Top départ pour la campagne pour l’élection du Président de la République ce jeudi 15 octobre à minuit. Sur 44 dossiers de candidatures, 4 ont été retenus par le Conseil constitutionnel le 14 septembre dernier. Il s’agit des candidats Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, Pascal Affi N’Guessan et Bertin Kouadio Konan. Dos à dos, ils avancent au pas du chronogramme du calendrier électoral. Aurons-nous quatre candidats en lice jusqu’au coup de sifflet final ? Les Ivoiriens auront-il droit au boycott de deux candidats qui maintiennent jusqu’à maintenant la pression ? En tout état de cause, une partie de l’opposition, déjà exclue, ne sent pas concernée par l’élection du 31 octobre et espère être suivie par certains candidats. Cela pourra-t-il discréditer le résultat du scrutin ? Autant de spéculations autour d’une élection très attendue.
La Commission électorale indépendante (CEI) se dit prête pour la date du 31 octobre. La distribution des cartes d’électeurs a débuté le 14 octobre et la CEI a déjà remis les spécimens des bulletins aux candidats. La campagne est désormais ouverte afin de convaincre un peu plus de 7 500 000 électeurs ivoiriens. En attendant, deux hommes se disent déjà prêts. Il s’agit des candidats Alassane Ouattara et Bertin Kouadio Konan, qui lancent leurs campagnes respectivement à Bouaké et à Divo, deux villes de l’intérieur du pays. Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan continuent d’appeler à un report du scrutin, à l’ouverture d’une transition et à un dialogue, qui devraient aboutir à une élection plus ouverte, transparente, équitable et inclusive. Désormais, les espoirs de ces deux candidats sont tournés vers l’ONU, à laquelle ils demandent de se pencher sur le dossier ivoirien. Et ce malgré l’envoi des émissaires de la CEDEAO, de l’ONU et de l’UA, dont la mission s’est achevée le mardi 13 octobre. Dans leur communiqué final, ces derniers, tout en actant la date du 31 octobre pour la tenue de l’élection et en s’inquiétant du manque de confiance entre les acteurs politiques ivoiriens, ont invité les partis « à favoriser le dialogue et à s’engager pour l’organisation et la tenue d’une élection crédible, transparente, inclusive et respectueuse des droits de l’Homme ».
Prêts ? Du côté d’Alassane Ouattara, tout est fin prêt. La campagne sera dirigée non pas par une personne mais par une équipe de quatre soutiens. Il s’agit d’Hamed Bakayoko, de Patrick Achi, de Kandia Camara et de Jeannot Ahoussou Kouadio. Le Président du Sénat, toujours en soins en Allemagne, est secondé par Adama Bictogo. L’équipe de campagne pour la jeunesse est chapeautée par Mamadou Touré. Après Bouaké, pour le meeting de lancement du vendredi 16 octobre, le RHDP sera à Yopougon le samedi, puis à Man le dimanche. Un programme bien chargé pour le début de la campagne au niveau de ce parti. En dehors des meetings officiels, plusieurs autres activités éclatées sont prévues pour se tenir avec les autres responsables de campagne aux niveaux régional et local. De source proche du parti, le candidat Ouattara compte visiter 7 villes de l’intérieur du pays et participer à des meetings dans le district d’Abidjan. Il sera aussi face aux Ivoiriens à la télé, pour présenter son programme.
De l’autre côté, Bertin Kouadio Konan se dit également prêt. Il est la pièce maîtresse de toute l’opposition. Son retrait de la course pourrait isoler Alassane Ouattara et apporter de l’eau au moulin de ses adversaires. Une grande partie de sa campagne se fera à l’intérieur du pays, notamment au centre, où il compte surfer sur l’électorat du PDCI. Côtés Pascal Affi N’Guessan et Henri Konan Bédié, on observe et on compte sur un report. Pour ces derniers, « l’élection ne se tiendra pas le 31 octobre ». Ils n’ont pas retiré les spécimens de bulletins des candidats et préparent leurs militants à un boycott actif. Mais, selon une source proche de la CEI, Adiko Niamké a été dépêché le mardi 13 octobre par le PDCI à l’effet de retirer sur clé USB la liste électorale. « Nous nous préparons pour l’avenir » aurait-il lancé à un membre de la CEI quelque peu curieux de comprendre sa démarche alors que son parti appelle au boycott. La CEI, quant à elle, a procédé à un réaménagement technique en son sein, après le retrait de deux commissaires centraux représentant l’opposition. Les zones de compétences de ces derniers ont été attribuées à d’autres commissaires.
