent Gbagbo, Sam l’Africain, qui avait fini par être présenté comme un « témoin hostile », se doutait sûrement qu’il était dans le viseur des autorités d’Abidjan. Son témoignage lui avait certes attiré la sympathie de l’opposition, mais avait irrité et quelque peu dérouté l’accusation et « même les autorités politiques », pense-t-on au sein de son parti, la Nouvelle alliance pour la Côte d’Ivoire et la patrie (NACIP). « Depuis son retour de La Haye, il s’attendait à une arrestation, mais il n’en avait pas peur et nous nous y préparions », révèle l’un de ses proches. Sam Mohamed Jichi, arrêté le 17 mars, a été condamné le 31 mai 2017 à 6 mois de prison et privé de ses droits civiques pendant cinq ans pour injure et diffamation « envers des personnes appartenant à un groupe ethnique ». Il devra également attendre en prison un autre procès pour « faux et usage de faux en écriture de banque et tentative d’escroquerie ». Une situation que dénonce son avocat, Maitre Modeste Abie, qui pense que c’est une « ruse pour le garder loin du débat politique ». Selon lui, il est clair qu’il existe « une volonté de museler l’opposition ». Déjà dans sa plaidoirie lors du procès, sa ligne de défense se précisait. « Si vous le condamnez, il s’agira d’une condamnation politique », avait-il lancé au juge. Mais, pour le procureur, cette détention prolongée n’est pas arbitraire, car il existe une autre affaire pour laquelle il est attendu à nouveau devant les juridictions.

Deux poids, deux mesures ? L’ex ministre de la Défense Moise Lida Kouassi doit bien s’interroger sur ce qui lui arrive depuis le déclenchement de la rébellion, en septembre 2002. Tombé en disgrâce auprès de Laurent Gbagbo, arrêté au Togo en octobre 2014, en marge d’un sommet de chefs d’États africains, et extradé à Abidjan, il reste dans l’attente de son procès, après avoir comparu en février 2016 en tant que témoin dans le procès de l’assassinat du Général Robert Guéï. Ce n’est qu’en janvier 2017 qu’il avait été informé d’être poursuivi pour atteinte à la sureté de l’État, se désole l’un de ses proches. Également ex ministre, Assoa Adou a été condamné à quatre ans d'emprisonnement par la Cour d'assises pour troubles à l'ordre public, cela pour des faits postérieurs à la crise de 2010 - 2011. Adou, qui était rentré d’exil quelques mois plus tôt, est une figure historique du FPI version Aboudramane Sangaré et était le chef de file d’une campagne pour Laurent Gbagbo au sein du parti pour sa présidence, le 10 janvier 2015. Son arrestation avait été interprétée par des observateurs de la scène politique comme une astuce pour desserrer l’étau autour d’un Pascal Affi Nguessan de plus en plus affaibli par une opposition interne. « Comme Assoa Adou, Lida Kouassi serait heureux de faire face au juge et de connaitre sa sentence.  Plus de deux ans en prison sans procès, c’est insoutenable et injuste », nous lance l’un de ses camarades de lutte, qui a travaillé sous sa houlette entre 2000 et 2002 au sein du ministère de la Défense.

Ouakaltio Ouattara

 

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