Madame Michelle Essomé : « La Côte D’Ivoire a consolidé son statut d’important acteur économique de la région ».

Abidjan accueille les 4 et 5 avrils, la 14 e conférence annuelle de l’Association Africaine du capital investissement et du capital risque (AVCA), la plus grande entité internationale rassemblant les acteurs du capital risque en Afrique. Une grande première, 10 ans après le Sénégal en 2006. Pour l’occasion, 500 leaders du capital investissement en Afrique sont attendus pour discuter des principales tendances du secteur sur le continent. Ce sera autour du thème :"Développement durable, création d’emplois et investissement à impact en Afrique ». Dans cette interview exclusive accordée à JDA depuis Londres, Mme Michelle Essomé PDG de l’AVCA situe le choix de cette thématique, parle des instituions financières intéressées par les investissements à impact en Afrique, l’intérêt pour la Côte d’Ivoire de s’inscrire dans cette nouvelle approche d’investissement, vu les nombreux investissements étrangers.

Journal d’Abidjan: Quelles sont les motivations du choix de cette thématique pour cette conférence

Michelle Essomé: Le choix des thèmes du développement durable, de la création d’emplois et de l’investissement à impact répond aux activités menées par le secteur du capital-investissement en Afrique. Ces thèmes sont également des domaines dans lesquels certains membres de l’Association Africaine du capital-investissement et du capital risque (AVCA) ont développé des solutions innovantes. La conférence annuelle de l’AVCA s’inscrit dans un contexte où l’Afrique doit répondre aux défis suivants: la croissance démographique, l’adaptation de l’économie au changement climatique, l’urbanisation et le partage des fruits de la croissance.

 

Le capital-investissement contribue aux efforts du continent en appuyant des modèles économiques endogènes à fort potentiel de croissance et en mesure de contribuer fortement à un développement inclusif ainsi qu’à la création d’emplois. Mais, également, en tirant les économies africaines vers le développement durable grâce au recours à des pratiques strictes dans les domaines environnementaux, sociaux et de la gouvernance (ESG).

 

Qu'est-ce qu'un «investissement à impact» et quels sont les secteurs d’activités et géographiques pris en compte pour ce qui est de l’investissement à impact?

 

Il s’agit d’investir dans des entreprises, des organisations et des fonds dans le but d’obtenir un impact social et environnemental positif ainsi qu'un rendement financier. Ces investissements tranchent par leur ambition de produire un impact positif dont la mesure s’effectue en fonction des défis identifiés et auxquels on associe des indicateurs pour mesurer les progrès accomplis. La mesure de l’impact est un élément primordial de cette catégorie d’investissement. Pour ce faire, les investisseurs s’engagent à recourir aux meilleures pratiques du secteur. Ils font preuve de transparence en mesurant et en publiant la performance de leurs investissements en fonction des critères ESG. L’investissement à impact connaît une variété d’approches qui répondent aux objectifs spécifiques des investisseurs. En général, on compte parmi ces objectifs l’application des meilleures pratiques ESG à toutes les parties prenantes et la mesure de la performance des entreprises selon les ambitions affichées.

Quelle différence peut-on faire entre le capital-risque et l’investissement à impact ?

L’investissement à impact désigne une modalité d’investissement combinant profit avec impact socio-économique et environnemental positif. D’ordinaire, le financement des projets s’effectue en recourant au capital-investissement (y compris le capital risque) mais l’investisseur peut aussi opter pour des titres de créance ou des titres à revenus fixes.

Abidjan intéresse de nombreux investisseurs, mais de 2010 au premier semestre 2016, la Côte d’Ivoire a seulement reçu 8% des 249 opérations de « private equity» réalisés en Afrique de l'Ouest, selon le tout dernier rapport de l'Association africaine des investisseurs en capital-risque. Comment explique-t-on ce paradoxe ?