Rendez-vous manqué ! Cette élection suscite à la fois espoir et crainte. Espoir de voir la Côte d’Ivoire organiser une élection présidentielle inclusive avec peu de tension et la consolidation de la paix. Mais aussi crainte de voir le pays s’embraser à nouveau. Les espoirs se sont amenuisés avec le retour dans le jeu politique d’Alassane Ouattara, d’Henri Konan Bédié et de Laurent Gbagbo, qui jouent encore les premiers rôles. Les craintes des populations sont devenues ainsi plus grandes et chacun semble avoir pris des dispositions pour sa sécurité. « Le contexte est différent de celui de 2010, avec deux armées face à face. Mais la non-participation d’une partie de l’opposition est de nature à troubler la quiétude des Ivoiriens », explique le sociologue Gnelbin Koné. Entre boycott actif et lobbying auprès de la communauté internationale pour obtenir gain de cause, l’opposition continue de peaufiner sa stratégie. « L’opposition restera-t-elle unie jusqu’au bout ? », s’interroge ce dernier, qui s’empresse de répondre « Henri Konan Bédié pense avoir une chance de battre Ouattara dans les urnes, à condition d’avoir le soutien de toute l’opposition. Mais, en face, il peine à convaincre le camp Gbagbo de le soutenir en participant et en appelant ses partisans à voter pour lui ». Une équation difficile à résoudre, d’autant plus que Laurent Gbagbo a décidé de garder le silence jusqu’à la fin de son procès. Le passage de flambeau à une autre génération, autre que celle qui s’entre-déchire depuis plus de 25 ans, n’aura pas lieu en 2020. Il aurait fallu un sursaut d’orgueil dans chaque camp. « Mais la politique ivoirienne est malheureusement dominée par les leaders et non par des idées qui fondent les convictions et l’idéologie des partis », explique Gnelbin Koné.
Crise post électorale ? Les voyants sont tout de même au rouge. En cas de tenue du scrutin à bonne date, il est clair que l’opposition contestera les résultats et ne reconnaîtra pas le Président de la République élu. Cela pourrait déboucher sur une période de longue crise politique. Dans les états-majors, les différents camps semblent s’apprêter à cette éventualité. Mais, entre une opposition qui ne reconnaîtra pas les résultats du vote et un gouvernement qui tirera sa légitimité des urnes, les débats pourraient accoucher d’une souris et les protagonistes pourraient avancer en rang dispersés et dos à dos. Une autre grande inconnue est aussi la nature et l’ampleur du boycott de l’élection. Entre les assurances du Président de la République et les menaces à peine voilées de certains membres de l’opposition, les observateurs préfèrent rester prudents dans leurs analyses et suivre le cours de l’histoire. « Il y a tout de même une certitude. Après le 31 octobre, les Ivoiriens resteront toujours divisés sur les questions de gestion des affaires publiques », lance Firmin Kouakou, politologue. Pour ce dernier, une transition ne peut pas résoudre le problème. « Les transitions antérieures n’ont jamais résolu de problèmes en Côte d’Ivoire, elles ont été guidées par l’organisation d’une élection. Il faut plutôt une autre approche, celle de textes de lois clairs, sans divergences sur l’interprétation, et le respect de ces textes. C’est à ce titre que nous sortirons des querelles politiques » renchérit-il, avant de préciser qu’il faut sortir les partis politiques de la CEI et rassurer toutes les parties sur l’organisation d’un jeu démocratique « qui ne se limite pas aux élections ».
Yvann AFDAL