L'avenir de l'Afrique dépend de la revitalisation du multilatéralisme

JOHANNESBURG - Alors que les Nations unies se préparent à accueillir leur ambitieux Sommet de l'avenir à New York les 22 et 23 septembre, les trois piliers du multilatéralisme – la paix et la sécurité, le développement durable et les droits de l'homme – montrent des signes évidents de tension et ont besoin d'être renouvelés de toute urgence.

L'Afrique jouera un rôle essentiel dans cet effort. L'architecture de sécurité mondiale qui a vu le jour après la fin de la guerre froide a été façonnée par deux secrétaires généraux des Nations unies visionnaires originaires d'Afrique, Boutros Boutros-Ghali et son successeur, Kofi Annan. L'Agenda pour la paix de Boutros-Ghali (1992), qui définit un cadre global pour le rétablissement, le maintien et la consolidation de la paix, a servi de modèle au Nouvel Agenda pour la paix d'António Guterres(2023). Boutros-Ghali a également encouragé la coopération en matière de sécurité entre les Nations unies et les organismes régionaux, notamment au Liberia et dans les Balkans.

Annan, pour sa part, a joué un rôle déterminant dans la création de la Commission de consolidation de la paix des Nations unies. Il a également continué à mettre l'accent sur l'Afrique, où la plupart des missions de maintien de la paix sont basées depuis 1989 et où 80 % des soldats de la paix sont actuellement stationnés.

Pourtant, bien qu'elle représente 28 % des membres de l'ONU, l'Afrique n'a pas de représentation permanente au Conseil de sécurité. Lors de la création du Conseil en 1945, elle représentait 29 % des États membres de l'ONU ; aujourd'hui, elle n'en représente plus que 8 %. Par conséquent, sa légitimité s'est érodée, ce qui compromet sa capacité à remplir son mandat.

Certes, les pays africains ont déjà joué un rôle central dans l'élaboration de l'ordre international actuel. Au cours des deux dernières décennies, l'Union africaine (UA), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et la Communauté de développement de l'Afrique australe ont envoyé des forces de maintien de la paix dans des zones de conflit à travers le continent, notamment au Liberia, en Sierra Leone, en Côte d'Ivoire, en Guinée-Bissau, au Mali, au Burundi, au Darfour, en Somalie, en République démocratique du Congo et au Mozambique. Mais ces organisations sont souvent confrontées à un financement insuffisant et à des difficultés opérationnelles.

En matière de développement durable, la situation est tout aussi frustrante. Au cours des six dernières décennies, les gouvernements africains et leurs alliés du Sud ont exhorté les agences des Nations unies à donner la priorité aux besoins des économies à faible revenu plutôt qu'aux intérêts sécuritaires des pays les plus riches du monde. Mais l'influence disproportionnée des puissances occidentales sur des institutions telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce, qui restent fermement sous leur contrôle, a sapé ces efforts. Après avoir progressé dans les domaines de la santé, de l'éducation et des infrastructures entre 1960 et 1975, les économies africaines ont été durement touchées par la crise de la dette alimentée par les prix du pétrole et par les programmes désastreux d'ajustement structurel imposés par la Banque mondiale et le FMI, ce qui a conduit aux « décennies perdues » des années 1980 et 1990.

Sous la direction du nigérian Adebayo Adedeji, la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique a cherché en vain à contrer cette tendance en préconisant une stratégie alternative axée sur l'agriculture et les infrastructures, visant à créer un marché commun africain. En 2018, l'UA a annoncé la création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLeca). Mais le continent – qui représente moins de 3 % du commerce mondial – n'a pas encore développé de piliers économiques solides ni réalisé l'intégration des marchés. Les pays africains n'ont pas non plus réalisé de progrès suffisants pour atteindre les 17 objectifs de développement durable des Nations unies d'ici à 2030 ; au contraire, la pauvreté, la faim et les inégalités se sont toutes accrues.

