La fable de l’entrepreneuriat

Pathé Dieye est chargé de recherche et de projet à WATHI. Il s’intéresse aux questions de conflits, paix et sécurité dans le Sahel et à la gouvernance locale. Il est titulaire d’un Master 2 en Sciences politiques mention Relations internationales et est Alumni de la Dalberg Talent Academy.

Avec la population la plus jeune au monde, soit une moyenne d’âge de 19 ans, le taux de pénétration d’Internet le plus important, avec une augmentation de 23% entre 2019 et 2021, et un niveau de création d’emplois faible, vu que seuls 3,1 millions d’emplois sont créés par an alors que 10 à 12 millions de jeunes entrent sur le marché du travail, tous les ingrédients du cocktail sont réunis pour boire à la santé de l’entrepreneuriat en Afrique. Tout le monde est invité.

Ces éléments de contexte, entre autres, permettent de voir en l’entrepreneuriat la voie la plus rassurante pour impacter et surtout ne plus rien attendre des décideurs politiques. Entreprendre devient même l’antidote contre les tranquillisants de l’attentisme inoculés par les promesses de l’homme politique. Il faut certes exhorter les jeunes à aller vers l’identification de problèmes et à proposer des solutions, à être des acteurs de l’innovation, mais il ne faudrait pas en faire une fable hallucinatoire.

En effet, avec le concours des réseaux sociaux, particulièrement la fabrique de Ceo qu’est LinkedIn, le cabaret thaumaturge qu’est Instagram, où tout brille, et la parlotte des experts twitternautes, le tout à la foire des marketeurs de Facebook, on a fini par imposer l’idée que si on n’entreprend pas on n’a rien fait de sa vie. Avant même qu’on vous le dise, à force de suivre ces réseaux, vous pouvez facilement avoir l’impression de n’avoir rien fait de votre vie si vous n’avez pas un business ou ouvert un cabinet, de quoi être vous aussi Ceo quelque part. Ça fait chic, n’est-ce pas?

Le prêche se répand à coup de harangues tissées sur des passages de livres des prophètes de développement personnel qui subliment l’échec. Il leur arrive de boire tous ces énergisants éphémères, décalés du réel, et de toiser le monde avec des meetups, des panels, des sessions de formations / renforcement des capacités à n’en plus finir. Eh oui, ils ont tous sauvé le monde. Hashtag entrepreneuriat. Mais tout le monde peut-il devenir entrepreneur?

Un manichéisme inutile, des paradigmes mal saisis

Les entrepreneurs identifient des problèmes auxquels ils apportent des solutions. Les salariés aussi font partie de la machine qui permet les solutions. Le salarié peut avoir autant d’impact positif que celui qui lance le projet et se dit entrepreneur. Il faut dire aussi que beaucoup d’entrepreneurs naissent à travers les incubateurs et les fonds d’investissements. Ces derniers sont des cabinets avec des équipes de salariés qui ont des expertises capables d’accompagner des entrepreneurs de la phase d’idéation au lancement de l’activité. De plus, l’entrepreneur peut redevenir un salarié, de même que le salarié peut devenir entrepreneur. Chacun des deux vit un parcours avec ses avantages et ses inconvénients. Le fait d’être dans l’incertitude de  l’aventure ne donne pas non plus à l’entrepreneur plus de mérite qu’au salarié. La comparaison est parfois utile, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’avant tout chaque trajectoire est un choix souvent bien motivé et que, quel que soit le chemin, il y a du travail. Pourvu qu’il soit bien fait. Pourvu que l’humain s’épanouisse.

À côté de cette dichotomie radicale faite entre salariat et entrepreneuriat, on a tendance à utiliser les termes de petites et moyennes entreprises et startups de manière interchangeable. Une startup est une jeune entreprise innovante évoluant dans le secteur des nouvelles technologies. La startup est une phase temporaire et particulière dans le développement de l’entreprise, où l’on cherche une nouvelle manière de rendre un service, d’où l’innovation. C’est une machine où l’on explore pour trouver un modèle reproductible, de sorte qu’une fois que la solution marche on peut l’appliquer à grande échelle. La startup a une autre particularité, c’est qu’elle a une croissance exponentielle, la scalabilité. La startup est donc une phase de croissance pour aller vers l’entreprise qui sera petite, moyenne ou grande.

Enfin, toujours sur des éléments sémantiques, il y a aussi une différence entre un entrepreneur et quelqu’un qui est dans l’auto-emploi. L’entrepreneur cherche à conquérir un marché, à se développer et à créer des emplois, alors que celui qui fait de l’auto-emploi ne se crée pas de contraintes en termes de création et de croissance. Il se limite à générer des revenus. Par conséquent, dans notre écosystème, plusieurs personnes se disent « entrepreneurs » sans l’être, car elles se limitent à assurer, à travers leurs activités, leur pain quotidien. C’est la raison pour laquelle lorsqu’on regarde la dame qui vend des beignets au quartier depuis dix ans elle ne change rien, de même que le boutiquier. Rares sont ceux qui s’inscrivent dans une logique de croissance, de développement et de création d’autres emplois.

L’entrepreneuriat en Afrique subsaharienne: un très vaste chantier

En Afrique subsaharienne, la majorité des startup ne fêtent même pas leur deuxième anniversaire. En visitant le cimetière de ces projets, on lit souvent sur les épitaphes deux choses: morte à cause de l’absence de financement ou morte à cause d’un manque de ressources humaines qualifiées.

Par rapport au manque de financement, 85% des petites entreprises sont largement sous-financées et des études plus poussées concluent que la grande majorité ne détient pas de business plan viable. Toutefois, cette problématique est à voir dans un autre sens. Certes, il n’y a pas assez de financements, mais est-ce que les entreprises remplissent les critères leur permettant de recevoir des fonds ?

J’ai eu la chance de travailler sur un projet consistant à améliorer le processus de sourcing d’un capital d’investissement. Lorsqu’on fait les appels à projet, on reçoit des entreprises dans les pipelines, mais on a toujours du mal à en trouver une seule qui soit apte à recevoir des financements, en raison des faibles niveaux de maturité. Par conséquent, au lieu de financer, on se retrouve à aider dans la réécriture des business models. C’est ce qui explique le fait que le Women Investment Club, le premier mécanisme d’investissement à fournir un financement et un appui appropriés aux MPME portées par des femmes, a créé la WIC Academy.

Certes, nous sommes à l’ère des États-startup et de l’hyper-privatisation de tous les secteurs, mais nous avons des problèmes politiques auxquels il faut des réponses politiques. En ce qui concerne la problématique des ressources humaines, il est bien connu que les start-up recrutent essentiellement des juniors. Le rôle d’un tel personnel n’est pas de faire passer l’entreprise d’un point A à un point B, puisqu’il apprend lui-même. Par conséquent, les entreprises atteignent vite des plafonds et ne se développent plus, sachant qu’elles n’ont pas souvent les moyens de se payer les services d’un senior sur un sujet pointu.

En réalité, le poids presque écrasant accordé à l’entrepreneuriat aujourd’hui tend à l’élever en idéologie d’une « pratique d’émancipation légitime » niant presque les autres options.

Pathé Dieye

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