Depuis quelques semaines, les autorités ivoiriennes mettent les bouchées doubles pour vacciner le maximum de personnes. Mais elles butent sur la méfiance des Ivoiriens à l’égard de ces vaccins contre la pandémie à coronavirus. En l’absence de loi obligeant la population à se faire piquer, on fait preuve d’imagination. De l’interdiction d’accéder à certains ministères sans pass sanitaire, à l’obligation d’un test PCR négatif de moins de 72 heures, on use d'astuces pour amener les populations à s’approprier le vaccin. Mais cette stratégie marche-t-elle ? Cette manière tacite de contraindre les populations ne va-t-elle pas à l’encontre des libertés ?
Conformément aux décisions du Conseil national de sécurité (CNS) du 9 septembre 2021, la direction de la communication de la présidence, informe l’ensemble des journalistes, photographes, cameramen et techniciens audiovisuels, accrédités pour la couverture des activités de la présidence de la République qu’ils devront, à compter du lundi 04 octobre 2021, présenter une attestation de vaccination contre la Covid-19 ou un test PCR négatif de moins de 72 heures pour pouvoir accéder au palais de la présidence de la République. Avec ce communiqué produit la semaine dernière, les services du chef de l’Etat entraient dans le cercle de plus en plus élargi des Institutions et ministères qui imposent de plus en plus le « pass sanitaire » ou des tests PCR négatifs à leurs visiteurs et au personnel. Avant cette décision, des notes de service émanant de plusieurs ministères, agences, services et démembrements de l’état « contraignaient » de manière explicite, leurs travailleurs à se faire vacciner contre la Covid-19. Pour Arsène Kouadio, ancien président de l’Union nationale des étudiants de l’Institut national de formation des agents de santé (INFAS), 26è promotion, l’intention des autorités est claire. « Nous avons reçu la note. Elle oblige clairement le personnel soignant à se faire vacciner. Elle nous dit que tous ceux qui ne sont pas vaccinés ne peuvent pas avoir accès au cabinet du ministre de la Santé », indique-t-il.
Obligation Au ministère de l’Assainissement et de la salubrité également, une note faisant état d’une séance de vaccination le vendredi 03 septembre, dans la salle de conférence du cabinet, faisait clairement « obligation » aux travailleurs de se faire piquer. Une obligation renforcée par quelques modalités : Les agents non vaccinés ne sont admis au travail que sur présentation d’un test PCR- Covid négatif, à renouveler chaque semaine. À défaut, lesdits agents ne seront pas admis et les jours non ainsi travaillés feront l’objet de ponctions sur salaires.
« Quand ce n’est pas l’obligation, c’est une forme détournée pour obliger les travailleurs à se faire vacciner. Mais pour le faire, il faut une loi ou un décret. Or, rien de cela n’a encore été pris, donc faisons attention », note Boko Kouao, porte-parole de la Coordination des syndicats du secteur santé (Coordisanté). Les communiqués continuent pourtant de tomber, chaque semaine. Même si certains départements préfèrent encore jouer la prudence. « Ici au ministère de la Fonction publique, aucune note de ce genre n’oblige qui que ce soit à se faire vacciner », rapportent les services de la ministre Anne-Désirée Ouloto. Dans les ministères où ces notes circulent, selon un proche collaborateur du ministre de la Santé, il n’a jamais été question d’obliger qui que ce soit à se vacciner contre la Covid-19. Ce sont, dit-il, des notes internes qui font partie de la sensibilisation et de la volonté du gouvernement de protéger sa population contre la pandémie qui gagne du terrain. Même si au cabinet du ministre, on ne cache plus l’interdiction du lieu aux visiteurs non vaccinés. La vérité, selon une source proche du ministre Pierre Dimba, c’est que le gouvernement veut parvenir à vacciner 10% de sa population. Avec la réticence des populations, il faut trouver des parades pour écouler aisément le vaccin. Les ministères, les Institutions. Les secteurs comme le showbiz. Les restaurants, les bars, les boîtes de nuit et même les maquis sont amenés à faire vacciner leurs personnels. Si la mesure est controversée parmi les tenanciers, les responsables jouent la carte de la diplomatie. «J’adhère à la décision du gouvernement de faire vacciner le personnel des bars, maquis et restaurants. En le faisant, nous donnons confiance aux clients. Je ne pourrais pas obliger quelqu’un ici à se faire vacciner contre le coronavirus, mais je peux les inciter à le faire», note par exemple, Joël Adibi, l’un des responsables Ibiza Players ‘‘Rue des bars’’ des Deux-Plateaux.
