Depuis l’arrivée, en mars dernier, de la pandémie à coronavirus sur le sol ivoirien, plus rien n’est pareil dans les lieux de cultes. Jadis bondés, les vendredis pour les mosquées et les dimanches pour les églises, c’est désormais à un public dégarni ou quasiment inexistant que de nombreux guides religieux doivent s’adresser. Les formations et cours sont suspendus, les quêtes sont rares, les donateurs ont déserté les lieux, les baptêmes se comptent sur le bout des doigts et les mariages ne courent plus les rues. Pour de nombreux pasteurs et imams, les temps sont durs. Regard sur une situation inédite dans l’histoire moderne des religions en Côte d’Ivoire.
Adjamé-Paillet. La mosquée Médine accueille ce mardi quelques rares fidèles venus effectuer la prière de 13h. La bâtisse rectangulaire d’environ 80 mètres carrés a, comme les autres mosquées de la capitale économique, instauré des mesures barrières pour lutter contre le coronavirus. Lavage des mains, distanciation, interdiction de regroupement de plus de 50 personnes... Depuis le début de la pandémie, l’Imam de la mosquée, Hassan Camara, veille à ce que ses fidèles respectent scrupuleusement les règles. C’est l’un des plus chanceux parmi les centaines d’imams que compte Abidjan. Au sein du lieu de culte, un comité a été mis en place pour épauler le guide religieux et faire face aux dépenses mensuelles de la mosquée : factures d’eau et d’électricité, entretien, etc. L’Imam Hassan Camara, également responsable de la communication de l'Organisation des écoles et établissements confessionnels islamiques (OEECI) reçoit chaque mois une enveloppe substantielle. « Ce sont les fidèles de la mosquée qui ont décidé d’apporter cet argent tous les mois au comité, qui me le remet », explique-t-il. Le séisme provoqué par la Covid-19, poursuit l’Imam, a fait trembler de nombreuses mosquées. Tout d’abord, la fermeture décidée par le Conseil national de sécurité (CNS), ensuite la réouverture, conditionnée à des regroupements de moins de 50 personnes, avec des mesures barrières qui ont rendu les prières collectives quasiment impossibles. « Cette situation a coupé les vivres aux mosquées. Il n’y en a que très peu qui arrivent à y faire face, avec un système de prise en charge. Mais la plupart des imams n’en bénéficient pas comme moi », précise l’Imam Camara.
Désarroi Bien que privilégié, le guide religieux reconnaît qu’il subit malgré tout la crise. Plusieurs sources qui lui permettaient d’arrondir ses fins du mois ont tari. « Les baptêmes ont presque cessé depuis que l’État a instauré les mesures sanitaires. Pareil pour les mariages. Les possibilités de faires des conférences publiques sur des thématiques religieuses ont aussi disparu », regrette Hassan Camara. Toutefois, ses pensées vont vers les imams qui en souffrent le plus. C’est notamment le cas de l’Imam Bacounady Ouattara, de la mosquée de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). « Nous n’avons pas de prise en charge. Dans les autres mosquées, ce sont les fidèles qui donnent de l’argent à leurs imams, mais c’est le contraire à la MACA. Car c’est nous qui donnons de l’argent aux prisonniers », relate-t-il. À Abobo, certains imams, dépités, ont préféré fermer leurs mosquées. Parmi ces lieux, il y a la mosquée d’Abobo 4 étages. À la mosquée Al-houda Wa Salam d’Adjamé-Paillet, l’impossibilité de tenir les prières du vendredi a drastiquement réduit les rentrées d’argent. L’Imam Mory Koné, adjoint de l’Imam Aguibou Touré, ne cache pas son désarroi devant cette situation : « avant l’arrivée de la pandémie à coronavirus, les imams vivaient déjà une situation précaire. À part dans les quartiers chics, comme Cocody, Marcory, combien sont les mosquées qui peuvent prétendre s’occuper correctement de leurs imams ? Il y en a très peu. Un imam, par principe, ne travaille pas. Il se consacre à Dieu et à ses obligations dans sa mosquée. Il faut payer sa nourriture mensuelle, son loyer, ses factures, la scolarité de ses enfants, etc. Cela coûte de l’argent et c’est le comité de gestion de la mosquée qui est censée s’en occuper. Ce comité de gestion tire principalement ses ressources des quêtes des vendredis. Il y a en moyenne 4 vendredis dans le mois. Ce sont les fonds de ces quêtes qui sont utilisés pour s’occuper de l’imam. Avec le coronavirus, les prières du vendredi n’existent plus », déplore l’Imam Mory Koné.
