Locomotive de l’Afrique francophone en Afrique de l’Ouest avec une forte croissance depuis 10 ans, et en pleine mutation, la Côte d’Ivoire développe la seconde transformation de ses produits agricoles et espère atteindre l’autosuffisance alimentaire.
La Côte d’Ivoire, c’est bien sur les filières très organisées du cacao, cola, anacarde, banane, huile de palme, hévéa, etc. dont elle est un acteur majeur sur les marchés mondiaux. Mais à côté de cela se trouve tout un tissu économique encore très largement dans l’informel. Ce qui présente des inconvénients mais aussi des avantages à une époque où le gouvernement ivoirien a comme principal objectif, la souveraineté alimentaire.
Produits vivriers et d’exportation, même combat Pour s’attaquer à ce défi, le gouvernement a décidé de ne plus distinguer entre cultures d’exportation et vivrières mais de les faire entrer, sans distinction, dans les systèmes commerciaux ou économiques et que le maximum de valeur ajoutée soit faite sur le territoire national. Il s’agit pour la Côte d’Ivoire de se protéger contre les aléas de la dépendance à l’égard de l’extérieur mais aussi de répondre à une demande nationale croissante. Traditionnellement très rurale, aujourd’hui plus de 50% de la population ivoirienne vit en zone urbaine. Si les liens avec le village restent forts, les modes de consommation ont changé et ce d’autant plus qu’émerge une classe moyenne avec un peu de pouvoir d’achat et donc demandeuse, notamment dans le secteur alimentaire, de produits innovants face à une curiosité gastronomique qui caractérise les Ivoiriens. Et ce d’autant plus que la population est jeune avec un âge médian un peu inférieur à 19 ans ; une jeunesse à qui il faut trouver des emplois qualifiés. En ville comme dans les campagnes, les Ivoiriens déjeunent peu à midi chez eux. En revanche, nombre d’entre eux prennent un copieux petit déjeuner. Quant au dîner, il « sera à la maison et on mange encore du lourd : atiéké, riz, banane plantain. Mais aujourd’hui, on constate le développement de la consommation de produits plus sains au dîner, moins gras, moins sucrés (prise en considération du facteur santé), avec une augmentation de la consommation de fruits et légumes », selon Fèmi Yeo, directrice LSC Consulting à Abidjan.
Au-delà de la première transformation La volonté de transformer la Côte d’Ivoire n’est pas nouvelle. Mais, bien souvent, on s’est arrêté à la première transformation. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire veut aller plus loin et ses opportunités sont considérables. Jean-Pierre Chomienne a pris pour exemple les camemberts véganes à base d’anacarde. « Donc sur la 2ème transformation de l’anacarde, il y a un potentiel énorme », comme sur d’autres produits et destinés au marché local. C’est aujourd’hui possible notamment parce que les infrastructures ont été bouleversées. « Nous sommes passés de 50% de taux d’électrification il y a à peine 10 ans à plus de 80% aujourd’hui. On parle donc d’industrialisation et de transformation qui sont maintenant possibles dans la plupart des villes de Côte d’Ivoire », précise Fèmi Yeo. « On a une classe moyenne émergente avec des appareils frigo ; on est en train d’avoir des plateformes pour les stockages à température froide ou négative, ce qui n’existait pas il y a 10 ans. Ceci a d’ailleurs permis à des chaînes de fastfood comme Burger King, KFC, de s’installer. Des chaînes purement ivoiriennes ont aussi pu se développer comme Dabali Xpress.
En outre si la bancarisation demeure faible, « car ce n’est pas dans la culture », on a un très fort taux de pénétration de la téléphonie mobile et d’importantes initiatives à travers le mobile banking, ce qui permet de faire « des connexions avec des compets bancaires » et « parvenir à une certaine traçabilité ».
La grande distribution se réinvente
Quelque 90% des Ivoiriens font encore leurs courses auprès de la distribution traditionnelle sur les marchés et les étals de produits alimentaires. Donc 10% seulement font leurs courses dans les supermarchés mais cela change. « Les Ivoiriens comment à prendre l’habitude de faire leur marché en supermarché. La distribution organisée en supermarché a démarré en 1966 en Côte d’Ivoire mais offrait très peu de produits frais. Depuis une dizaine d’années, les supermarchés ont commencé à développer des rayons frais qui sont de plus en plus pratiqués par les Ivoiriens. Donc on assiste actuellement à une belle croissance de cette distribution organisée et qui est en train de tirer la production agricole aussi. Car ces enseignes proposent aux petits producteurs des contrats sur le long terme. Donc l’agriculteur qui avait peu de possibilités d’avoir des prêts bancaires peut en avoir aujourd’hui en présentant un contrat avec une enseigne de distribution organisée », poursuit Fèmi Yeo. La distribution organisée représente 10% avec des grands noms d’enseignes françaises : Casino, Leader Price, SuperU, etc. ; Auchan s’est installé en 2022. Toutefois, se profilent des opérateurs des Etats-Unis, de Turquie, de Chine.
« Pour le moment, les marques françaises sont prépondérantes parmi les grands distributeurs mais il y a beaucoup de rencontres avec d’autres pays. On a depuis l’année dernière beaucoup d’initiatives des Etats-Unis. Certes il y a la barrière de la langue mais on a beaucoup de francophones qui comprennent l’anglais et il y a le Ghana juste à côté où les Américains sont très présents. Et ils se sont dits : pourquoi pas la Côte d’Ivoire ? » « La Turquie est en train de venir. Ils ont déjà des boutiques dans le non alimentaire. Ils ont des magasins de quincaillerie. Ils pourraient bientôt faire de l’agroalimentaire bientôt, c’est possible. La Chine a des magasins installés, là aussi souvent dans le non alimentaire mais la limite peut être vite franchie. De nombreux Ivoiriens achètent sur Alibaba, par exemple. »