L’examen des fragilités structurelles du continent dévoile, en 2021 et 2022, une série de corrélations stables dont l’Union africaine (UA) n’a pas assez pris la mesure, probablement du fait de la gêne qu’occasionne la remise en cause de la domination masculine. La démographie hors contrôle entraîne une série de conséquences, dont l’essor de la prédation primitive sur les ressources de la nature, qui engendre la propagation de la pauvreté, le déracinement climatique et davantage de destructions de la forêt et de la biodiversité. Il découle de la fertilité élevée au Sahel un nombre de naissances que la terre du bercail a cessé de nourrir.
Le déplacement massif de travailleurs et de familles en direction du Golfe de Guinée démontre un exode unilatéral, germe de conflits liés au contrôle de l’espace et de ses richesses. La visibilité des enfants colporteurs au milieu de la circulation automobile et l’augmentation de la mendicité dans les rues des villes – déjà dysfonctionnelles – en sont les symptômes les moins discrets. La vague invasive du Nord au Sud met en mouvement des personnes démunies, d’un niveau d’instruction minimal et porteuses de valeurs et de modes de vie dépourvus d’adéquation à l’habitus des autochtones.
L’Organisation internationale des Migrations (OIM) tarde à intégrer la problématique au cœur de sa mission. En l’espèce, son attention biaisée se porte plutôt sur le contrôle de l’émigration vers l’Europe. Malgré ses implications de toute gravité sur un nombre conséquent de victimes, la dynamique africaine de l’apatridie et de l’expatriation demeure à l’abri du champ international de l’inquiétude et de l’indignation. À peine le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) y consacre-t-il de rares programmes d’insertion.
Une complication méconnue À la faveur de l’exode en cours se trouvent ainsi bouleversés dans les pays d’accueil le rapport à la propriété foncière, les équilibres de l’ethnicité et du culte, sans oublier l’incidence du changement progressif de population sur les rivalités partisanes au sommet de l’État. De surcroît, la polygamie et l’utilisation d’enfants comme force de labeur accroissent la pression sur la nature, aux dépens de la diversité des écosystèmes. Aussi, à cause d’une sédimentation de dégâts quasi irréparables, l’infrastructure de la société et du « vivre en paix » subit un cumul de tensions qui outrepassent vite le seuil du supportable : orpaillage illicite, banalisation du travail des enfants, usage sans protection de pesticides cancérigènes, épandage de cyanure et de mercure, pollution de la nappe phréatique, érosion et dégradation des sols, improductivité des parcelles de culture, abus d’exploitation du bois de menuiserie et du charbon de chauffe, disparition graduelle de la faune, agriculture extensive, habitat horizontal, baisse de la pluviométrie, hausse de l’économie informelle et de l’incivisme, etc…
Il résulte des déséquilibres susmentionnés le recours exponentiel au bakchich pour éviter les listes d’attente devant les prestations minimales de l’État. À coups de pots de vins et de racket, désarmer la rigueur ou acheter le silence du personnel chargé de faire respecter les impératifs de l’écologie, de la santé et du civisme, devient un exercice à portée du premier venu.
En règle générale, les analystes et commentateurs du réveil de l’Afrique considèrent qu’une masse jeune et nombreuse constitue un réservoir de main d’œuvre compétitive et un formidable marché de consommateurs. Or, l’avancée inexorable du désert – témoin du rétrécissement de la verdure sur la carte du continent – impose sa part d’interrogation, à quoi l’afro-optimiste de complaisance n’apporte pas de réponse spécifique : demain, quel produit à vendre et échanger récoltera-t-on d’une terre de désolation, stérile, plus que jamais en butte aux combats primaires de la survie ? La perspective du stress hydrique justifie l’interrogation.
Ainsi, les politiques publiques des États de refuge se retrouvent sommées de mettre au chapitre de leurs prévisions d’investissement en services universels de base (santé, éducation, urbanisme, foncier rural) des volumes de financement supérieurs à la demande exclusive de leurs ressortissants et des résidents permanents. La migration climatique contraint les gouvernements des territoires de destination à une dépense accrue pour compenser l’afflux de populations étrangères, d’où la nécessité d’une approche globale de mutualisation du risque avec leurs voisins prenant en compte le réaménagement de la libre circulation des personnes et des biens (bétail, par exemple) au sein de l’espace communautaire (exemple de la CEDEAO). Il faudra choisir entre liberté de déplacement et droit d’établissement.
En somme, la coopération internationale et l’Aide publique au développement ne parviennent pas à pallier la fécondité de l’Afrique. Les moyens propres des États n’y suffisent pas non plus, car le rythme de l’essor de la population excède, et de loin, la création de biens durables et l’érection des infrastructures. Alors, ô dilemme, les migrants eux-mêmes sont obligés d’accentuer la surexploitation des surfaces arables, du sous-sol, de l’eau, ainsi que l’occupation des périmètres de forêts classées, réduisant de facto l’habitat des autres catégories du vivant. L’insécurité consécutive à la progression du terrorisme aggrave le sauve-qui-peut. Horresco referens, la vitesse de la migration intérieure finit par alimenter les raisons objectives de la débandade panique des jeunes en train de fuir la terre de leurs ancêtres.
L’agriculture intensive et l’urbanisation horizontale prouvent les limites d’un modèle de croissance indifférent à la météorologie et à la densité du peuplement. La pluviométrie, première matrice de vie, est un facteur non-acquis, une donnée corrélée à la végétation, à l’épaisseur du couvert vert. Selon la proportion des atteintes à ce capital vital, dont dépend la continuité de notre espèce, une collectivité de terroir, un État, une communauté économique, perdent chacun leurs réserves de défenses immunitaires face aux ferments de la violence et de l’anarchie. Le basculement d’un groupe donné dans la précarité et la loi du plus fort ne respectent pas toujours le tracé des frontières.
Contribution de Abdel Nasser Ethmane Elyessa