Tout d’abord, comprendre le secteur du capital-investissement en Afrique demande une approche plus nuancée. En effet, il ne s’agit pas d’un marché homogène. Les opportunités existantes diffèrent selon le degré de développement des pays. Si tous les pays mènent (à des degrés divers) des efforts pour améliorer l’environnement des affaires, diversifier l’économie, favoriser l’harmonisation régionale et investir dans les domaines de l’énergie et des infrastructures, les situations varient d’un pays à l’autre. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, le leader anglophone du capital-investissement est le Nigéria, dont l’économie et la population sont les plus importantes de la région. En Afrique francophone, grâce à ses progrès en matière de stabilité politique et de sécurité, la Côte d’Ivoire a consolidé son statut d’important acteur économique de la région.

 

En tant que région, l’Afrique de l’Ouest devrait rester une destination attractive pour les acteurs du capital-investissement. De fait, entre 2011 et 2016, elle a obtenu la plus grande proportion des transactions réalisées en Afrique. Soit 27% de la valeur des transactions enregistrées sur le continent. Sur cette période, cela représente 4,5 milliards de dollars US. C’est-à-dire, plus de 2 716 milliards de francs CFA. Pour la Côte d’Ivoire, la valeur des transactions correspondait à 8% du volume des transactions effectuées et à 2% de leur la valeur totale connue. Les investisseurs qui ciblent l’Afrique de l’Ouest disposent d’une panoplie de fonds de nature et de dimensions différentes ciblant un ou plusieurs pays. L’intérêt des investisseurs pour la grande consommation va probablement se confirmer ainsi que leur orientation vers les infrastructures et l’immobilier.

 

Pour revenir à la Côte d’Ivoire, sa forte croissance permet d’anticiper qu’elle jouera un rôle majeur dans le capital-investissement ouest-africain. C’est pourquoi les investisseurs suivent avec une grande attention certains secteurs de son économie. En outre, l’adaptation du nouveau code des investissements à la réforme de l'environnement d’affaires, ainsi qu’une gestion économique et financière prudente auront un effet déterminant permettant l’implication accrue des acteurs du capital-investissement.

Quelle est la provenance (source) de l’investissement à impact et quels sont les impacts de part et d’autres de chaque partie ?

Les institutions de financement du développement (DFIs, en anglais) jouent un rôle important dans le secteur, en favorisant le développement économique de régions peu favorisées. Suivant leur exemple, dès le début, l’industrie du capital-investissement africain a fait des critères ESG une de ses priorités – consciente du fait que leur amélioration contribuait à accroître la valeur économique des entreprises.

Par conséquent, grâce à l’appui de longue date fourni par les DFIs, la majorité des gestionnaires de fonds en Afrique disposent du savoir, de la compréhension et de l’expérience requis pour intégrer les critères ESG dans leur modèle opérationnel dès la phase de conception de leurs investissements. En outre, dans certains pays où les standards gagnent à être améliorés ou mieux appliqués, l’incompréhension des questions ESG peut avoir un impact (défavorable) considérable tant sur d’autres domaines que sur les perspectives de croissance des investissements.

Jusque-là, il semble plus facile de créer des emplois dans les pays anglophones que dans les pays francophones ? Simple vue de l’esprit ou réalité ? Quelles en sont les raisons ?

Comme déjà évoqué, une approche plus nuancée des performances des économies et des gouvernements africains face aux défis macroéconomiques du continent livre un tableau légèrement différent. Ainsi, à titre d’exemple, le Rwanda a simplifié les formalités de création d’entreprise ce qui a permis au nombre de création d’entreprises de passer de 700 par an avant la réforme à 3000/an les années suivantes. Des mesures comme celles-ci contribuent à la création d’emplois en Afrique.

AVCA a publié en 2016 une étude sur la pérennité des investissements qui présente la contribution des sociétés de capital-investissement en matière de création d’emplois en Afrique.

Comment aujourd’hui l’investissement à impact peut-il contribuer à l’épanouissement de l’Afrique francophone, particulièrement l’Afrique de l’Ouest et la Côte d’Ivoire ?