La communauté musulmane n’est pas la seule à vivre cette situation. Les églises ont également été affectées par la Covid-19.
Amour et entraide Le pasteur Marcelin Guédé, de l’Église les Chants du Christ à Yopougon Niangon, explique que chez les évangélistes on vit « d’amour et d’entraide ». Avec les mesures barrières annoncées contre la pandémie à coronavirus, dit-il, l’amour est resté, certes, mais l’entraide s’est faite la malle. « Le nombre de fidèles a commencé à diminuer, et puis ils ont ensuite préféré prier à la maison. Vous n’êtes pas sans savoir que la majorité des églises évangéliques vivent de dons et de quêtes. La plupart de ceux qui font des dons ne le font que lorsqu’ils viennent prier. Avec la situation actuelle, les moyens pour s’occuper de l’église ont forcément baissé. Si vous êtes pasteur et que vous n’avez rien d’autre comme activité, c’est difficile », indique-t-il. Blaise Ouélé, pasteur de l’église évangélique Les ouvriers du Christ, reconnaît que la situation est difficile. Mais, pour l’homme de Dieu, c’est plutôt le moment pour eux de raffermir leur foi et non de l’ébranler. Bien que les églises aient été touchées financièrement par cette situation, le guide religieux estime qu’il ne leur appartient pas d’en faire cas. « Qui n’aimerait pas bénéficier d’une aide dans cette situation ? Mais est-ce vraiment à nous d’en parler ? Hélas, non », estime le pasteur Blaise. Une vision partagée par un cadre du Conseil supérieur des imams, des mosquées et des affaires islamiques (COSIM). « À Cocody, vous avez 98% des mosquées qui bénéficient d’une bonne gestion, avec une paie mensuelle régulière pour l’imam. La plupart de ces lieux de cultes ont été désinfectés et bénéficient de moyens pour lutter contre le coronavirus, comme des seaux d’eau et du savon pour se laver les mains. À Abobo, c’est le contraire. Aucune mosquée n’a bénéficié de cela. La majorité des imams de cette commune sont frappés de plein fouet par la crise. Mais personne ne viendra se plaindre, parce que cela ne convient pas au travail qu’ils font. Il nous est déjà arrivé d’aller vers les autorités pour inscrire nos noms sur une liste des personnes qui devaient bénéficier d’aides. Mais on nous a clairement signifié que les religieux n’étaient pas concernés », note-t-il sous le sceau de l’anonymat. L’Imam Hassan Camara réplique en appelant les mosquées à une meilleure organisation. Abobo, d’après lui, compte environ 300 mosquées. Adjamé en compte autour de 200. Et la capitale économique héberge, à l’entendre, plus d’un millier d’imams. La seule manière, selon l’Imam Camara, d’éviter que ce genre de problème survienne à l’avenir est de calquer les modèles de gestion des mosquées comme la sienne. D’après le révérend général Makosso Camille, à la tête de la Commission évangélique de Côte d’Ivoire, ils ont déjà recensé plus de 10 000 pasteurs sur l’ensemble du territoire national. Un chiffre important, qui montre la tâche qu’il y aura à inclure pasteurs et imams dans un plan d’aide. C’est une réalité que les autorités n’occultent pas. « Les mosquées et les églises sont suffisamment bien organisées en Côte d’Ivoire pour parler d’une seule voix. S’il y avait un réel besoin d’aide dans ce sens, leurs différentes faîtières se seraient exprimées », se contente de répondre un haut cadre du cabinet du ministère de l'Administration du territoire et de la décentralisation. Et, de toute façon, signale le pasteur Marcelin Guédé, leur salut réside et résidera toujours dans la communauté. C’est à elle de leur venir en aide si besoin en est. À elle et à personne d’autre.
Raphaël TANOH