Prudence Au total, le district d’Abidjan compte 43 000 maquis. Ce sont environ 2 000 bars et boîtes de nuit qui sont implantés sur l’ensemble du territoire national. Parmi les personnes qui fréquentent ces lieux, il y a les artistes chanteurs. Ibrahima Kalilou Koné dit Fadal Dey, président de l'Union pour le progrès des artistes de Côte d'Ivoire (UPACI) se dit également favorable aux vaccins dans ces lieux. «Mais il faut faire en sorte qu’on n’oblige personne à le faire», explique l’artiste. Même réserve pour Magloire Afoutchi, président de l’Union des patrons de maquis et bars de Côte d’Ivoire (UNP). « Nous sommes pour cette proposition du gouvernement. L'Union des patrons de maquis et bars de Côte d'Ivoire salue cette idée. Mais au niveau de l’UNP, nous sommes dans la phase de sensibilisation. Personnellement, je suis déjà vacciné, pareil pour mes deux vice-présidents et mon secrétaire. Il faut reconnaître que ce vaccin est controversé. Mais nous arrivons à faire comprendre son bien-fondé aux gens. Parce que la maladie à coronavirus est une réalité et il faut se mobiliser pour la combattre. L’Etat joue sa part. Nous devrions aussi jouer la nôtre », explique-t-il.Toutefois, la politique de vaccination est à la traîne. Après environ 6 mois, 2 700 000 doses ont été administrées. Face à l’évolution de la pandémie et les stocks limités de vaccins, le gouvernement opte pour une politique de petits pas.
Six millions de doses D’ici la fin de l'année, la Côte d’Ivoire vise six millions de doses de vaccins contre la covid-19. Selon le professeur Bénié Bi Vroh Joseph, directeur de l'Institut national d'hygiène publique (INHP), le pays dispose déjà deux millions de doses et attend deux autres millions de doses de vaccins. Avec 400 sites de vaccinations, selon le directeur de l’INHP, la population commence à prendre conscience de l’utilité des piqûres contre la covid-19. Toutefois, a fait savoir Prof. Bénié, si un pass sanitaire devait être obligatoirement exigé aux Ivoiriens, ce serait au conseil national de sécurité (CNS) d’en décider. Il n’y a pour l’instant qu’à l’aéroport que ce document est obligatoire. D’après l’invité du 20h, les Ivoiriens doivent faire confiance aux vaccins contre la covid-19 et ne pas se fier aux rumeurs. Pour les acteurs du système sanitaire, il n’y a aucune chance que le CNS parvienne un jour à rendre le vaccin obligatoire. « Cela n’a pas été le cas, même dans les pays développés, où la pandémie a le plus sévi. Alors, l’idée qu’un jour on impose la vaccination aux Ivoiriens est impossible. On le sait tous. Ce que les gens dénoncent, par contre, c’est la manière », explique le Dr Guillaume Apkess, secrétaire général du Syndicat national des cadres supérieurs de la santé de Côte d’Ivoire (Synacass-CI). Le Synacass-CI qui prévoit une rencontre avec la tutelle, milite plutôt pour la levée des interdictions à certains ministères et institutions pour ceux qui ne seront pas vaccinés où ne le présenteront pas de test PCR. « La Vaccination est censée protéger contre la maladie. Mais avec ce qui se passe, on se demande à quoi elle sert, puisque les personnes vaccinées sont celles qui ont le plus peur », note Arsène Kouadio.
Raphaël TANOH