À six ans de l'échéance de 2030 fixée pour la réalisation des ODD, les engagements en matière de développement et de financement énoncés dans le programme d'action d'Addis-Abeba de 2015 doivent être honorés rapidement. Confrontés à une dette insoutenable de 1 100 milliards de dollars, de nombreux gouvernements africains consacrent actuellement 45 % de leurs recettes au remboursement de la dette, ce qui compromet leur capacité à investir dans le secteur social ainsi que dans des projets d'atténuation et d'adaptation au climat. Entre-temps, les pays à revenu élevé n'ont pas tenu leur promesse de fournir au moins 100 milliards de dollars par an pour les initiatives climatiques dans les pays en développement.

La situation des droits de l'homme, troisième pilier du multilatéralisme, reste également lamentable. En tant que secrétaire général, Annan a supervisé la création du Conseil des droits de l'homme, qui devait remplacer la Commission des droits de l'homme et soutenir les efforts de gestion des conflits de l'ONU. Mais le Conseil s'est avéré tout aussi inefficace et politisé que son prédécesseur discrédité.

Cet échec est particulièrement évident en Afrique, où de nombreuses régions restent en proie à l'extrémisme violent, alimenté par des inégalités profondément ancrées et une mauvaise gouvernance. Au cours de la dernière décennie, le taux de chômage élevé et la discrimination systémique fondée sur le sexe ont poussé des milliers de jeunes Africains à entreprendre des voyages périlleux à travers le Sahara et la Méditerranée à la recherche de meilleures opportunités en Europe. Avec 70 % de la population de l'Afrique subsaharienne âgée de moins de 30 ans, on ne saurait trop insister sur la nécessité d'investir dans l'éducation, de créer des emplois de qualité pour les jeunes Africains et de favoriser une véritable participation du public à l'élaboration des politiques.

Si l'UA défend depuis longtemps le principe de « non-indifférence » à l'égard des violations graves des droits de l'homme et des crises humanitaires, son engagement en faveur de cette politique a été mis à l'épreuve par une vague de prises de contrôle militaires au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Tchad, au Niger et au Gabon. Cette menace croissante pour la gouvernance reflète l'incapacité persistante à consolider les institutions démocratiques des pays africains et met en péril les progrès économiques réalisés au cours des trois dernières décennies.

Les gouvernements occidentaux peuvent prendre plusieurs mesures pour relancer la coopération multilatérale. Comme l'a a reconnu l’administration du président américain Joe Biden, le Conseil de sécurité doit être élargi pour inclure des membres permanents d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes. Pour que le Conseil soit réellement représentatif, des pays comme le Nigeria, l'Afrique du Sud, le Brésil et l'Inde devraient être ajoutés.

De même, les pays riches doivent honorer leur engagement de longue date de consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l'aide au développement, et les droits de vote de l'Afrique au FMI et à la Banque mondiale doivent être augmentés. La communauté internationale devrait également adopter la proposition du Brésil, soutenue par l'Afrique du Sud, l'Allemagne et l'Espagne, d'instaurer un impôt mondial sur la fortune de 2 % pour les milliardaires, ce qui pourrait générer jusqu'à 250 milliards de dollars pour le développement mondial.

Entre-temps, l'OMC, dirigée par l'ancienne ministre des Finances du Nigeria, Ngozi Okonjo-Iweala, devient de plus en plus impuissante. Elle doit être réformée. Dans un souci d'équité, elle devrait se concentrer sur la promotion du développement durable par le biais de transferts de technologie et d'un accès commercial préférentiel pour les pays en développement.

Enfin, le financement de la Commission de consolidation de la paix des Nations unies, qui manque de ressources, doit être considérablement augmenté. Cela permettrait à la Commission de coopérer efficacement avec la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement, renforçant ainsi sa capacité à reconstruire les fondations socio-économiques des pays africains déchirés par la guerre.

Par Adekeye Adebajo

 

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