L’investissement à impact peut jouer ce rôle au moyen d’une attention particulière portée à un impact circonscrit et de qualité. L’Afrique n’a pas seulement besoin de plus d’investissement, elle doit pouvoir compter sur des modèles de financement innovant. Grâce à un environnement des affaires favorable, les investisseurs peuvent tirer parti d’opportunités existant dans des secteurs clés qui sont souvent sous-financés et souffrent d’une faible croissance. Par exemple, l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest offrent des opportunités d’intégration régionale accrues dont peuvent bénéficier les investisseurs soucieux d’impact. En effet, la consolidation d’industries réparties à travers plusieurs pays d’Afrique du Nord constitue un potentiel de croissance. Ainsi, le Maroc est devenu un hub pour les investisseurs opérant en Afrique du Nord et le gouvernement encourage le déploiement des entreprises marocaines en Afrique de l’Ouest francophone.

Quelle est la place des investisseurs nationaux face au grand intérêt des investisseurs étrangers dans cette nouvelle approche d’investissement ?

Deux catégories d’investisseurs sont à prendre en compte, le secteur privé et les caisses de retraite. Le secteur privé représente la source de financement de longue durée la plus importante. Cette catégorie inclue les investissements directs étrangers (IDE), les investissements de portefeuille de caisses de retraite locales ou ceux de fonds souverains ainsi que de banques de développement.

 

Les caisses de retraites africaines peuvent beaucoup plus s’impliquer dans le financement du capital- investissement. Grâce à leur horizon d’investissement, elles peuvent appuyer une trajectoire de croissance sur le long terme. Cependant, à ce jour, leur contribution est très modeste. Alors que les régulateurs africains leur assignent un montant d’investissement total maximum de 35 milliards de dollars US, les caisses de retraites n’ont investi dans les sociétés africaines de capital-investissement qu’une somme comprise entre 3,8 et 5,7 milliards de dollars US. Par conséquent, elles peuvent encore investir 29 milliards de dollars US dans le secteur. Par ailleurs, les fonds de pension (non africains) disposent actuellement d’actifs sous gestion d’une valeur de 379 milliards de dollars US situés dans 10 pays africains.

Quels sont les résultats de cette nouvelle approche d’investissement dans d’autres pays ?

L’étude d’AVCA sur la pérennité des investissements (2016) montre la contribution de certaines sociétés de capital-investissement à la création d’emploi en Afrique. Ces données seront mises à jour dans l’édition 2017 de cette étude qui sera publiée lors de la Conférence annuelle les 4 et 5 avril à Abidjan.

Les 199 entreprises analysées en 2016 avaient créé 10 990 emplois dont 65% étaient occupés par des hommes et 35% par des femmes. Dans cet échantillon, le nombre total d’emplois a connu une croissance de 15%. Le secteur de la finance a connu le plus grand nombre de création d’emplois (6 399 – soit une croissance de 54%) et une augmentation de la main d’œuvre féminine de 62%.

 

Le capital-investissement s’implique dans l’amélioration de la qualité du travail au moyen de la formation continue des cadres et des autres employés. Son attention aux critères ESG porte sur l’adoption de documents-cadre, l’évaluation de la performance ainsi que l’application de dispositifs d’encouragement et de récompenses. En outre, les employés ayant des emplois à risque reçoivent des formations spécialisées. Enfin, les investisseurs adoptent des systèmes d’information conformes aux meilleurs standards du secteur.

Quel intérêt pour la Côte d’Ivoire de s’inscrire dans cette nouvelle approche d’investissement vus les nombreux investissements étrangers ?

L’investissement à impact permet d’accéder à plus de financement. Par ailleurs, le capital-investissement offre une exposition à des secteurs non représentés dans les marchés publics. Enfin, il offre l’opportunité d’accéder au capital de divers investisseurs ayant en commun de se concentrer sur l’investissement à impact.

 

Propos recueillis par :

Benoît TANOH

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